De Gaulle n’aura participé à la IVème République agonisante que le temps de lui organiser des funérailles décentes…

« De Gaulle à Matignon » (juin 1958-janvier 1959). Une des périodes les moins connues du gaullisme et pourtant l’une des plus denses, comme le rappelle opportunément le documentaire de Georgette Elgey (France 5).

En ce temps-là, De Gaulle n’est plus l’homme du 18 juin, et pas encore le père fondateur de la Vème République. Depuis six ans déjà il boude à Colombey, pour la plus grande joie de la classe politique, à part un dernier carré de fidèles. Pourtant, avec l’aggravation des « événements d’Algérie », en quinze jours le Général va s’imposer à nouveau comme l’homme de la situation !

Dans l’accélération de ce processus-éclair, Pierre Pflimlin joue malgré lui un rôle décisif. La nomination à Matignon de ce partisan de la négociation avec le FLN provoque aussitôt, à Alger, la création d’un Comité de Salut public, convenablement noyauté par les gaullistes ; le « président Pflimlin » sera contraint à la démission deux semaines plus tard.

Entre-temps, l’hypothèse De Gaulle s’est précisée de jour en jour, à mesure que la situation en Algérie devenait incontrôlable.  De leur côté, comme le raconte ici Lucien Neuwirth, les amis du Général ont su mettre la pression sur les autorités métropolitaines : si De Gaulle n’accède pas très vite au pouvoir, ont-ils expliqué en substance, on ne pourra pas empêcher les paras de sauter sur Paris. Mais bon,  c’est vous qui voyez…

Aussitôt assuré de la démission de Pflimlin, De Gaulle frappe un grand coup : « J’ai entamé le processus nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain. » Holà ! s’écrie-t-on aussitôt chez les communistes et autres défenseurs des libertés ; n’est-ce pas là un pronunciamiento de général à la retraite ?

Le 28 mai, des centaines de milliers de manifestants battent ainsi le pavé parisien aux cris de « Le fascisme ne passera pas ! » Hélas, dès le lendemain, c’est le président Coty en personne qui appelle De Gaulle à Matignon. Difficile à tenir, la thèse du coup d’État.

Et ce n’est pas tout, s’enthousiasme le documentaire : même au pouvoir, la méthode gaullienne ça marche ! Nouvelle Constitution, nouveau franc, retour de la France sur la scène internationale ; de fait, le bilan de ces premiers mois est inespéré.

Un seul truc reste gênant,  dans ce cursus exemplaire : le marchepied algérien. Pour accéder au pouvoir, De Gaulle n’a-t-il pas piétiné la plus élémentaire des morales ? Je sais bien qu’éthique et politique ne font pas bon ménage, mais il y a des limites.

Il avait bien le droit, peut-être même le devoir, de considérer dès 1957 l’indépendance algérienne comme inéluctable. Même aussi d’attendre le moment propice pour faire état de cette conviction, comme nous l’explique aimablement Georgette Elgey. Mais de là à trahir sa parole et ceux qui y avaient cru, quitte à signer leur arrêt de mort, il y a un fossé.

Comme tout le monde depuis les années Giscard, je regrette De Gaulle. Mais de temps en temps, on a le droit de rêver aussi à Hélie Denoix de Saint-Marc, non ?

 

(Publié sur Valeurs Actuelles le 30 janvier 2014)

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