Réponse à Natacha Polony et Frédéric Rouvillois

Depuis samedi et la parution de la chronique de Natacha Polony dans Le Figaro, j’avais déjà l’idée de lui répondre et voilà qu’hier,Frédéric Rouvillois en remet une couche sur cette fameuse charte sur Causeur. Que mes deux amis me pardonnent mais, dans leurs plaidoyers respectifs contre « l’uniformité » jacobine, ils omettent quelques éléments qui ne sont pas sans importance.

 

Avant de vous les indiquer, chère Natacha, cher Frédéric, permettez-moi de vous rassurer : je ne suis pas -ou précisément je ne suis plus- le jacobin obtus que vous imaginez. J’ai longtemps pensé, effectivement, fruit de mon engagement séguino-chevènementiste et de mon origine -la Franche-Comté- dénuée de langue régionale, que mon jacobinisme était inséparable de mon attachement au triptyque Nation-Etat-République. C’est vous, Natacha, qui avez contribué à me faire évoluer sur le sujet. Je suis désormais plus sensible à cette diversité célébrée par Braudel et j’ai fini par trouver incohérent de la célébrer à mon tour sur les seuls plans géographiques et gastronomiques. Autant le reconnaître, la perspective d’allier la République à la diversité de ses territoires contre la globalisation avait même de quoi me séduire.

 

Seulement voilà, il ne nous est pas demandé de célébrer la diversité linguistique française, ce qui a du reste a déjà été fait en 2008, comme vous le rappelez, chère Natacha. Il nous est demandé de ratifier une charte. Une charte européenne. Et une charte européenne de promotion des langues régionales, certes, mais aussi minoritaires, ce que vous omettez tous les deux (opportunément ?). Cette charte pourrait avoir des conséquences inquiétantes sur notre droit.

 

Lors de la signature de cette charte, Lionel Jospin avait demandé à un juriste d’en étudier ses effets. D’après ce dernier, on pouvait adjoindre à la charte une déclaration interprétative permettant à la France de ne ratifier que 35 articles sur 98. Aujourd’hui, la possibilité de pouvoir piocher à la carte dans les articles de cette charte n’est plus si évidente. Son article 21- que les députés viennent d’approuver – dispose que le texte interdit toute réserve,hormis sur les paragraphes 2 à 5 de l’article 7. D’autre part, en son préambule, il est stipulé que «  que le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans sa vie privée et publique constitue un droit imprescriptible ». Autant dire que, malgré la déclaration interprétative française, la Cour européenne des droits de l’Homme pourra très bien reconnaître à un justiciable de voir se dérouler son procès en occitan, ou à un couple armoricain de voir célébrer son mariage en breton. Cela constituerait un recul par rapport à l’ordonnance de Villers-Côtterets (1539), chère à François 1er. Juridiquement, rien n’est certain mais le doute est permis. J’avoue que ma confiance dans les jugements futurs de la CEDH n’est pas excessive. Chat échaudé…

 

Cette charte est européenne. Elle ne tombe pas du ciel. Qui en sont les promoteurs ? Un collectif, la FUEV (Föderalistische Union Europäischer Volksgruppen). Fondée en 1949, présidée par Joseph Martray puis par le séparatiste breton Lemoine, elle n’était pas sans lien avec les réseaux pangermanistes. Elle a malgré tout réussi à devenir un groupe de pression très puissant au point qu’on lui confie la rédaction de cette charte, ayant obtenu un statut de groupe de travail au Conseil de l’Europe. Véritable adversaire de l’Etat-Nation, la FUEV n’a pas rédigé cette charte dans un esprit braudélien, c’est le moins qu’on puisse écrire. Dès lors, comment peut-on rêver d’une alliance Nation-Territoires en acceptant de ratifier un tel texte ? C’est bien dans l’optique d’une Europe des ethnies qu’a été rédigée la charte des langues régionales et minoritaires.

 

Je veux bien que notre pays s’efforce de préserver son patrimoine linguistique. Mais à condition que nous le décidions nous-même, en nation souveraine. S’appuyer, pour le faire, sur un texte supranational rédigé par des ennemis de l’Etat et de la République, c’est sans moi. Et, franchement, pour commencer à bien vous connaître tous les deux, cela devrait être sans vous.

 

En 1969, lorsque le Général de Gaulle fit son discours à Quimper, il acta le fait que la nation étant redevenue solide et unie, il était temps de redonner la parole aux provinces et aux territoires. Et il proposa la régionalisation (qui n’était pas une fédéralisation !). Aujourd’hui, nous sommes une nation de moins en moins solide, unie et souveraine ; ce n’est pas le moment de diviser encore davantage le pays. Et puis, franchement, vous pensez vraiment que les langues régionales se meurent parce que nous n’avons pas ratifié cette charte? Il y a aujourd’hui possibilité de passer des épreuves en occitan ou en basque. Ne pas pratiquer le corse dans une école de  Bastia entraîne déjà la convocation de ses parents au rectorat !

