Vu, en streaming et en accéléré — ça ne mérite pas davantage — le dernier film de Clint Eatswood, American Sniper : une œuvrette tâcheronne à usage interne américain. D’ailleurs, les USA ne s’y sont pas trompés, et lui ont fait un triomphe. Avec plus de 320 millions de dollars pour le seul territoire américain (pour un budget de 60 millions) c’est à ce jour le plus grand succès d’Eatswood, et, à partir de savants calculs tenant compte de l’inflation, le film de guerre US qui a le plus rapporté à ce jour.

Qu’en dire ? Rien — sauf que le titre et le sujet (et le traitement, qui réserve un plan sur deux pour le mâle visage de Bradley Cooper) méritent deux secondes de réflexion.
Le sniper a débarqué linguistiquement en France dans les remous de la guerre de Yougoslavie. Jusque-là, il s’appelait franc-tireur ou tireur embusqué. Mais dans une guerre où nous nous sommes laissé mener par le bout du nez par l’OTAN — dans les faits, les Anglo-américains —, qui a pris fait et cause pour les Bosniaques, décrétés « bons » (et on en est revenu depuis que l’on s’est aperçu que le trafic d’organes et d’êtres humains passait par les mafias bosniaques) contre les vilains Serbes — alliés traditionnels de la France, mais Mitterrand a mangé son chapeau —, il fallait un nouveau type de héros. Oui, on a alors adopté (voir Jean Peeters, La Médiation de l’étranger : une sociolinguistique de la traduction, Artois Presses Université,‎ 1999) le mot anglais. Une façon comme une autre de faire allégeance, pendant que les cousins québécois, assez fiers de parler français, retitraient le film Tireur d’élite américain — ah, ça fait moins cinglant tout de suite : avez-vous remarqué combien des chansons américaines qui nous paraissent écoutables ont des lyrics, comme ils disent, parfaitement idiots, et que retraduits en français, nous éclaterions de rire à la seconde ligne ?
Donc, sniper, ça vous a tellement de gueule qu’un groupe de rap français (oxymore !) a choisi ce nom — sûr qu’ils tirent des balles de fort calibre en direction de l’establishment dont ils encaissent néanmoins les chèques.

Le sniper est le héros que l’individualisme libéral se cherchait. Plus de masses, plus de société même, plus de foules. Un héros solitaire, embusqué, prenant d’immenses risques en dégommant un ennemi positionné à 2 kilomètres : c’est le climax du film de Eatswood, quand Chris Kyle (le vrai nom du « héros », dont les mémoires, parues en 2012, ont cartonné — avant qu’il se fasse descendre par un autre tireur fou qui vient d’écoper de perpète) abat « Mustafa », son homologue irakien, à une distance de 2100 yards — ça fait plus viril que 1920 mètres. Ledit Mustafa n’est jamais qu’un numéro sur la longue liste de 255 cibles — d’après lui, un peu moins officiellement — descendues au cours de la guerre. Le tout filmé en Californie, c’est moins cher et moins dangereux que de déplacer une équipe sur un territoire que les Etats-Unis ont si bien pacifié qu’il est aujourd’hui à moitié tombé entre les mains de l’Etat islamique qui en tire un million de dollars par jour de revenus pétroliers. Saddam, reviens, ils sont devenus fous.

Des snipers, il y en a depuis longtemps. Audie Murphy, « le soldat le plus décoré de la Seconde guerre mondiale », et accessoirement acteur vedette de westerns médiocres, a été célébré pour son aptitude à flinguer : un petit bonhomme d’1,66m et de 51 kilos. Le sniper est l’idéal du gnome.
N’empêche : longtemps le film de guerre américain (Le jour le plus long, le très beau et moins connu The Big Red One, de Samuel Fuller, ou même Il faut sauver le soldat Ryan), tout en distinguant des héros, aimait filmer les mouvements d’ensemble. Platoon, comme son nom l’indique, c’est un peloton ou une section — un groupe. Même les films de gangsters (voir les Incorruptibles version De Palma) insistent sur « the team ». Et pas mal de westerns (le genre individualiste par excellence pourtant, censé illustrer le capitalisme sauvage de l’Ouest) montre que le héros solitaire (et loin de son foyer) n’est rien face à la masse : voir et revoir Vera Cruz, où les peones l’emportent et laissent Lancaster mort et Cooper dégoûté ; voir l’Homme aux colts d’or, où la ville de Warlock (c’est emblématiquement le titre originel) chasse Henry Fonda ; voir Alamo, où 300 Spartiates américains résistent aux 12 000 hommes de Darius / Santa Anna.
D’ailleurs, dans les westerns, il faut être un traître sans foi ni loi (Anthony Quinn dans L’Homme aux colts d’or) ou une femme (Michele Carey qui s’embusquent dans El Dorado pour dézinguer John Wayne) pour tirer de loin et dégommer sans risque : en général, on affronte l’ennemi face à face, et il y a toute une typologie du duel final qui mériterait une étude spécifique. Le tireur embusqué est un lâche. Quant au tireur d’élite, rappelez-vous « Grosse Baleine » dans Full Metal Jacket : c’est un semi-débile impuissant qui finira mal — dans les chiottes, en s’exclamant : « J’y suis déjà, dans un monde merdique ». Humour kubrickien.

