À l’UMP, il devra affronter Bruno Le Maire… et tous les autres

Le 29 novembre prochain, les militants UMP désigneront leur nouveau président en votant sur Internet. Pour l’instant, seuls deux seuls candidats se sont officiellement déclarés. Il s’agit des députés Hervé Mariton et Bruno Le Maire. François Fillon a déjà expliqué qu’il ne briguerait pas ce poste, de même qu’Alain Juppé ou Xavier Bertrand. Tous ceux-là misent sur la primaire qu’ils considèrent comme la seule échéance importante,  puisque selon les actuels statuts de l’UMP, cette compétition désignera le candidat pour la présidentielle.

Mais celui que tout le monde attend est évidemment Nicolas Sarkozy. L’Ex continue de maintenir le suspense sur sa candidature à la présidence de l’UMP. Hier, il a accordé un entretien à Valeurs actuelles où il explique encore qu’il est en phase de réflexion. Par ailleurs, il envoie d’autres signaux, y compris sur le côté pipole, en se faisant photographier en scooter avec sa dulcinée à l’arrière, paréo au vent. Bref, il poursuit sa stratégie de cartes postales, oubliant que le but d’une carte postale, c’est d’être rare. Au bout de la douzième, on ne la lit même plus. Cette stratégie est d’autant plus difficile à comprendre qu’il met au centre de sa réflexion le concept de « devoir », par opposition à l’idée d’envie et de désir, qui motive une première candidature mais pas un retour.

Or, si l’envie et le désir peuvent varier et résulter d’une longue introspection, le devoir obéit à des faits objectifs. En l’occurrence, il s’agirait donc de l’état de la France, du monde, de sa famille politique, mais aussi de la capacité de ses concurrents UMP à relever les défis. Cet état des lieux est possible dès aujourd’hui. Début septembre, sur ces sujets, il n’y aura guère d’éléments en plus pour se faire une idée. De deux choses l’une : soit Nicolas Sarkozy a déjà pris sa décision contrairement à ce qu’il affirme, et il s’agit d’une grossière affaire de com’ que même Bygmalion n’oserait proposer, soit il s’agit bel et bien d’une affaire d’envie et de désir, ce qui serait après tout fort légitime, mais l’histoire retiendra que Sarkozy a commencé sa campagne sur un gros malentendu, pour être charitable. En fait, il doit actuellement se demander quelle position il devra prendre pendant la campagne interne sur le sujet de la primaire UMP.

À l’origine, Sarkozy voulait plutôt tout envoyer balancer en cas d’élection à la présidence du parti. Henri Guaino soutient cette thèse, expliquant que le système des primaires américaines n’est pas conforme à l’esprit des institutions de la Ve République. Pour le député des Yvelines, que la gauche, qui n’a jamais eu un rapport amoureux avec la constitution gaullienne, ait souhaité déroger à cet esprit n’est guère étonnant, mais ce serait en revanche contre-nature de le faire dans un parti qui se le veut continuateur du Général de Gaulle[1. On ne rit pas. J’ai bien précisé : « qui se veut ».]. De surcroît, un ancien président de la République, qui a parlé d’égal à égal avec les grands de ce monde, peut-il s’abaisser à un débat de primaire avec Xavier Bertrand et son propre ancien Premier ministre ? Pour Nicolas Sarkozy, poser la question c’était y répondre. Forcément par la négative. D’où l’envie de passer par la présidence de l’UMP et de s’imposer comme le candidat naturel en sautant la case primaire. Une fois élu à la tête du parti, faire avaliser l’acte de décès de la primaire UMP par les militants serait un jeu d’enfant. Seulement, certains sarkozystes pensent que l’image de leur champion prendrait un sacré coup si l’ancien président cassait la primaire, donnant ainsi l’impression de ne pas supporter la compétition. Ses très proches, comme Roger Karoutchi, estiment qu’il ne vaut pas le coup de bazarder une primaire alors que cette dernière lui permettrait d’écrabouiller ses concurrents -dont l’honni Fillon. Cet argument ne manque pas de poids. Même s’il se heurte à une autre contradiction : si c’est pour se présenter aussi à la primaire, pourquoi passer par la case « présidence de l’UMP » et s’embarrasser de la gestion d’un parti financièrement exsangue ?

