C’est officiel : à la demande de la direction de France 3, Frédéric Taddeï, animateur de Ce soir (ou jamais !), a accepté de “réfléchir à une formule hebdomadaire de son magazine”. De fort bonne grâce, même : « Je passe mon temps à réfléchir, ça fait partie de mon métier », commente-t-il sobrement dans une interview à notre confrère Télé 2 semaines.

De fait, la concurrence dans son “créneau” n’est pas telle que le mec ait des raisons de s’inquiéter pour son avenir médiatique. Le seul problème, c’est la raison d’une telle décision : fermer une fenêtre quotidienne de réflexion sur l’actualité, fort bien, mais pour la remplacer par quoi ?

Que diable le service public peut-il bien reprocher à cette émission ? Une audience insuffisante ? Mais ça se saurait, depuis cinq ans ! Son “usure”, alors ? Mais qu’est-ce qui s’use moins vite qu’une formule permettant d’inviter, chaque saison, des centaines de personnalités souvent inconnues du grand public ? À moins que ce ne soit là, justement, le problème : donner la parole à tous ces gens sous prétexte qu’ils ont quelque chose à dire, ça a peut-être fini par agacer beaucoup de monde.

Toujours est-il que cette émission s’était imposée, dans le Paf, comme une “exception culturelle”. Je sais bien que, pour nombre d’entre vous – y compris parmi les aimables lecteurs de cette chronique –, l’“étrange lucarne” est par nature anticulturelle. C’est oublier seulement que nos contemporains ne lisent pas – ou si mal que mieux vaut changer de sujet.

Pour eux, le service public de l’audiovisuel constitue la seule ouverture sur l’univers magique de la culture. La preuve, c’est que la majorité d’entre eux lui tournent résolument le dos pour s’adonner aux joies de la télé commerciale – qu’on dit “privée” sans préciser de quoi.

Quant à la jeune génération, elle n’a zappé le petit écran que pour tomber dans les filets du Net et de sa vraie-fausse interactivité. Attention ! Loin de moi l’idée de critiquer le progrès technique, qui ne vaut que ce que valent ses utilisateurs. La Toile, c’est Facebook mais c’est aussi Wikipédia, qui propose gratuitement à tous une encyclopédie, un dictionnaire, un recueil de citations, etc. Il y a moins de clients certes, mais c’est pareil dans l’édition entre Marc Levy et Richard Millet, et à la télé, entre l’Île de la Tentation et, par exemple, Ce soir (ou jamais !).

Il y a vingt-cinq ans, notre intelligentsia s’était mobilisée pour défendre Droit de réponse, pétaudière millimétrée par Polac pour assouvir les fantasmes les plus vains de la gauche d’époque.

Taddeï n’en demande pas tant. L’esprit public a évolué et, ici ou ailleurs, il sait qu’il pourra continuer de pratiquer son exercice favori : retourner la boule à neige de nos préjugés pour nous entraîner à penser. Tant mieux pour lui, mais c’est pour moi que je m’inquiète : privé de mon magazine quotidien, je pourrais bien être conduit l’an prochain, dans un geste désespéré, à vous parler de TF1…

Publié dans Valeurs Actuelles, le 10 février 2011

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