Nous ne savons pas ce qu’il faut faire, mais nous le ferons !

Publié ici en cinq épisodes, ce texte figure en avant-propos de l’anthologie Les Pastiches de Jalons, récemment paru aux éditions du Cerf.

Au commencement, c’est-à-dire à la fin des années soixante-dix, était la Fédération nationale des comités nuls (FNCN) : un groupusculuscule recruté par voie de circulaire destinée exclusivement à la crème de mon carnet d’adresses.

La FNCN dispose d’un bulletin interne, Le Billet cocasse, réservé aux adhérents et donc photocopié à douze exemplaires. Une fois par semaine nous nous retrouvons pour un thé-débat chez Ginette, au Bon Accueil ; de temps à autre pour des « dîners de travail » chez Le Tatoué (menu unique à 12 F, vin compris) et même certains week-ends, en formation élargie, pour des « Boums Teppaz » où l’on danse jusqu’au bout de la nuit sur Cloclo, Sheila, Les Chaussettes Noires et Au Bonheur des Dames.

Nos premières « interventions culturelles » sont des canulars destinés à la presse : colloques bidons, faux prix littéraires et prises de position aberrantes dans tous les domaines.

Pour notre plus grande joie, ces communiqués signés du Cercle d’Études Félix-Gouin sont régulièrement repris par Le Monde ou Le Figaro, voire les deux. Sans doute les trieurs de dépêches sont-ils impressionnés par le nom et les titres de Mme Jeanine Rolland-Murger, présidente virtuelle d’un Cercle qui ne l’est pas moins.

Le niveau journalistique est déjà bien bas ; sinon, notre référence statutaire à Félix Gouin, président du Conseil de la IVe qui sombra dans le « scandale des vins », en aurait fait tiquer quelques-uns. Vous me direz, trente ans plus tard, même une Fondation Le-Troquer pour l’enfance éveillerait-elle les soupçons ?

À la FNCN, l’activisme de rue commence avec des tractages sauvages qui poussent assez loin le concept d’acte gratuit. À titre d’exemple, je me souviens d’un de ces tracts qui dénonçait avec force points d’exclamation un « scandale » sans en préciser la nature.

Parmi les gens qui prenaient ce prospectus et repartaient en le lisant, la plupart s’arrêtaient au bout de quelques mètres, comme pour vérifier qu’ils avaient bien lu. Certains revenaient même vers nous, parfois pour nous féliciter du bon gag mais le plus souvent, il faut bien le dire, pour nous demander poliment de quel scandale il s’agissait.

L’exercice consistait alors pour nous à répondre d’une façon assez floue pour que l’interlocuteur suggère de lui-même ce qu’il voulait entendre… En bas du tract figurait une pétition, et nous avons reçu plus de deux cents réponses !

En parallèle, la FNCN parasite les manifestations des autres. Ordinairement avertis par Libé, qui à l’époque annonce tout et n’importe quoi, nous choisissons les manifs les plus extravagantes pour débarquer en queue de cortège. Avec nos propres mots d’ordre bien sûr mais, pour des raisons budgétaires, une seule banderole passe-partout : « Si ça continue, il faudra que ça cesse ! »

Pour notre toute première sortie, nous défilons de la place des Abbesses au Sacré-Cœur de Montmartre avec les anti-calotins de l’Union rationaliste et autres Libres-penseurs, qui ce jour-là rendent un hommage solennel au chevalier de La Barre. Notre tract en latin signé de l’Union des athées intégristes nous vaut un franc succès.

Après les momies bouffeuses de curés, nous nous aventurerons chez les babas cools, respectivement en lutte contre l’« atomkraft », la vivisection et autres atteintes aux droits de l’homme.

Sympa tout ça, mais marginal… Il est temps pour nous d’aller là où ça se passe.

[À suivre…]

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