L’un des candidats déclarés à la direction de l’UMP ne s’embarrasse pas de toutes ces questions : Bruno Le Maire a pris tout le monde de vitesse. Alors que Fillon, Bertrand et sans doute Juppé comptaient sur la candidature de François Baroin pour garder le parti au chaud jusqu’à la primaire, ce dernier a préféré les snober et a accepté de briguer la présidence… de l’Association des Maires de France. Peut-être pressentait-il qu’il devrait affronter Nicolas Sarkozy et que, dans ces conditions, être le candidat de la triplette Fillon-Juppé-Bertrand le mettrait hors-jeu pour longtemps en cas de victoire de l’ex-président ? Or, le député-maire de Troyes fait partie des personnalités que Nicolas Sarkozy courtise, notamment en vue de l’après 2017. Dans ces conditions, le forfait de Baroin doit être interprété par Fillon, Juppé et Bertrand pour ce qu’il est : a minima, l’ancien ministre des Finances ne veut pas se brouiller avec Sarko ; au maximum, à moins qu’il roule carrément pour lui.

Mais revenons à Bruno Le Maire. L’ancien ministre de l’Agriculture fonce depuis l’annonce de sa candidature. Pendant que Nicolas Sarkozy « réfléchit », il squatte les matinales de radio, fait campagne partout en France auprès des militants UMP, dans une volonté assumée et affirmée de « tourner la page ». Rompre avec la séquence 2012-2014 et la guerre Copé-Fillon mais aussi avec tout le reste, Nicolas Sarkozy compris. Le moins que l’on puisse dire est qu’il trouve du répondant à droite. Même si les militants UMP sont en majorité naturellement sarkozystes, l’affaire Bygmalion et les histoires de dépassement de frais de campagne de Nicolas Sarkozy peut les inciter à se poser des questions, y compris sur leur Nicolas chéri. Chez les électeurs UMP, la tentation du coupde balai général, de l’appel à un homme neuf commence à faire son chemin. Une idée qui apparaît beaucoup plus crédible que le recours à un vieux sage, pas si sage que cela. Le Maire a des atouts. Il est un des rares hommes de lettres de son camp, certainement le seul de sa génération. Comparez un livre de Copé avec un ouvrage de Bruno Le Maire et vous sentirez la différence. Sur la forme et sur le fond. Le Maire a du talent littéraire, il peut raconter l’accouchement de sa femme, au milieu d’un sommet européen sur l’agriculture et un dialogue avec Jean-Pierre Raffarin, sans que le lecteur ne soit désarçonné. Ce talent, il parvient aussi à le faire passer lors de ses apparitions télévisées ou radiophoniques. Les militants ont l’air conquis lorsqu’il s’exprime devant eux. Le Maire a commencé à engranger des soutiens plutôt éclectiques.

Une seule anecdote suffira à ne donner aucune chance au pauvre Mariton : j’avais discuté de la future candidature de Baroin avec un jeune cadre de l’UMP. Alors que, plutôt libéral, il avait soutenu la motion « La boîte à idées » en 2012, qu’il m’avait spontanément parlé de Mariton comme d’un excellent choix pour la gestion de l’UMP, il a évidemment rejoint Le Maire dès que celui-ci a annoncé sa candidature. Le soutien du député européen Arnaud Danjean peut aussi être considéré comme révélateur. Avec le député Guillaume Larrivé ou le nouveau maire de Reims Arnaud Robinet, il faisait partie des jeunes sur lesquels Nicolas Sarkozy compte s’appuyer pour sa campagne de 2017. Le fait que Danjean soutienne Bruno Le Maire alors que Nicolas Sarkozy n’a pas fait connaître sa décision constitue un signe fort. Enfin, le député de l’Eure a fait évoluer son discours. Ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin, il était considéré comme un tenant d’une ligne de centre-droit, plutôt modérée, gentiment européenne et s’était « courageusement » abstenu sur la loi Taubira.

Depuis qu’il est candidat, Le Maire a substantiellement « virilisé » son discours, malgré son physique de gendre idéal. Il a ainsi décontenancé les filles d’Osez le Féminisme, en expliquant que le président de l’UMP devait « avoir des couilles »[2. « Burno » Le Maire, l’a logiquement surnommé un médisant anonyme.]. Et sur le fond, il a effectué le virage « national » désormais incontournable pour qui guigne le suffrage des militants UMP, des électeurs de droite et d’une large majorité du corps électoral. Dans un dialogue avec Pascal Bruckner, il déclare : «  Je ne vois pas d’autres solutions que la réaffirmation de la nation. Qu’est-ce qu’être français? C’est connaître et respecter l’histoire de France, la langue française, les traditions françaises. La réponse à la barbarie, c’est l’éducation, c’est l’histoire, c’est la réaffirmation de la nation […] Nous sommes à la croisée des chemins: il faut choisir entre la nation et le communautarisme. Lorsque François Hollande a évoqué le droit de vote des étrangers aux élections locales le 14 juillet dernier, il a choisi son camp: celui du communautarisme. Cela revient à briser un principe fondamental de la République: le lien entre citoyenneté et droit de vote. Moi, je choisis le camp de la nation. ».

