Et si le mensonge n’existait pas ? Tel est le point de départ de The Invention of Lying (2009), un film vu par hasard sur Ciné+ Émotion, une nuit d’octobre que je zappais pour vous.

Une comédie délicieuse et méconnue où Ricky Gervais (The Office) nous entraîne dans un monde parfaitement semblable au nôtre, à un détail près : tout le monde y dit tout haut ce que nous pensons tout bas !

Imaginez-vous balançant à la jeune maman qui vous présente fièrement son bébé : « Quelle horreur ! On dirait un petit rat ! », ou engageant la conversation avec votre voisin dans l’ascenseur :

– Comment ça va ?
– Mal, j’ai vomi toute la nuit parce que je n’avais pas pris assez de cachets pour me suicider…
– Ah bon, à demain.
– D’accord, si je ne suis pas mort.
– OK, on fait comme ça.

Dans cet univers qui ne connaît pas le mensonge, ni même la plus élémentaire compassion, Mark, l’antihéros du film, est mal parti. Viré de son boulot, abandonné de tous, menacé d’expulsion, il va toucher le fond – quand soudain, en une illumination, il « invente le mensonge » ! C’est fou ce qu’on peut faire rien qu’en « disant des choses qui ne sont pas », découvre-t-il ébahi : arnaquer sa banque et le casino, devenir le meilleur scénariste de tous les temps, et même draguer les plus belles filles. « Couchez avec moi, sinon ce sera la Fin du monde ! », lance-t-il dans la rue à une belle inconnue – prête à s’exécuter sur-le-champ tant elle est affolée : « Il faut le faire ici, ou on a le temps d’aller à l’hôtel ?»

Mais notre héros choisit de mettre plutôt son “don” au service du Bien. Au chevet de sa vieille mère agonisante, tourmentée par la perspective du « néant éternel », il apaise ses derniers instants grâce à une belle histoire : après la mort, on accède à un au-delà de paix et de joie où tous ceux qui se sont aimés se retrouvent pour l’éternité : « Dis bonjour à papa ! »

La (bonne) nouvelle se répand à la vitesse d’un tweet de madame Trierweiler : il y a une vie après la mort ! Bientôt la foule et les médias assiègent la maison de Mark, qui hésite à décevoir un aussi grand espoir. Après une nuit de réflexion, il apparaît donc sur son perron : tel un nouveau Moïse, il y donnera lecture à la ville et au monde des dix commandements de “l’Homme qui est dans le ciel” – calligraphiés pour l’occasion au dos d’une boîte de Pizza Hut.

– Est-ce qu’on pourra fumer là-haut ? interrompt un spectateur. On l’aura compris : ce “monde à l’envers” ressemble furieusement au nôtre. Comme dans toute fable, de La Fontaine à Capra, le vrai sujet c’est la nature humaine. Et la morale de celle-ci porte sur notre fâcheuse propension à passer à côté de l’essentiel au nom d’une douteuse “réalité”.

« Le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison », disait Gilbert Keith Chesterton. À cette aune-là, le film de Ricky est trop déraisonnable pour n’être pas sensé.

Publié dans Valeurs Actuelles, le 22 novembre 2012

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