De l’enthousiasme au doute, de la révolte à la Victoire, tout 14-18 se raconte dans ses chansons.

Dans l’avalanche des documentaires consacrés à la Première guerre mondiale à l’occasion de son centenaire, en voici un qui tranche par l’originalité de son angle d’attaque : 14-18, la guerre en chansons, diffusé sur France 3. Ici, airs patriotiques, refrains de réconfort et chants de révolte illustrent les différentes étapes du conflit en reflétant, au fur et à mesure, le moral du front et celui de l’arrière.

En août 14, l’heure est à l’Union sacrée, et l’amour de la Patrie embrasse jusqu’aux armes qui la défendent, dont on vante en couplets joyeux la puissance de feu. Ainsi le chansonnier Alberti interprète-t-il Le 75 en hommage au canon éponyme : « 75, c’canon là est un bijou / Quand il tire, il ne rate jamais son coup »…

Sur l’air de La petite Tonquinoise, Théodore Botrel écrit Ma p’tite Mimi (Ma mitrailleuse) : « Quand elle chante à sa manière / Taratata, taratata, taratatère / Ah que son refrain m’enchante / C’est comme un oiseau qui chante…» Dans la même veine, le barde compose aussi une chanson à boire dédiée à sa chère Rosalie, « si jolie, si élégante / Avec sa robe-fourreau collante ». Eh bien, devinez quoi ? La Rosalie en question s’avère être non pas une femme, mais une baïonnette : « Au mitan de la bataille / Elle perce, pique et taille »…

L’ennui, c’est que  les Boches eux aussi ont tous ça en magasin. La guerre se prolonge, le front s’enlise, et pour maintenir le moral des troupes, le Théâtre aux armées fait monter au front les plus grandes vedettes de l’époque. Ainsi voit-on l’ « idole » Félix Mayol roucouler devant un bataillon colonial hilare les aventures héroïques d’un brave tirailleur sénégalais, sur des paroles carrément gaies :

« Y s’app’lait Boudou Badabou / Y jouait d’la flûte en acajou
C’était l’plus beau gars / De tout’la Nouba / Ah ! Ah !
Quand son régiment défilait / Au son joyeux des flageolets
Le Tout Tombouctou / Admirait surtout / Celui d’Boudou Badabou 
».

En 1916, après le cauchemar de Verdun et la contre-offensive meurtrière de la Somme, les chansons changent de ton. Impossible d’ignorer plus longtemps le martyre des poilus. De nouveaux refrains guerriers viennent alors, à défaut de rassurer le front, réconforter l’arrière, où l’on commence à douter aussi. Verdun, on ne passe pas ! fait dans la métaphore animalière :

« Un aigle noir a plané sur la ville
Il a juré d’être victorieux
[…]
Mais tout à coup, le coq gaulois claironne
Cocorico, debout petits soldats !
[…]
Halte là, on ne passe pas…
 »

Tout en exaltant l’héroïsme de nos troupes, on fustige la sauvagerie de l’ennemi, ces Corbeaux d’Allemagne qui se repaissent d’ignobles mutilations : « Les corbeaux ont des goûts infâmes / Des chapelets d’oreilles de femmes / De mains d’enfants »…

Au printemps 17, après l’échec sanglant de l’offensive Nivelle au Chemin des Dames, de nombreux poilus sont à bout, voyant la mort partout et la victoire nulle part. Dans la moitié de nos divisions, des mutineries éclatent au son de La Chanson de Craonne :

« C’est à Craonne sur le plateau
Qu’on doit laisser sa peau
[…]
Mais c’est fini car les trouffions
Vont tous se mettre en grève ! »

L’espoir renaît avec l’entrée en guerre des Etats-Unis. Ses deux millions de soldats sont accueillis avec un enthousiasme qu’illustre, sans subtilité excessive, la chanson Vive l’oncle Sam :

« La victoire de demain / C’est mon oncle Sam, Sam, Sam ! (…)
Viv’ les améris / les amériquis / les Américains ! 
»

On connaît la suite. À l’automne 1918, les Alliés ont repris la plupart des territoires français occupés par les Allemands ; Guillaume II abdique, et c’est l’Armistice… « Et comme en France tout finit par des chansons », conclut ironiquement le doc, les refrains vont se multiplier pour chanter la Victoire.

Mais ceci est déjà une autre histoire, qui durera vingt années folles –  avant que la Deuxième Guerre mondiale ne succède à la Der des der.

[Article paru dans Valeurs Actuelles]

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