L’autoroute offerte à Marine Le Pen

 

Un petit arbitrage pour commencer. Jérôme a répondu à Régis à propos du cas Juppé. Et je dois dire que le second est beaucoup plus convaincant. Il se trouve que j’ai un avantage sur mes deux camarades, c’est que j’ai fréquenté le RPR entre 1989 et 1997 et j’ai pu observer tout son personnel de très près. Et il faut bien le (re)dire à Jérôme, si la moindre trace de gaullisme avait été relevée sur l’actuel maire de Bordeaux, l’information me serait forcément revenue. Juppé est aujourd’hui un Macron en beaucoup plus vieux. Autant garder le jeune, mais on me souffle dans l’oreillette que Jérôme n’aime pas beaucoup le ministre de l’Economie. Reste que l’auteur du formidable Jugan a raison sur quelque chose : en Ve République, il nous appartient de choisir le moindre mal. Je pense pour ma part qu’il est encore un peu tôt pour se prononcer. Et plutôt périlleux. Rappelons-nous : dix-huit mois avant l’élection présidentielle de 1995, la fine fleur des éditorialistes se préparait à un duel Balladur-Delors.

Mais élargissons le propos au seul cas d’Alain Juppé et examinons les stratégies des uns et des autres. Tout se passe comme si les impétrants à la présidentielle de 2017 avaient déjà accepté l’idée que Marine Le Pen serait au second tour en 2017. Et comme dans un jeu de chaises musicales, la seule compétition consiste à prendre le second siège à l’arrêt des musiciens. Régis l’a montré, Juppé a adopté un positionnement que ne renierait pas Laurent Joffrin. Il charge, dans le désordre, Cassandre, déclinistes, souverainistes, et autres apporteurs d’heures les plus sombres, tout en conservant un programme économique similaire à celui de François Fillon, c’est-à-dire une réduction de 120 milliards des dépenses publiques, la fin de la durée légale du temps de travail, et la retraite à 65 ans. Nicolas Sarkozy a lui aussi décidé depuis quelques semaines d’abandonner la stratégie buissonnière. Il ne cache d’ailleurs pas son jeu. Samedi dernier, il a publiquement pronostiqué que les socialistes ne seraient pas au second tour. Donc, il dirige ses coups contre le FN, considérant que c’est désormais son seul adversaire. Enfin, François Hollande, qui pense qu’il n’a pas encore perdu, surtout si Nicolas Sarkozy est le candidat désigné par la primaire de droite, a couronné Marine Le Pen chef de l’opposition lors d’une séance qui a fait parler à Strasbourg. La présidente du FN n’en demandait pas tant. Président sortant, il s’érige en rempart contre le Mal, toujours souverainiste, décliniste, etc. Il mise également sur Emmanuel Macron qui élargit son spectre et peut lui permettre de mordre sur sa droite. On ajoutera François Bayrou, qui soutient Juppé, mais qui pense que Juppé ne sera finalement pas candidat, ce qui l’obligera à se dévouer. Et devinez contre quoi il se bat ? Contre les souverainistes, les Cassandre, les déclinistes, etc. Vous suivez ?

Voilà donc les principaux candidats à l’Elysée en train d’adopter unanimement la même stratégie et peu ou prou la même ligne politique, se définissant exclusivement par rapport au FN. Cela a une première conséquence : rendre encore plus probable la qualification de Marine Le Pen au second tour, puisqu’elle est ainsi placée au centre du jeu par tous ses adversaires. Deuxième conséquence, on lui fait cadeau, Hollande en tête, du souverainisme. Le rêve de Florian Philippot est en passe de se réaliser : faire de sa championne LA candidate estampillée « Non 2005 ». Quand il était le seul à le claironner, on n’était pas forcément obliger de le croire mais si Hollande, Juppé, Sarkozy et Bayrou le disent aussi, elle va commencer à apparaître ainsi pour un plus grand nombre d’électeurs. Or, en 2005, le Non a fait 55%. Et le sentiment anti-européen est loin d’avoir décru en dix ans. En misant sur une deuxième place derrière Marine Le Pen qui, pensent-ils, leur permettrait de gagner à coup sûr en finale, tous les adversaires de la présidente frontiste ouvrent à cette dernière une autoroute qui pourrait en faire une adversaire plus surprenante qu’ils ne le croient dans ce fameux second tour. Et quand bien même elle perdrait cette fois-ci, elle serait installée pour cinq ans comme la chef incontestée de l’opposition. Soyons charitables et prévenons-les gentiment. Messieurs, il est encore temps d’arrêter vos bêtises….

7 commentaires

  1. De grâce, David…Ne maltraitons pas notre langue (…on n’était pas forcément obliger de le croire mais si Hollande, Juppé…); il y en a suffisamment qui s’en chargent.
    Bientôt (?), la partie se cristallisera entre Macron (symbole mais peut être aussi réalité, s’il se rappelle que Pompidou fut banquier avant d’être président) et Le Pen (réalité bien entendu).

  2. Je lis tous vos billets que je trouve souvent pertinent et toujours intelligent. Je suis loin d’être en phase avec vous sur tout (quelques nuances parfois), mais ce billet est particulièrement réussi.

    Tenant également un blob: MechantReac.blogspot.fr je vous ajoute dans ma liste de mes blogs recommandés.

    Laurent

  3. J’ai quand même l’impression que la cible principale de Bayrou, c’est plutôt Hollande. Sarkozy vient en second.
    En ce qui concerne les Cassandre, je pense que Bayrou a suffisamment donné.
    Enfin, c’est le seul à observer avec justesse que la plupart des problèmes que connaît la France viennent de France au lieu d’aller chercher des coupables ailleurs (Europe, banques, riches, immigrés, et cetera…)

    • Mon cher Hérétique,
      Peu de gens disent que les problèmes de la France sont dûs aux immigrés, mais entre les deux phrases suivantes, il y a une grande différence, :
      – Les problémes de la France sont dûs aux immigrés
      – La France (mais aussl l’Europe) ne peut accueillir toute la misére du monde.
      Cette différence, même Bayrou peut la saisir. En revanche, cela ne semble pas ètre le cas de l’élite française (Politiciens, media, « intellectuels »,…),
      La distincion en question peut s’appliquer à toute votre liste: Europe, Banques, Riches, etc…

  4. Je n’ai pas le sentiment que Bayrou vise en priorité les souverainistes à l’heure actuelle.
    Il concentre ses attaques contre Hollande, et, dans une moindre mesure, Sarkozy.
    Pour le reste, le souverainisme n’est pas un poison si on en assume toutes les conséquences.
    Ce n’est pas le cas de la France.

    • Je vous accorde qu’il en rajoute pas comme les trois autres, sans doute parce qu’il est déjà identifié comme un centriste très européen.
      Et d’ailleurs, je respecte sa sincérité et le fait qu’il n’avance pas masqué, en ce qui concerne ses projets en matière d’intégration européenne.
      Mais il occupe néanmoins le même espace politique que les trois autres.

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