 

Ce qui tue les langues régionales, à l’évidence, c’est l’éclatement des familles, le divorce de masse, la perte de la transmission, notamment au cours des grandes tablées qui réunissaient trois ou quatre générations le dimanche. Aujourd’hui, le dimanche, les Français courent pour rendre les gosses à la maman, ou au papa. Ils ont de moins en moins de temps pour ces grands banquets. Et quand ils forment une famille nucléaire classique, ils préfèrent aller à Casto ou se reposer d’une semaine de travail pas toujours épanouissante. Les nombreuses restructurations économiques intervenues depuis une trentaine d’années ont aussi déplacé de nombreuses populations françaises, de l’est vers l’ouest, et du nord vers le sud, contribuant à faire éclater les cellules familiales et à diluer le fait régional. Ce n’est pas la ratification de cette charte qui réglera ces problèmes.

 

Chère Natacha, Cher Frédéric, comme le rappelait Philippe Séguin dans un de ses meilleurs discours, « souvenez-vous du cri de Chateaubriand à la Chambre en 1816 : Si l’Europe civilisée voulait m’imposer la Charte, j’irais vivre à Constantinople ! » On ne saurait mieux résumer mon état d’esprit.

 


6 commentaires

  1. Les langues régionales seront-elles cantonnées dans leur province d’origine (le corse en Corse, le breton en Bretagne) ou bien seront-elles « possibles » dans tout le territoire voire l’Europe ?

    De même, à partir de combien de locuteurs dit-on d’une langue qu’elle est minoritaire ? A voir le nombre de nationalités qui coexistent dans certains quartiers, on peut s’inquiéter du nombre d’interprètes qu’il faudrait embaucher pour permettre à tout un chacun de pratiquer sa langue dans sa vie publique !

  2. @DD,

    La langue est le premier combat politique. Renoncer sur ce point aujourd’hui est un signe clair en faveur du fédéralisme européen. Chacun sait d’où vient ce mouvement promotionnel qui n’a rien de spontané et qui est pleinement politique.

    Ne me dites pas DD que vous attendez les articles de M. Rouvillois ou de Mme. Polony pour fixer votre cap idéologique.

    Il convient évidemment de laisser libre l’enseignement de ces « langues », et il ne me semble pas que la République française de 2014 empêche cet enseignement ou nie les spécificités régionales.

    Ce dont il s’agit c’est de laisser intact le français compris – notamment – comme seule et unique langue politique de la nation, et ce parce qu’il n’y a qu’une nation sur le territoire français.

    Par ailleurs, il ne s’agit en rien en la cause d’uniformité ou d’uniformisation comme le prétend M. Rouvillois, mais seulement d’unité. Ne renversons pas les choses. Voilà que se vérifie encore l’assertion selon laquelle la langue est le premier des combats politique.

    La France de 2014 n’est pas celle de 1794, contrairement à ce qu’on veut nous faire croire. 2014 n’est pas le temps de l’hégémonie abstraite du jacobinisme, mais celui de l’offensive acharnée d’un certain « européisme girondin » – si l’expression a un sens.

    Résumons, et ne nous laissons pas piéger par la sémantique idéologique du camp d’en face. Notre politique affirme une identité française et des particularités régionales. Par surcroît, Il n’est nullement question d’uniformité mais bien d’unité en ces temps troublés où la nation est contestée par l’horrible machin européen.

    Mistral, quoi qu’on puisse en dire, est d’abord un écrivain français. La France, à hauteur elle-même, se pense en Français.

    En cette sombre période ou le fédéralisme européen vient contester la nation et s’approprie, avec certaines complicités, les prérogatives du peuple français souverain, il apparaît peu pertinent de venir renforcer le poids politique des « langues » régionales.

    L’enseignement des langues régionales est bridé dans ce pays ?

    Et si jamais il convenait de se rappeler ce que sont les priorités de l’enseignement en France, alors fixons un instant notre regard sur les statistiques attachées à la maîtrise du français des collégiens des classes de sixième.

    Fermez l’ban !

    • Je n’attends pas les articles de Natacha et Frédéric pour fixer mon cap idéologique. Mais leur avis compte pour moi, je suis souvent d’accord avec eux et je pointe ici un désaccord. Et je participe ici au débat avec eux et avec tous mes concitoyens.

      • C’est entendu DD.

        Objectif 2014 : sortie et fin de l’UE, fin de l’euro, sortie de l’Otan, sortie du Conseil de l’Europe. Fin de partie européiste.

        Liberté !

