Dans coronavirus, il y a « russe »!


Le journaliste Brice Couturier voit la main de la Russie partout. Notre chroniqueur David Desgouilles appelle l’ardent défenseur d’Emmanuel Macron à garder raison.


Cher Brice Couturier,

Nous nous connaissons peu. La seule fois où j’ai eu l’honneur de vous rencontrer, c’était lors de la première réunion du Comité Orwell, présidé par Natacha Polony. Vous y aviez alors côtoyé le gratin du souverainisme métapolitique français, ce qui, de la part de l’ancien rédacteur en chef du Meilleur des mondes, constituait la marque d’une grande ouverture d’esprit. Des amis communs m’avaient loué votre honnêteté intellectuelle, votre travail sérieux. Enfin, j’avais eu la surprise de découvrir que vous citiez une de mes tribunes dans votre livre Macron, président philosophe, ce qui tendait à indiquer que l’estime pouvait bien être réciproque.

Complot russe

Mais depuis l’été 2018, il faut bien reconnaître que nous nous sommes perdus. Alors que l’affaire Benalla défrayait la chronique, tous ceux qui émettaient quelques critiques sur la gestion présidentielle de cette affaire devenaient, de votre part, des complices d’un complot russe. Tous ceux qui vous faisaient remarquer que cette idée fixe était déraisonnable étaient renvoyés fissa dans le même camp. Quelques mois plus tard, les gilets jaunes eux aussi devenaient les outils de la volonté poutinienne de déstabiliser l’Occident.

Évidemment, ceux qui, comme moi, acceptaient l’invitation de Frédéric Taddéi sur RT France devenaient de facto des agents du FSB au mieux, des collabos au pire. En pleine crise des gilets jaunes, juste après l’intervention présidentielle du 10 décembre, j’y devisais justement avec Christophe Di Pompeo, député LREM du Nord. Ensemble, nous y avions salué la volonté présidentielle de tourner le dos aux sacro-saints 3% de Maastricht. Il y a quelques semaines, je retournais chez Taddéi pour y défendre cette fois le droit à la vie privée de Benjamin Griveaux. Les agents du FSB sont rudement malins, n’est-ce pas ?

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Poutine entendrait générer la panique dans l’Union européenne

Pour vous, ceux qui critiquaient notre bon président-philosophe, journalistes, hommes politiques ou « polémistes », faisaient le jeu ou le lit de Vladimir Poutine. Il s’agissait en fait de la même méthode employée pour fustiger le Rassemblement national, sauf que le président russe fiche quand même vachement plus la trouille quand il parle que le duo de Montretout. Mais cela tombe bien, Marine Le Pen était évidemment aussi une pro-russe. Comme Mélenchon, comme Dupont-Aignan. Votre hôtesse du Comité Orwell était aussi classée dans cette catégorie. La pauvre a le tort de se prénommer Natacha (elle ne se cache même pas !) et le propriétaire de Marianne est tchèque, c’est quand même évident qu’elle est à la solde de Poutine.

Et puis samedi soir, vous avez triomphalement twitté une dépêche de l’agence Reuters. Le coronavirus, c’était les Russes aussi. Il faut dire que, comme Natacha, il ne se cache pas: dans coronavirus, il y a « russe ». Pourquoi n’y avait-on pas pensé plus tôt ?

La dépêche cite « un document de l’Union européenne », dont on n’a malheureusement pas les détails, et qui prouverait l’implication du gouvernement de Vladimir Poutine « pour générer la panique » en Europe de l’Ouest…

Injonctions contradictoires

Le FSB perd la main. S’il voulait générer la panique dans les rues, c’est un peu raté. Vous-même, Brice Couturier, constatez avec dépit que bien des Gaulois réfractaires ne se plient pas comme il le faudrait au confinement. Vous avez même fustigé, avec raison, une manifestation des gilets jaunes qui n’avaient pas l’air plus paniqués que cela. Vous avez même cité un papier de Jacques Julliard, publié dans Marianne par l’agent Natacha P. Il faut vous reprendre! Personnellement, j’ai davantage l’impression que ce sont plutôt les cercueils de Bergame ou les prises de paroles des soignants de nos hôpitaux surchargés qui commencent à produire des effets d’une crainte – et non d’une panique – bienvenue en la circonstance. Il est bien possible aussi que les injonctions contradictoires adressées aux Français depuis quinze jours puissent aussi provoquer davantage de panique que la moindre fausse nouvelle d’un bot russe.

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Ce n’est quand même pas Poutine qui a conseillé à tout le monde de se rendre au théâtre, avant de fermer les écoles quatre jours plus tard ! Deux jours après, on nous interdisait d’aller dans les bars, puis on nous invitait à aller voter dès le lendemain, avant de nous confiner tout de suite après, en nous expliquant qu’il fallait quand même aller travailler…

Désertons Twitter!

Entendons-nous. Je suis parfaitement conscient que la position d’Emmanuel Macron n’est pas facile et je reconnais bien volontiers qu’il n’est pas évident que d’autres feraient mieux que lui en la circonstance. Mais est-il bien raisonnable, cher Brice Couturier, de céder encore à la facilité de désigner l’ours russe ? N’avons-nous pas d’autres sujets plus urgents à traiter ? N’avons-nous pas une crise sanitaire et bientôt économique et sociale sur les bras ? Que l’Union européenne, qui montre sa totale inutilité quand la situation est grave, n’ait d’autres choses à faire que de pondre des rapports aux conclusions abracadabrantesques, passe encore. Mais vous ?

Aussi, je me permets de vous renvoyer à ma tribune du 16 août dernier dans Le Figaro. Cher Brice Couturier, profitez du confinement : arrêtez de twitter. Ce n’est bon pour personne, ni pour la cohésion de notre pays. Je le sais d’expérience, gazouiller en 280 signes ne donne pas ce qu’il y a de meilleur en nous. Le tweet est au journaliste ce que l’achat compulsif de papier toilette en temps de crise est à l’homme de la rue. Vous valez beaucoup mieux que ça. Si l’envie vous prenait de développer votre pensée dans ces colonnes, je ne doute pas que Causeur l’accueillerait volontiers.

Au plaisir de se revoir dans une réunion, si nous ne restons pas confinés trop longtemps, ou si l’Ours russe ne nous a pas mangés.

Bien cordialement,