Comme disait Musset, il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée.

Dans cet article, je prends la défense d’un chroniqueur de France Inter. Démissionnaire, je le concède. Mais quand même !

Voici la chronique que France Inter ne diffusera pas :

Nagui ayant jugé que cette défense de l’abstention « faisait le jeu du FN », le chroniqueur Pierre-Emmanuel Barré a quitté France Inter. On lui aurait « demandé de ne pas faire cette chronique » :

« Quand on me demande de ne pas faire une chronique, je démissionne. Je n’aime pas être censuré. »

A quoi Nagui oppose sa version :

« Sur le coup, je lui ai simplement dit qu’il n’était pas clair sur l’abstention. Qu’il casse Macron ou Le Pen, OK. Mais qu’il encourage l’abstention, c’est faire le jeu du FN. Mais il a préféré ne pas venir à l’antenne. Après l’émission, je lui ai finalement proposé de faire sa chronique demain (jeudi 27 avril) sans changer une ligne. Et moi, j’aurais ajouté un mot pour dire d’aller voter. Au lieu de ça, il a préféré le faire sur internet. Libre à lui. »

Lui a-t-on, ou non, « demandé de ne pas faire cette chronique » ? Le fait que Barré ait choisi de démissionner de l’antenne, ce qui n’est tout de même pas une petit décision, suggère très clairement que Nagui édulcore la réalité. Un texte publié sur Facebook par trois humoristes de France Inter confirme que la chronique a été « refusée, sous le coup d’une réaction épidermique (réaction que nous pouvons comprendre) », avant que Nagui se ravise en constatant la conséquence de son interdiction.

Mais ce qui m’a intéressée, c’est la manière dont les médias ont rendu compte de cette affaire.

Partout, on lit que la chronique de P-E Barré a été « refusée »:

Or, un sketch radio-diffusé n’est pas un manuscrit que l’on soumet à un éditeur et qui peut donc être rejeté. Comme le rappelle Laurence Bloch, la directrice de la station :

les chroniqueurs sont absolument libres

On n’est donc pas censé empêcher la diffusion de leur texte pour des raisons idéologiques, ce qui est la définition même de la censure.

Mais tout le monde est-il au clair avec cette définition ? Observons cette phrase de Nagui :

Ce n’est pas de la censure, surtout par rapport à la vraie censure qui risque d’arriver si Le Pen passe.

J’avoue goûter particulièrement le « surtout par rapport à ». En est-ce ou non ? Si l’on comprend bien, la vraie censure, c’est quand ce sont les méchants qui censurent. Quand c’est nous, ce n’est pas de la vraie censure.

Au demeurant, je pense que Nagui se trompe. La popularité de Le Pen doit tellement à l’hostilité que lui vouent les médias comme France Inter que, si elle est élue, elle aura, au contraire, intérêt à les laisser continuer comme avant. Elle aurait tout à perdre à les censurer. Ils se retrouveront dans la position de Cicéron, qui avait pensé à tort que Jules César le ferait assassiner par vengeance et qui enrageait en constatant que sa propre vie était, aux yeux de tous, la preuve de la clémence de son pire ennemi, fin propagandiste.

Reprenons: quand France Inter censure la chronique de Pierre-Emmanuel Barré, ce n’est pas de la censure. Or, ce qui surprend (ou pas), c’est que tous les médias sont d’accord pour dire que ce n’est pas de la censure.

Voyez plutôt :

Il « s’estime » censuré. C’est une appréciation personnelle. Comme si l’on ne pouvait objectivement nommer le problème. Pourtant, la raison invoquée par Nagui est claire : cette chronique « faisait le jeu de ».

Tous les médias acceptent donc tacitement la distinction entre vraie et fausse censure, c’est-à-dire entre censure interdite et censure autorisée, formulée par Nagui.

On conclura avec cette citation tirée de la tribune des trois ex-collègues de P.-E. Barré:

Soupçonner la radio de service public de censure est une chose grave.

Comprenez bien: ce qui est grave n’est pas que la radio de service public censure, mais qu’on la soupçonne de censurer. Par « chose grave », il faut donc ici entendre « chose interdite ». Nous n’avons pas le droit de soupçonner cette radio de pratiquer la censure. Si l’on en croit Nagui, elle ne pratique en effet que la fausse censure, c’est-à-dire la bonne.

 

7 commentaires

  1. Tous les journaux pratiquent la censure. Lorsqu’elle est officielle, cela s’appelle le respect d’une ligne éditoriale, et elle est justifiée; un journal paye ses salariés pour servir ses visions politiques et ainsi satisfaire ses lecteurs (clients).
    Mais télés et radios pratiquent d’autres formes de censure: implicites et supposément inexistantes: elles se prétendent objectives, ce qui est la marque de la gauche hégémonique, pour ne pas dire totalitaire.
    La majorité des journalistes qui y travaillent sont de la même tendance politique (la bonne et la seule qui le soit), et n’ont donc pas besoin d’être censurés; les autres pratiquent l’auto-censure, pour garder leur job.
    Barré a certainement prémédité son coup: il était à peu près sûr qu’il serait censuré (bien vu), et il a voulu que ça se sache. Sans doute a-t-il besoin d’un peu de pub pour se démarquer de concurrents qui lui font trop d’ombre.
    Ses collègues veulent amoindrir l’affaire: s’ils reconnaissaient que la censure existait à France Inter, et qu’ils y restent malgré tout, leur réputation -et donc leur carrière- en souffrirait.

  2. Chère Ingrid,

    En résumé, Barré s’est barré, car Nagui a barré sa chronique…

    Je vous souhaite une belle journée.

  3. Le prétendu humoriste en question n’a pas démenti la version de Nagui selon laquelle il lui aurait proposé, après réflexion, de tenir quand même cette chronique sans en changer une lettre. Je n’ai pas de mal à la croire, M. Barré faisant partie de ces faux dissidents, très nombreux sur les chaînes télé et radio d’État, prêts à saisir n’importe quelle occasion pour attirer l’attention. La réaction stupide de Nagui a offert une chance unique à ce triste sire de s’afficher comme la voix qui dérange. Il en est loin : à l’instar des pitoyables Meurice ou Vanhoenacker, il passe son temps à taper sur les social-traîtres, conformément à la ligne éditoriale de notre Radio-Paris moderne.

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