Macron adopte le parti du Désordre


Emmanuel Macron avait l’intention d’incarner le parti de l’Ordre. Mais les violences du 1er mai ont sérieusement écorné l’image qu’il comptait renvoyer, au point de voir resurgir l’ombre d’un ancien président…


La semaine du fameux match opposant Emmanuel Macron au duo autoproclamé  « irrévérencieux » Bourdin-Plenel – qui, à leur corps défendant, a bien profité au président – le locataire de l’Elysée avait programmé une séquence. Dès le lundi matin, avant même que nous apprenions qu’il irait se mesurer aux vedettes de Mediapart et BFM TV, les forces de police s’approchaient de Notre-Dame-Des-Landes. Il devait aussi aller le jeudi midi discuter avec Jean-Pierre Pernaut, l’homme qui murmure à l’oreille des retraités de France. Toute la semaine était placée sous le signe du parti de l’Ordre, comme on disait au mitan du XIXe siècle. Autorité et Réconciliation, nous susurrait-on du côté du Château.

Le parti de l’Ordre vacille déjà

Bref, il s’agissait de gagner des points à droite, d’étouffer Laurent Wauquiez, dont on craint qu’il n’arrive peu à peu à reconstituer le socle réuni par François Fillon il y a un an. Qui sait si ces vingt points ne suffiront pas, en 2022, pour accrocher le strapontin du second tour ? Avec une abstention forte des Insoumis, prônée par ses dirigeants, ce serait alors gagné pour l’homme à la parka rouge. Il fallait donc priver Wauquiez d’oxygène immédiatement. L’isoler, le pilonner, le moquer, le trianguler, aller sur son terrain. Le sondage indiquant le président de LR à 8% arrivait à point, juste après ladite séquence. « Jupiter » pouvait savourer son bon coup, sous les vivas de la foule médiatique.

Sauf que.

Lorsqu’on joue à incarner le parti de l’Ordre, il faut pouvoir l’assumer au-delà d’une séquence d’une semaine et deux émissions de télé réussies. Et de quoi s’aperçoit-on depuis quinze jours ? Notre-Dame-Des-Landes n’a toujours pas été évacuée de ses zadistes ; les images de Tolbiac vandalisée ont été vues par toute la France ; du côté de la frontière franco-italienne, Génération Identitaire joue aux garde-frontières, sous le regard passif du ministre de l’Intérieur ; et des centaines de militants cagoulés s’installent en tête de la manif du 1er mai, et commettent leurs exactions habituelles. Ce printemps 2018 n’est pas terminé que le parti de l’Ordre vacille déjà.

Chienlit, Kärcher et Jupiter

Cette perception ne se traduira pas immédiatement dans les études d’opinion mais l’idée qu’il vacille avance imperturbablement. Le charisme et l’énergie du ministre de l’Intérieur commencent à être mis en cause et il se pourrait bien que cela soit en partie injuste. Celui qui a voulu s’ériger en parti de l’Ordre, et le marteler dans cette première quinzaine d’avril, c’est « Jupiter » lui-même. Jupiter contre la chienlit ! Et si la chienlit s’installe, c’est donc Jupiter qui sera le seul responsable. Le seul coupable.

Il me revient une expression célèbre. Un ministre de l’Intérieur, qui ne pensait pas à l’Elysée qu’en se rasant, avait un jour évoqué la volonté de passer le Kärcher dans des territoires perdus de la République. Il avait tout fait pour qu’on l’associe à cet outil de nettoyage germanique. Il n’est pas complètement impossible que cela put l’aider à accéder au pouvoir suprême quelques années plus tard. Mais le Kärcher fut remisé dans un placard. Et, dans l’électorat populaire, on a beaucoup dit en 2012 que le président sortant n’avait pas perdu parce qu’il avait voulu passer le Kärcher, mais parce qu’il y avait piteusement renoncé. On évoque souvent les bonnes relations entre Emmanuel Macron et cet ancien président. Sans doute ce dernier aurait pu mettre en garde l’actuel chef de l’Etat. Malheureusement, il aurait fallu que lui-même, pour prodiguer un tel conseil, ait quelque capacité à l’autocritique.

Evidemment, comme le style de Nicolas Sarkozy – tout le monde l’aura reconnu, sous son loup – et celui d’Emmanuel Macron sont fort différents, le parallélisme des situations n’est pas parfait. « Jupiter » se meut bien plus en douceur, dans le style gaullo-mitterrandien. Mais l’intention était malgré tout la même. Incarner l’Ordre. L’Autorité de l’Etat. Qu’on le fasse en plastronnant ou lors d’une séquence de communication réussie, il faut pouvoir assumer derrière. Dans le cas contraire, tout cela apparaît tôt ou tard, comme un lancer de boomerang mal ajusté. Et il n’est pas facile de rattraper l’objet dans ces conditions.