Treize ans de corruption généralisée et de règne du crime organisé… La Prohibition : un truc à interdire ?

En fait de Prohibition, autant vous l’avouer, j’avais essentiellement une culture télévisuelle à base d’Al Capone et d’Eliot Ness (starring Robert Stack). Tout a changé grâce à Arte qui, ces deux derniers mardis, nous a raconté toute l’histoire, des origines de la lutte antialcoolique jusqu’au vote du 18e amendement, puis à son abrogation.

« La Prohibition, une expérience américaine » : sous ce titre, Ken Burns a réalisé un documentaire-fleuve en cinq épisodes et 260 minutes, dont pas une de trop. Une plaisante plongée non seulement dans le whisky, mais dans l’Amérique de la fin du XIXe siècle et du début du XXe.

Dans les années 1850, les tavernes ne désemplissent pas, et trop souvent les hommes viennent y boire leur maigre salaire avant de rentrer chez eux battre leur femme. Tel est du moins l’argumentaire déployé par les Ligues « pour la tempérance » ou « anti-saloons ».

À partir de 1913, ces organisations réclament la prohibition totale et définitive de l’alcool sur tout le territoire des Etats-Unis. Et ce, non pas par une simple loi, toujours susceptible d’être changée, mais par un amendement à la Constitution, parce qu’aucun n’a jamais été abrogé… Le 16 janvier 1920, ils ont finalement gain de cause : avec l’entrée en vigueur du 18e amendement, l’Amérique est mise au régime sec !

C’est le début d’une période particulièrement faste pour le crime organisé. On assiste même à des reconversions professionnelles spectaculaires comme celle de Roy Olmstead, ex-flic devenu « le premier gentleman bootlegger ». Pour arrondir les angles avec ses anciens collègues, son expérience s’avère précieuse : il sait exactement quoi mettre à qui dans chaque enveloppe.

D’une manière générale, la répression s’avère redoutablement inefficace. À mesure qu’on ferme les bars, s’ouvrent des speakeasies où l’alcool coule à flots. « Tout le monde ou presque enfreint la loi », raconte le documentaire. Un seul exemple : l’alcool étant disponible uniquement sur prescription médicale, on voit fleurir des millions d’ordonnances de complaisance – comme si le whisky était devenu une panacée…

Même le pékin américain moyen peut se procurer dans tous les bons drugstores de quoi fabriquer sa propre bibine, quitte à en faire profiter les autres dans une logique de commerce bio-équitable.

Le maire de New York lui-même doute fort que la loi puisse être réellement appliquée : « Il faudrait 250 000 policiers, et 250 000 autres pour les surveiller ! »

Tout ça se terminera sans surprise, en avril 33, par l’abrogation de l’amendement « inabrogeable ». « La Prohibition, conclut le doc, est une utopie qui aura vu triompher le crime, l’alcoolisme et l’hypocrisie ». De fait, les histoires d’utopie finissent mal, en général. Mais celle-là, puritaine et pharisaïque, c’est quand même l’Amérique ! Jamais ça n’aurait marché en France, au moins du temps où Jean Gabin pouvait dire impunément : « Je boirai du lait le jour où les vaches mangeront du raisin ! »

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