        Sur les verrous des traités
        Sur la concurrence forcenée
        Sur la morgue des financiers
        J’écris ton nom

        Sur mes cahiers d’écolier
        Sur mon pupitre et les arbres
        Sur le sable de neige
        J’écris ton nom

        Sur toutes les pages lues
        Sur toutes les pages blanches
        Pierre sang papier ou cendre
        J’écris ton nom

        Sur les images dorées
        Sur les armes des guerriers
        Sur la couronne des rois
        J’écris ton nom

        Sur la jungle et le désert
        Sur les nids sur les genêts
        Sur l’écho de mon enfance
        J’écris ton nom

        Sur les merveilles des nuits
        Sur le pain blanc des journées
        Sur les saisons fiancées
        J’écris ton nom

        Sur tous mes chiffons d’azur
        Sur l’étang soleil moisi
        Sur le lac lune vivante
        J’écris ton nom

        Sur les champs sur l’horizon
        Sur les ailes des oiseaux
        Et sur le moulin des ombres
        J’écris ton nom

        Sur chaque bouffées d’aurore
        Sur la mer sur les bateaux
        Sur la montagne démente
        J’écris ton nom

        Sur la mousse des nuages
        Sur les sueurs de l’orage
        Sur la pluie épaisse et fade
        J’écris ton nom

        Sur les formes scintillantes
        Sur les cloches des couleurs
        Sur la vérité physique
        J’écris ton nom

        Sur les sentiers éveillés
        Sur les routes déployées
        Sur les places qui débordent
        J’écris ton nom

        Sur la lampe qui s’allume
        Sur la lampe qui s’éteint
        Sur mes raisons réunies
        J’écris ton nom

        Sur le fruit coupé en deux
        Du miroir et de ma chambre
        Sur mon lit coquille vide
        J’écris ton nom

        Sur mon chien gourmand et tendre
        Sur ses oreilles dressées
        Sur sa patte maladroite
        J’écris ton nom

        Sur le tremplin de ma porte
        Sur les objets familiers
        Sur le flot du feu béni
        J’écris ton nom

        Sur toute chair accordée
        Sur le front de mes amis
        Sur chaque main qui se tend
        J’écris ton nom

        Sur la vitre des surprises
        Sur les lèvres attendries
        Bien au-dessus du silence
        J’écris ton nom

        Sur mes refuges détruits
        Sur mes phares écroulés
        Sur les murs de mon ennui
        J’écris ton nom

        Sur l’absence sans désir
        Sur la solitude nue
        Sur les marches de la mort
        J’écris ton nom

        Sur la santé revenue
        Sur le risque disparu
        Sur l’espoir sans souvenir
        J’écris ton nom

        Et par le pouvoir d’un mot
        Je recommence ma vie
        Je suis né pour te connaître
        Pour te nommer

        Liberté

        (Eluard – 1942)

  3. Autre question : les langues des « quartiers » seront-elles considérées comme « langues régionales » du 9 cube ou des quartiers nord de Marseille ? Rien ne s’y oppose si on lit attentivement la charte européiste des langues régionales.
    En outre, les langues régionales qui ont disparu, ou quasiment, comme la langue d’oc dans ses différents dialectes par exemple, ou les patois – comme le bourguignon qui m’est cher et dont je dois être un des derniers locuteurs – c’est également avec l’uniformisation des médias radiotélévisés et l’école.
    On n’y peut rien. Que des associations s’en occupent, c’est très bien, mais il ne faut surtout pas remettre en cause l’article 2 de notre Constitution.
    Il vaut mieux défendre le français face à l’hégémonie de l’anglais dont on peut mesurer les dégâts, par exemple dans les sciences humaines et sociales qui s’appauvrissent de jour en jour pour cela.

  4. Tout à fait d’accord avec Le Rouméliotte.
    Enfant, dans mon village jurassien, on parlait « patois ».
    Plus amusant encore, ma mère originaire de Savoie ne le comprenait pas.
    Alors, lors des réunions de famille, Père et tantes paternelles parlaient patois et « traduisaient » en français pour ma mère.
    Nous, les enfants, on comprenaient les deux idiomes.
    Cela donnait une ambiance unique, désormais révolue.
    A ce jour cependant, la défense, car il s’agit de défense de notre langue nationale est une priorité afin de ne pas laisser l’anglais la supplanter, comme déjà c’est largement le cas sur notre territoire, dans bien des secteurs.
    Ne jamais oublier que la langue est une arme au service du peuple pour véhiculer, voire imposer sa philosophie et ses concepts de société.
    Anglophones de tout poil, notamment, ne s’y trompent pas et ils doivent bien rigoler de nous voir nous chamailler sur un
    concept dépassé.
    En France comme toujours les querelles inutiles nous font manquer le train de l’Histoire.
    Une nouvelle fois, les coupeurs de cheveux en quatre sont rois chez nous.

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