Giscard vs. Chirac : dans leur obsession de se neutraliser l’un l’autre, ils auront plus d’une fois tiré les marrons du feu pour la gauche…

Rien de vraiment nouveau dans le documentaire consacré, l’autre jeudi sur France 5, au « duel Giscard-Chirac », et pour cause : il y a belle lurette que ce combat-là a cessé, faute de combattants.

En 1995, suite à l’élection de son ennemi intime, l’ « Ex », comme on l’appelait encore alors, a finalement compris qu’il ne remonterait jamais sur le trône qui lui revenait de droit. C’est pourtant à celui-ci, bien plus qu’aux Français, que quatorze ans plus tôt il avait dit solennellement « Au revoir ! »

Depuis vingt ans donc, l’ex-Ex s’est retiré sur son Aventin et même, depuis dix, au Conseil Constitutionnel. Là, pour son plus grand déplaisir, il a été rejoint en 2007 par Jacques-le-Félon au terme de ses deux mandats usurpés.

Le combat a cessé, mais la haine persiste – malgré la bonne blague de Giscard qui, dès 1982, prétendait avoir « jeté la rancune à la rivière ». Pendant les quatre années où ces deux-là ont dû cohabiter au Palais-Royal, avant que Chirac ne renonce à siéger, l’ambiance entre eux était à couper au couteau. Jamais ils ne se sont adressé la parole, ni même serré la main sans y être contraints. Heureusement encore qu’entre les deux siégeait le placide président Debré ; sinon, ils se seraient balancé des coups de compas sous la table…

Le documentaire met en cause l’ « incompatibilité » de tempéraments entre « le gentilhomme et le hussard », « l’intelligence et l’audace », etc. Mais tout ça n’aurait évidemment pas suffi à entretenir une exécration aussi réciproque que durable, sans la situation de concurrence où nos deux jeunes loups de la « droite » d’époque s’étaient eux-mêmes placés.

Entrés dans la carrière l’un après l’autre, ils l’ont poursuivie l’un grâce à l’autre, puis l’un contre l’autre. « Le marché de dupes a dégénéré en duel à mort », résume la voix off, avant de donner la parole aux ayants-droit des duellistes à la retraite.

Côté Giscard, on n’en démord pas : si lui, l’homme « aux idées claires et aux nerfs d’acier », a chu de son trône légitime en 81, c’est par le maléfice d’un complot vaudou entre son adversaire retors et son concurrent déloyal. Côté chiraquien, on préfère remonter à  1974, sur le thème « Qui t’a fait roi ? » Élu grâce au grand Jacques, le grand Valéry, contraint d’en faire son Premier ministre, n’a eu de cesse de le court-circuiter. Erreur psychologique ! On ne transforme pas sans risque un hussard en potiche…

Chirac, qui a toujours ignoré la reconnaissance en politique, en attendait-il donc de Giscard ? Toujours est-il que là commence une guerre totale entre nos deux champions, humiliations contre coups tordus et inversement. En mars 1976 Chirac confie à Raymond Barre, qui s’empresse de le répéter à qui de droit : « Je n’en peux plus… Il faut lui couler du béton dans les veines ! »

Cinq mois plus tard, il démissionne avec fracas,  avant de créer dans la foulée un « Rassemblement » … pour lui-même. Au printemps suivant il est élu maire de Paris, écrasant au passage le candidat du Château, « ce pauvre comte d’Ornano » comme disait Le Canard. Puis viendra, dans la perspective de 81, la trahison suprême : un dîner en tête-à-tête entre Chirac et Mitterrand, où les deux hommes se découvrent  au moins un Programme commun : l’élimination de Giscard !

Aussitôt informé du complot qui s’ourdit, l’encore président, sûr de sa supériorité, ne s’en émeut guère. C’est seulement au lendemain du premier tour qu’au vu de son score, il prendra conscience, mais un peu tard, de la nécessité de « faire le plein des voix à droite ». Entretemps bien sûr, l’autre lui a consciencieusement savonné la planche – quitte à patienter deux septennats encore avant de goûter lui-même aux délices de l’Elysée…

Qui plaindre, dans cette tragi-comédie du pouvoir ? La France, bien sûr ! Entre les sept ans de Giscard, les douze de Chirac et, en sandwich, les quatorze de Mitterrand, c’est quand même elle qui aura souffert le plus de cette dérisoire Conjuration des Ego.

[Publié dans Valeurs Actuelles]

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