Léa Salamé en mode Karine Le Marchand

Tout le monde n’a pas regardé le premier numéro  d’« Ambition intime », l’émission d’M6 dans laquelle Karine Le Marchand reçoit des personnalités politiques et les interroge sur des sujets non politiques, tels que leur vie affective, leur famille, leurs goûts, leur enfance, etc. Mais tout le monde en a entendu parler et personne n’en ignore le principe, tant celui-ci a suscité de désapprobation.

Une très hypocrite désapprobation

On peut juger cette émission assez nunuche et s’étonner que les participants aient accepté de se prêter à ce jeu. Il fait peu de doute que de nombreuses tractations ont dû avoir lieu avant et après le tournage, les équipes des conseillers en communication des uns et des autres cherchant à contrôler au maximum l’image que ce programme télévisé donnerait de leur candidat.

Il est évident, en effet, que les personnalités interrogées ne pouvaient avoir donné leur accord que sous réserve d’avoir un droit de regard sur le résultat. Et trop désireux de donner corps à leur idée d’émission révolutionnaire, les responsables du programme étaient probablement prêts à céder aux nombreuses exigences de leurs invités. Rien ici de bien surprenant.

D’ailleurs, de cet aspect du problème on a bien peu discuté. Moins que de la position de l’animatrice sur le canapé :

Le concept de l’émission en lui-même a finalement suscité plus de scepticisme et de sourires que de réprobation. Il faut dire qu’il s’inscrit dans une logique générale qui est celle de la « peoplisation du politique » et du « story-telling », comme disent les communicants. Ce qu’en bon français on appelle la théâtralisation de la politique et la mise en scène de soi.

En réalité, pour tous ceux qui en ont dit du mal, le vrai problème, la seule véritable raison de condamner « Ambition intime », c’était ça :

Et ça, ça provoque la colère de Patrick Cohen.

Mais l’idée d’érotiser les interviews semble avoir séduit une autre chaîne.

Une nouveau modèle appelé à faire école ?

Le 20 octobre, sur France 2, « l’Émission politique », animée par David Pujadas et Léa Salamé, recevait Bruno Le Maire. Très mauvaise audience :

« Avec 1,838 million de téléspectateurs devant leur écran, le programme animé par David Pujadas et Léa Salamé n’a pas seulement enregistré la pire audience de la jeune émission, ou même d’une émission de télé politique, mais tout simplement de la chaîne France 2 depuis cinq ans »

Pourtant, il y a un moment chaud dans l’émission, et qui vaut à soi seul le détour parce qu’il met vaguement mal à l’aise.

Cela s’appelait « l’œil de Léa », avec Nicolas Sarkozy le 15 septembre (à 00:50:05).

À partir du deuxième numéro de l’émission, le titre est moins personnalisé : c’est « Parti pris ». Avec Arnaud Montebourg, le 22 septembre (à 01:06:21).

Avec Alain Juppé, le 6 octobre (à 01:12:37).

Le 9 octobre dernier était diffusé « Ambition intime ». Et le 20 octobre donc, « l’Émission politique » revenait. Or, la manière de filmer l’échange entre Léa Salamé et Bruno Le Maire était pour le moins… troublante (à 01:22:38).

L’entretien se déroule dans une ambiance torride suggérée par l’éclairage rouge passion, déjà présent, il est vrai, dans les précédents numéros de l’émission. Mais les plans-poitrine classiques ont cédé la place aux gros plans :

 Et les dialogues sont filmés par-dessus-l’épaule et non plus en champ contre-champ (avec l’épaule nue de Léa Salamé au premier plan, l’effet érotique est indéniable) :

Un effet d’intimité fortement accentué par la focale longue qui écrase l’espace. Les deux interlocuteurs sont éloignés d’un bon mètre dans la réalité :

A l’écran, ils ont l’air très proches :

C’est bien simple, au cinéma, c’est ainsi que l’on filme la scène du baiser :

Mais le plus surprenant, c’est de voir que Bruno Le Maire semble se prendre au jeu. Les précédents intervenants donnaient du « Madame » à Léa Salamé. Il l’appelle « Léa Salamé » et exploite toute la palette des sourires :

Et que dire de cet instant où, baissant les yeux, il lui dit :

« Si vous avez trouvé que j’ai joué un rôle ce soir, on n’a pas dû vivre la même émission » (01:29:49).

Suit un silence gêné durant lequel la belle esquisse un sourire un peu forcé:

Gustave Le Bon disait que les foules ont un comportement féminin. On peut considérer qu’à travers Léa Salamé, c’est la foule des électeurs potentiels que Le Maire veut séduire. Mais je ne pense pas qu’il ait soudoyé les réalisateurs de l’émission afin que l’on filme cette interview comme une scène d’amour. 

D’ailleurs, à quelle question Bruno Le Maire répondait-il ? « Vous êtes bourgeois, normalien, énarque, lettré […] mais pourquoi essayez-vous d’être un autre ? », en référence au fait qu’il soit venu sans cravate au débat de la primaire et qu’il ait employé le juron « putain » au cours d’un entretien avec un youtubeur.

Donc : vous qui êtes un type coincé, pourquoi faites-vous semblant d’être un mec cool ? 

Notez que si Le Maire avait gardé la cravate lors du débat et n’avait pas dit de gros mot au youtubeur, elle lui aurait demandé : vous qui êtes un type coincé, pourquoi n’essayez-vous pas d’être un mec cool ?

Le syndrome Karine Le Marchand, un pas de plus dans l’américanisation de la vie politique.

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