On lui reproche (à tort) d’avoir critiqué la ville de Niort dans son dernier roman


La sortie du nouveau livre de Michel Houellebecq a provoqué une polémique inattendue à laquelle il fallait pourtant s’attendre: susceptible, la ville de Niort s’est offusquée d’une phrase du narrateur qui ne la met pas en valeur. 


« Et puis refuser les plateaux télé évite d’avoir à répondre à des questions idiotes, du genre: “Pourquoi dites-vous page 124 d’une femme de 50 ans qui ne vous fait pas bander qu’elle préfère ‘incriminer les antidépresseurs plutôt que ses propres bourrelets’ ? Ce n’est pas très sympa pour vos lectrices quinquagénaires!” Il est épuisant d’avoir sans cesse à rappeler la distinction entre l’auteur et le narrateur, ce b. a.-ba du roman que les présentateurs télé ignorent car ils ont, littérairement, le niveau du BEPC, lequel d’ailleurs n’existe plus. »

Frédéric Beigbeder avait donc anticipé le phénomène une semaine avant la parution de Sérotonine, le dernier né de Michel Houellebecq. Comme d’habitude, on confondrait auteur et narrateur, voire auteur et personnage. Le chroniqueur du Figmag n’avait certes pas donné l’exemple de Niort, mais l’intention y était et la polémique venue des Deux-Sèvres était déjà en gestation lorsque l’hebdo du Figaro était en vente. Houellebecq attaquait cette ville qui n’avait rien fait à personne. Et qui d’ailleurs a des coins sympas, ce dont personne ne doute.

« Niort est la ville la plus laide qui m’ait été donné de voir »

Immédiatement, une angoisse est née. Dans le manuscrit livré aux bons soins des Editions du Rocher, avais-je prêté à un de mes personnages des propos dénigrant une ville ou une région ? Y aurait-il un habitant susceptible pour lancer une fatwa sur Twitter ? L’angoisse est vite passée. Même si je vends beaucoup plus que Jean-Christophe Cambadélis, je suis beaucoup moins attendu que Michel Houellebecq, et donc beaucoup moins scruté. Mais quand même. La condition de romancier devient difficile au temps des « social justice warriors ». La tyrannie des susceptibles, si bien décrite par Polony et Quatrepoint dans leur dernière livraison commune, est désormais à l’œuvre jusque dans ce vieux pays littéraire, la France. Et c’est triste.

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Les salons du livre en province ne désemplissent pas. Plusieurs centaines de romans viennent de sortir pour la rentrée de janvier, mais il n’y a plus que quelques mauvais coucheurs pour rappeler, au cœur de la polémique, que ce n’est pas Michel Houellebecq qui trouve que « Niort est la ville la plus laide qui [lui] ait été donné de voir », mais Florent-Claude Labrouste, personnage dépressif, qui vient de se taper les bouchons à Bordeaux sur l’A10 et a découvert quelques jours plus tôt que sa petite amie participait à des gang-bangs avec des gros chiens. Perso, dans un tel état, je suis prêt à trouver Niort, mais aussi Besançon ou l’Arc de Triomphe très moches.

Défendons Niort-qui-n’est-pas-laide !

Mais les susceptibles de 2018 n’ont plus ouvert le dictionnaire au mot « contexte » depuis longtemps. Et comment les en blâmer, puisque même les présentateurs de télévision, comme l’écrit Beigbeder, ne donnent pas l’exemple. Il semble que ce soit Libé qui ait tiré le premier en balançant quelques amabilités de Florent-Claude Labrouste à la vindicte des foules de Twitter et Facebook, comme des morceaux de viande bien fraîche aux lions du zoo de la Citadelle de Besançon (une ville bien plus jolie que Niort, au passage, me souffle le narrateur de Sérotonine).

Mais puisque nous avons, quant à nous, ouvert le dico à la page de « contexte », préoccupons-nous en un peu. La sortie de Sérotonine, et sa fameuse pique à la ville de Niort, interviennent en plein cœur du mouvement des gilets jaunes, sur fond de mépris des élites parisiennes pour les petites villes de province. L’épiderme y est d’autant plus sensible. Les gens aiment leur ville et détestent par-dessus tout la voir dénigrée. Alors, tant pis si Labrouste, quelques pages plus loin, n’est guère plus tendre avec les « Parisiens écoresponsables », défendons Niort-qui-n’est-pas-laide, et fustigeons l’écrivain déconnecté qui doit préférer les vacances à Kuala Lumpur que dans la vieille province française.

Sérotonine, un hymne à cette France enracinée

Le problème, justement, c’est que Sérotonine est un hymne à cette France enracinée et une critique acerbe de la mondialisation sauvage. Michel Houellebecq se révèle donc la plus mauvaise cible qui soit. En 2018, quand une polémique naît sur les réseaux sociaux et qu’elle commence à prendre de l’ampleur, les chaînes d’information continue prennent le relais, puis TF1 et France 2, si affinités. Tout le monde a donc débarqué à Niort pour interroger les habitants dont la ville avait été ainsi dénigrée par notre écrivain national auquel, comble de l’horreur, le président de la République venait d’accorder la Légion d’honneur. Et c’est un vieux camarade de mes combats politiques, le maire Jérôme Baloge, féru de littérature, et qui connaît bien – je tiens ici à rassurer tout le monde – la différence entre auteur et narrateur, qui a dû faire le boulot de communication. Qu’auriez-vous fait à sa place ? Il n’allait quand même pas fustiger ceux qui, parmi ses administrés, avaient eu à cœur de défendre la beauté de la « Venise verte » ! La polémique offrait une campagne de promotion à sa ville et, avec flegme et humour, il en a largement profité.

En plus, la météo était au rendez-vous et mettait en valeur la cité. Combien un cabinet spécialisé aurait-il facturé une telle campagne de promotion ? Jérôme Baloge m’a répondu qu’il n’en savait rien parce que, de toute manière, Niort n’en avait pas les moyens.

A défaut de pouvoir inviter Florent-Claude Labrouste, il a donc invité Michel Houllebecq à Niort pour lui offrir de l’angélique, spécialité locale dont les vertus pour le bien-être vaudraient bien celles de la sérotonine.

Tout va donc pour le mieux du côté de Niort. En revanche, du côté de la compréhension de la littérature et du développement des polémiques à deux balles, l’angoisse demeure.