Comme Laurent Wauquiez a oublié Jacques Barrot au profit des tribunes co-signées avec Guaino et Peltier, Copé passé du chiraquisme gentil au petit pain au chocolat, ou Fillon qui, après avoir fustigé la ligne Buisson, déclara que le moins sectaire entre un candidat PS et un du FN n’était pas forcément le second, Le Maire a compris que la ligne centristo-européenne, médiatiquement populaire, n’était pas la plus payante électoralement. On en déduit que Bruno Le Maire ne vise pas la présidence de l’UMP pour gérer tranquillement la boutique. Et il s’est d’ailleurs bien gardé de dire qu’il excluait d’être ensuite candidat à la primaire. Le Maire roule pour lui-même. Sa candidature doit sérieusement enquiquiner Nicolas Sarkozy, tout en piégeant Fillon et Juppé. S’il y a duel entre l’ex-président et son ancien ministre de l’Agriculture, qui les deux triumvirs soutiendront-ils ? Favoriser Le Maire, et lui permettre éventuellement de gagner, c’est le mettre sur orbite pour la présidentielle. Soutenir Nicolas Sarkozy signifierait qu’ils renonceraient à leurs ambitions : un tel choix serait suicidaire.

Quand bien même Sarko ne serait finalement pas candidat en septembre, il sera trop tard pour susciter une candidature capable de battre un Bruno Le Maire, en campagne depuis le début de l’été. Seuls un duo Guaino-Wauquiez pourrait alors lui faire de l’ombre.

Dans tous les cas, Fillon et Juppé risquent d’être les cocus de l’histoire. Et Le Maire est désormais une personnalité incontournable pour 2014-2017. Ce sont les leçons UMP de l’été 2014.

1 commentaire

  1. Le profil de BL était parfait dans les années 80. Nous avons depuis pris la mesure des limites de la pensée techno dans le champ politique. Incarner l’administration et le « mandarina » n’est plus une affaire qui roule. Chirac a certes fait l’ENA mais il a surtout une descente d’athlète olympique et la pogne la plus rapide du monde tous marchés primeurs confondus. Il incarne quoi BL ? Le spleen de la poésie allemande fin XIXème ? Sencha ou Lapsang souchong ? Corona répondait le grand Jacques ! Sauf à ce qu’il serve le pays en écrivant Phèdre dans la nuit ou en prenant le pont d’Arcole-Bruxelles sous 48 heures, je ne le vois pas retourner les foules et prendre le chemin de la grande investiture le Brubru. Suffit pas d’être habillé en Petit Bateau pour triompher des grandes tempêtes cher Monsieur. Et puis Il faut sincèrement se satisfaire de la situation politique du pays, être ainsi idéologiquement inféodés aux puissances régnantes – libérales libertaires et atlantistes – pour imaginer que l’UMP est vecteur d’un avenir quelconque. On ne peut pas regarder vers les plus hauts sommets et se proposer immédiatement, dans la période, comme sparring-partner d’un champion déchu en fin de carrière. BL, fédéraliste européen de toujours, atlantiste de première catégorie, nous fait le coup du « j’me suis trompé et j’ai tout compris hier matin ». Pas de passif en politique, manifestement. C’est ainsi que du jour au lendemain, on courbe la tête, on abaisse humblement son cou, afin d’adorer ce qu’on a brûlé de brûler ce qu’on a adoré. Je suis las du mensonge et des postures. Et la tentation de Venise Bruno, tu y penses ? C’est pas loin Venise, et puis c’est la période des vacances aussi. Ils s’imaginent tous des carrières à la César, mais faudrait-il encore que le peuple imaginent les mêmes choses qu’eux sur les mêmes affaires. 45 ans c’est un bel âge pour prendre sa retraite politique et traduire du Goethe à l’arrière saison.Bruno qui ?

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