Les nationalistes corses s’en prennent à un supposé « Macron jacobin » quand ils devraient viser le « Macron mondialiste ».

Il est parfois des critiques qui me donnent envie de défendre Emmanuel Macron. Celles qui ont suivi son déplacement en Corse en font partie. Qu’on se rassure, je ne céderai pas à cette facile tentation. Le clivage préféré du président de la République, qui sépare en toutes occasions les partisans de l’ouverture et ceux de la fermeture n’a rien pour me séduire. Mais s’agissant de la Corse, il n’est pas celui qui m’a agacé le plus.

La mauvaise foi appelle la fermeté

Dès le début, le duo qui dirige aujourd’hui la collectivité insulaire, a démontré sa mauvaise foi crasse, accusant Emmanuel Macron de provocation alors qu’il les multipliait lui-même. Jean-Guy Talamoni qui parlait du drapeau national comme celui d’un « pays ami », et qui, alors qu’il préside une assemblée qui doit sa légitimité aux lois de la République, refuse de la représenter lors de l’hommage dû à un préfet assassiné. Jean-Guy Talamoni toujours, qui ne laisse passer aucune occasion d’évoquer des « prisonniers politiques », comme autant de crachats à la République, à propos de ceux qui, justement, ont lâchement assassiné ce représentant de l’Etat qui refusait une protection rapprochée. Et Gilles Siméoni, jouant les « good cop » quand son alter-ego Talamoni serait le « bad cop », qui dénie à Jean-Pierre Chevènement le droit d’être présent à l’hommage à Claude Erignac, et qui accuse le président de la République de provocation, parce que cet ancien ministre de l’Intérieur avait eu le front d’envoyer un préfet de combat, après que le prédécesseur avait été assassiné. Dans mes souvenirs, lorsque des milliers de Corses avaient défilé pour s’élever contre l’assassinat de leur préfet, il ne me revient pas qu’ils réclamaient Gandhi au Cours Napoléon.

Face à Siméoni et Talamoni qui faisaient monter les enchères, alors qu’ils ont été élus pour exercer des compétences définies par la loi lors d’élections dont le taux de participation devrait inviter à davantage de modestie, il fallait qu’Emmanuel Macron fasse preuve de fermeté. Sans doute une autre attitude de ses interlocuteurs aurait pu inviter à davantage d’ouverture. Tout est affaire de contexte. Parce qu’il faut bien reconnaître que la demande de statut de résident répond à des problématiques qui existent bel et bien. Et qui peuvent exister aussi sur le continent. Il faut reconnaître aussi que les enfants des prisonniers corses ne sont pas responsables des crimes et délits de leurs parents et qu’une solution devrait être trouvée, en Corse comme ailleurs.

Le nationalisme corse a 50 ans de retard

Mais Siméoni et Talamoni ont dès le début souhaité défier Paris ! Paris la jacobine ! La bonne blague ! Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier alu… Paris la jacobine ? Si seulement ! Paris n’est plus jacobine depuis longtemps. Quand on entend Siméoni et Talamoni, et parfois d’excellents bons esprits (sauf sur ce sujet) reprendre cette antienne, on hésite entre hilarité et consternation. Non, Paris n’est plus jacobine depuis longtemps. Petite parenthèse en direction de M. Talamoni qui se voit en pays colonisé, il est rare que la capitale d’un pays colonisateur se donne un maire de la colonie en question. Pourtant, d’après mes informations, Jean Tibéri a bien été maire de la fameuse Paris jacobine. Et le clan corse à la Ville n’a rien d’une légende. Il est même arrivé qu’un Corse accède aux fonctions de ministre de l’Intérieur. Deux fois, ces trente dernières années. Paris la jacobine ? Cette page est tournée depuis bien longtemps.

Aujourd’hui, Madame Hidalgo ne parle plus que de « Ville-Monde » et se fiche bien de la Nation, de la République et de l’Etat. Ce qui l’intéresse, c’est d’imiter ses homologues londonien et new-yorkais, en moquant cette province dont les beaufs votent si mal, pour le Brexit ou pour Trump. Cette volonté de se détacher de la Nation n’a rien de jacobine, c’est même le contraire du jacobinisme, ce républicanisme ardent. Comment peut-on entretenir cette fiction de Paris-qui-décide-de-tout alors que, depuis bien longtemps, Paris ne décide plus de grand-chose ? Qu’on décide en fait à Bruxelles, à Francfort, à Washington, et dans les petites féodalités créées par la décentralisation.

Décentralisation, piège à…

La décentralisation, parlons-en ! Parce qu’il va bien falloir se décider à faire son bilan. Il va bien falloir déterminer sa part de responsabilité dans la toute-puissance de la grande distribution, dans l’enlaidissement de nos entrées de villes, dans la mort de nos bourgs-centres, dans l’accompagnement de la métropolisation dont profite justement la région parisienne jusqu’à l’étouffement, comme le montre à épisodes réguliers le blocage complet provoqué par les premiers flocons de neige. La décentralisation ! C’est en son nom qu’on a, par exemple, regroupé la Bourgogne et la Franche-Comté, c’est en son nom que Monsieur Rebsamen, qui se prend pour le Duc d’une Grande Bourgogne, traite les Franc-Comtois de « gougnafiers », parce qu’ils manifestent de la mauvaise humeur à tout voir partir à Dijon. Ma Franche-Comté, je l’aime. Elle n’a pas à rougir devant les quatorze ans d’indépendance corse. Dole a résisté bien plus longtemps face au Grand Condé. Besançon a subi le canon de Vauban. Et pourtant la Franche-Comté est française. Elle en est fière, et elle ne souffre pas moins que la Corse dans la mondialisation sauvage. Elle souhaiterait un Etat qui fasse son travail, qui la protège des ravages du libre-échange. Pas d’un Etat qui s’efface et qui lui dise « démerde-toi », en lui déléguant un pouvoir réglementaire.

En Corse comme en Franche-Comté, on ne vote d’ailleurs plus beaucoup. Il faut dire que lorsqu’on lui demande son avis sur une question importante, on s’assoit dessus ensuite. En 2005, dans la France entière, le peuple avait dit non à la constitution européenne. Trois ans plus tard, on faisait passer un traité quasi-identique par la fenêtre. En 2003, les Corses refusaient la collectivité unique et souhaitaient conserver leurs deux départements, vestiges du jacobinisme. Nationalistes, autonomistes, et vieux partis en capilotade se sont entendus pour piétiner aussi cette décision souveraine. Alors la moitié d’entre eux ne va plus voter et, par leur abstention, dit aux natios : « démerdez-vous, montrez ce dont vous êtes capables ». Ils leur disent en gros ce qu’Emmanuel Macron a dit l’autre jour, et qui a été pris pour du mépris.

La Corse a rendu service à Macron

Qu’on ne s’y trompe pas. On ne répondra pas aux fractures françaises par moins d’Etat, moins de République, moins de Nation. On ne répondra pas aux souffrances de la France périphérique par un « démerdez-vous ». En fait, Emmanuel Macron en rêve ! Le dépeindre en Jupiter jacobin, n’est-ce pas en fait lui rendre un sacré service ? Si son image s’est améliorée, c’est grâce à cette posture dont il sait qu’elle correspond à une demande réelle. Le critiquer sur ce thème, c’est lui rendre service. A bon entendeur…