Cette fois, c’est moi qui refais le match…

J’ai laissé passer la Semaine Sainte avant de donner libre cours à ma colère (sainte elle aussi, mais moins quand même). Mais enfin, trop c’est trop ! Depuis trois mois on fait la queue dans les médias, et notamment à la télévision, pour déverser sur le pape des tombereaux d’insultes stupides.

Pour être ridicule, cet anticatholicisme primaire n’en est pas moins odieux. Mais l’autre mercredi à « Ce soir ou jamais » (France 3, 23 heures), c’était quand même le ridicule qui l’emportait. Au point que l’animateur, Frédéric Taddeï, semblait parfois avoir quelque difficulté à garder son sérieux. Je le soupçonne même, le bougre, d’avoir organisé son plateau exprès pour ça… Sinon pourquoi, au milieu de sa brochette d’intellectuels antipapistes, aurait-il aussi clairement donné la vedette à André Comte-Sponville ?

Pour le fun, vous dis-je ! C’est quand même à ce philosophe de supermarché que l’on doit les meilleurs moments de la soirée… Dans le faux sérieux comme dans la drôlerie involontaire, l’homme n’a pas son pareil. D’emblée, André met la barre très haut, avec sa première saillie : « Benoît XVI compte sur la morale pour faire reculer le sida… C’est de l’angélisme ! » L’accusation est grave, en effet, concernant le successeur de Pierre.

Mais ne zappez pas ! Le meilleur est à venir… Déjà une perle nouvelle sort de la même huître baillante : « Quel dommage que les Evangiles soient ainsi gâchés par des querelles purement théologiques ! »

L’Evangile abîmé par la théologie : il n’y a que ce Comte de Sponville pour oser encore de telles blagues, et c’est pour ça qu’on l’aime ! Comme un vieux Polaroïd de notre plate époque qui croit survoler les montagnes…

J’aurais pu bien sûr vous entretenir aussi des autres intervenants de ce soir-là… L’anthropologue Georges Balandier par exemple, venu tout exprès dénoncer en Benoît XVI le nouveau flic d’une fantasmatique «police des corps». Ou cette espèce de sociologue nommé Eric Fassin qui, entre autres balançoires, accuse l’Eglise d’être criminelle : « Avec son discours, elle tue des gens au nom de la vie… »

Mais tout ça fait bien pâle figure à côté de Sponville. Lui seul sait passer du sérieux au comique avec un tel naturel qu’il est le seul à s’en rendre compte : « Lisez les Evangiles, vous n’y trouverez rien sur les préservatifs », lance-t-il sans rire, comme s’il rôdait son prochain one man show.

Dans la foulée l’artiste s’en prend à Jean-Paul II, coupable à ses yeux d’avoir qualifié « dans une encyclique » l’athéisme et l’apostasie de « péchés mortels ». Ignorant, volontairement ou non, le sens de cette formule théologique, ce nouveau M. Homais triomphe : « Moi je cumule les deux! Me voilà donc damné deux fois, sans rémission… Mais je m’en fous, bien sûr ! »

Ainsi, pour le plaisir d’une ultime pirouette, ce funambule de rez-de-chaussée détruit-il tout son numéro. Si décidément il se fout du Bon Dieu, pourquoi diable en parle-t-il ?

C’est un peu la faiblesse de tous ces contempteurs de l’Eglise : « Libérez-nous ! », hurlent-ils de l’extérieur. Mais de quoi se mêlent-ils ? Le pape s’adresse aux catholiques, et personne n’est obligé d’être catholique ! Peu importent donc ces Gros-Jean qui en remontrent à des curés qui ne sont même pas les leurs.

Le pire, vous savez quoi ? Ce sont les « catholiques critiques », une espèce de poissons-volants dont nos médias raffolent comme Mitterrand des ortolans.

Selon un récent sondage du JDD, ils seraient 43 % de « fidèles » à vouloir « changer de pape ». Un chiffre accueilli comme pain-bénit par les grands prêtres de l’areligion cathodique. La voilà bien, la preuve que Benoît XVI est dans l’erreur : si l’Eglise était une démocratie, il ne serait pas réélu !

Parmi les porte-parole de ce courant, j’ai eu la pénible surprise de trouver, au tout premier rang… Alain Juppé ! Dieu sait que je n’ai rien contre le bonhomme, surtout ces douze dernières années… Mais que vient-il faire dans cette galère ? Pourquoi la brebis Juppé bêle-t-elle avec les loups ?

« Ce pape commence à poser un vrai problème ! » lançait déjà le mois dernier, à la face de tous les micros et caméras, le maire de Bordeaux, avec une autorité d’origine indéterminée. Et le bon Dr Juppé de poser son diagnostic accablant : Benoît XVI, affligé d’un « autisme total », accumule des «contre-vérités» qui dénotent chez lui « une absence de charité extraordinaire ». Et comment ça s’appelle, d’après vous, un prétendu pape qui tourne ainsi le dos à la vérité et à la charité ? Un Antéchrist, tout simplement !

Je ne sais pas pourquoi, mais quand c’est un mec « de droite », soi-disant catho qui profère de telles insanités, ça m’énerve plus que si c’était un vulgaire saucissonneur du Vendredi Saint !

Parce qu’enfin, quand on pense comme ça, on sort de l’Eglise tout simplement : les portes sont grands ouvertes, dans les deux sens !

A priori, j’aurais songé pour Alain à une reconversion dans la Religion Prétendument Réformée. Non pas pour les initiales, qui lui ont fait tant de mal, mais pour le «libre examen» qui lui sied si bien : « Tout protestant fut pape une Bible à la main », comme disait Bossuet.

Mais dans les circonstances actuelles, peut-être le bouddhisme zen serait-il plus approprié. Si, comme on le murmure désormais tout haut, Juppé est appelé prochainement à bosser pour Sarkozy, il aura besoin de sérénité.

En attendant, l’ex-futur a cru bon d’en remettre une couche – rien que pour m’énerver, semble-t-il : par un de ces hasards qui n’existent pas, je suis retombé sur lui mercredi dernier sur France 5 dans l’émission « C à dire ».

En tournée de promo pour son nouveau bouquin (J’aurai plus la tentation de manger Venise en hiver, ou genre), l’intéressé a jugé bon de faire l’intéressant en fulminant un nouvel anathème contre le Pape.

Après avoir rappelé qu’il était catholique « à titre personnel » (!), Juppé a lancé « J’ai des doutes » – tel un Raymond Devos qui se voudrait sérieux. Au point même de les expliciter, ces doutes : « Les gens qui ont des certitudes définitives et péremptoires sur la vie et la mort me font un peu peur. » Gageons que ce garçon, décidément trop sensible, eût été effrayé par un mec comme le Christ, capable de proclamer plutôt péremptoirement : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie. »

Heureusement, Jésus a aussi légué à la postérité d’autres aphorismes plus adaptés à un Juppé normal, genre : « On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif… »

Publié sur Causeur.fr, le 15 avril 2009.

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