Les ennemis de nos modernes sont des modernes

Woody Allen, archétype de l’humour juif new-yorkais ? En tant que fan de la première heure, cette thèse m’avait toujours suffi, et pour cause : elle m’arrangeait ! Je me trouvais ainsi coopté, moi le goy pur porc, par le cercle fermé des « happy jews » de Manhattan, seuls capables apparemment de goûter tout le sel de l’humour alliené.

Hélas Dandrieu vint, pour m’expliquer que je me la pétais en vain. La thèse de son bouquin1 : Woody Allen est universel comme un Bergman normal, en plus marrant quand même, et l’univers intello de la Grosse Pomme n’est qu’un décor pour sa Comédie humaine.

Selon mon collègue et ami de Valeurs Actuelles, de Causeur et du fan-club des Nits (voir ce nom sur Google), Woody est un « antimoderne » comme vous et moi (enfin, surtout moi) ; un pessimiste qui se joue de son propre désespoir ; un « athée post-moral » peut-être, mais infiniment nostalgique du Sens, c’est-à-dire de l’Amour.

Je ne vous raconterais pas tout ça si je n’avais pris pour habitude de choisir mes rares « sorties ciné » en fonction des critiques dudit Dandrieu, auquel je fais confiance sur ce terrain, euh, comme un aveugle à son chien.

Ici, l’exercice est encore différent : Laurent Dandrieu interprète pour nous la partition allenienne (44 opus). Avec brio, mais sans la boursouflure castafiorienne. En bon interprète, il sait s’effacer devant l’auteur et l’oeuvre – même si, au bout du compte, c’est pour nous faire partager ce qu’il y entend.

Contrairement à ce qu’elle aura sans doute pensé, si j’ai demandé à l’exquise attachée de presse de Laurent copie des articles déjà parus, c’est moins par paresse que par curiosité. Agréablement récompensée, d’ailleurs : non seulement « la critique est unanime », mais elle s’avère dans l’ensemble étonnamment subtile –et, dans le détail, essentiellement droitière.

Attention ! Je n’ai pas dit que les deux étaient liés. Je tiens plutôt qu’un mec de valeur(s) comme Dandrieu n’a pas forcément bonne presse «dans les poulaillers qui font l’opinion » (comme disait sans comprendre ce gentil con de Souchon.) Mais d’un autre côté « The times they are a’changing » (comme disait Bob Dylan à propos d’autre chose.)

Sur le fond, l’antimoderne au sens alleno-dandrieusien du terme n’est pas réfugié sur la plus haute tour de son château fort intérieur. Il est plongé au coeur de la modernité comme tout le monde, c’est-à-dire comme un con ; sauf qu’il en perçoit, lui, les ridicules. Et voilà le fin mot : Woody Allen ne croit pas aux « trois idoles de la modernité : la raison, l’individu et le progrès. »

Le mieux, c’est qu’il n’est pas seul dans cette triple incroyance : rien qu’en France, il y retrouve les grands fêlés du moment, de Muray à Houellebecq en passant par Nabe et Dantec. Ça devait arriver : à force que s’épaississe le Catalogue des erreurs modernes, comme disait saint Pie IX, l’antimodernité est devenue moderne.

« La vie est une tornade de merde dans laquelle l’art est notre seul parapluie », notait judicieusement le Nobel Mario Vargas Llosa. Tout l’art de Woody, selon Laurent, tient dans cette alchimie par laquelle il change l’or du Rien en diamant pour l’esprit. Et vous savez quoi ? Pour tous ceux à qui il est déjà arrivé de s’interroger sur le sens de leur existence –ou qui en ont le projet-, mais surtout pour ce vieil agnostique inconsolable, c’est là un indispensable viatique.

Une heureuse formule, malheureusement saccagée par l’usage, définissait l’humour comme « la politesse du désespoir ». Comment dire autrement, à défaut de mieux ? Avec les armes de l’humour, Woody Allen se bat sur les deux fronts (bas) de la modernité : le crétinisme et le nihilisme. À travers ses ricanements, il plaide pour la vie et la dignité d’être homme.

Il y a quand même un blème, que Dandrieu ne nous cèle point : les derniers films du maître sont des daubes infâmes – ou plus précisément, comme il écrit, des « pochades superficielles » d’un « auteur en panne d’idées ». Bien sûr c’est vrai, même que pour un fan c’est un peu déprimant. Alors, déclin ou parenthèse ? Au regard de l’Histoire du cinéma, on s’en fout un peu : Woody n’est pas un pic-vert de l’année, et quoi qu’il fasse désormais, son œuvre restera comme celle d’un moraliste.

En moquant nos névroses narcissiques et nos toutes petites dépendances, il n’a d’autre but que de sortir ses prochains, comme lui-même, de cette horrible sensation d’impuissance devant l’absurde. C’est sans doute ce qui permet à Joël Prieur d’oser, pour résumer la thèse du livre, un parallèle inattendu entre Woody Allen et Albert Camus : ne partagent-ils pas « un désespoir ensoleillé qui doit bien mener quelque part » ?

Non seulement c’est bien dit mais c’est paru dans Minute – et quoi de plus chic que de citer Minute, surtout en conclusion d’un papier de fond comme celui-ci ?

N.B. à l’attention de mes amis commentateurs :
Dans le genre hors sujet que vous affectionnez, je suggère de commencer directement par Minute, au lieu de s’attarder bêtement sur Woody Allen ou même sur le bouquin de Dandrieu
Lol.

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