Oui, la Bosnie (quand sommes-nous passés à l’hyper-individualisme, correspondant au néo-libéralisme décomplexé ? Au cours des années 1980, et la guerre de Bosnie commence en 1992) a sonné le glas du héros courageux : on nous donne en modèle des types qui flinguent à des kilomètres avec un PGM Hécate II — en France tout au moins. Calibre 12,7mm à grande vélocité — ça fait des trous à y passer le bras.
En 2001, Jean-Jacques Annaud a raconté la Bosnie sous couvert de parler de Stalingrad : deux snipers, l’un russe (Jude Law) et l’autre allemand (Ed Harris) résument à eux seuls une bataille où sont morts près d’un million d’hommes. Mais de ces masses, peu de nouvelles, nous sommes sommés de nous identifier à deux tireurs embusqués. Et tout récemment Jean Hatzfeld (Robert Mitchum ne revient pas, Gallimard, 2013) est revenu sur cette période où le tireur d’élite est un héros présentable.

Eh bien moi, je ne veux pas. J’ai la nostalgie d’une époque où l’on s’affrontait en duel, où l’on risquait sa peau pour en trouer une autre, et où l’on avait du respect pour l’adversaire. La mentalité moderne — libérale — du « tout est permis » et « seule la victoire est belle » est répugnante.
Et factice. Parce que rien n’a changé, et que l’accent mis aujourd’hui sur l’individualisme (et dont on voit les jolies conséquences à l’école — « tout pour ma gueule et va mourir ! ») est un vœu pieux, une parole magique, une tentative dérisoire pour essayer d’orienter notre regard sur l’Histoire : ce sont les masses qui font toujours les révolutions, et 300 Spartiates sont encore capables de résister à Angela Merkel pour lui apprendre que le Quatrième Reich n’est pas une solution pour l’Europe.

Jean-Paul Brighelli

37 commentaires

  1. Et encore, le sniper est en contact intime avec l’arme qu’il met littéralement en joue. Le conducteur de drone (le droneur ? le droniste ?) qui astique son joystick, misérable ersatz sexuel, constitue une étape supplémentaire dans la déréalisation du monde.

    On est très loin du désir d’extrême proximité du pilote de B52 avec son Arme dans Folamour.

    Pour rompre (?) avec cette déréalisation qui nous fout le (faux)boudon, peut-être faudrait-il que l’ONU organise les conflits majeurs en replaçant les deux « chefs » antagonistes dans une arène avec des armes rudimentaires rendant le contact nécessaire : le protagoniste étant celui qui assiste l’autre dans son agonie.

    Évidemment, pour la France, il faudrait trouver autre chose que Bayrou ou l’agité de omoplate.

  2. Je suis pa sûr que les sabreurs aient jamais eu la réputation d’être de grands intellectuels ; Murat type même du cavalier sans peur et sans reproche n’est pas le premier esprit de son temps loin s’en faut.

  3. M. Brighelli, chaque jour qui passe me fait vous apprécier encore un peu plus!

    Certes, la figure du tireur d’élite est fascinante pour la modernité parce qu’elle réactive, mais bien à l’abri des coups, l’image d’un art, voire d’un artisanat de la guerre, alors qu’il s’agit bien de la position la plus veule de toute armée. D’ailleurs, il est en soi symptomatique que le terme anglo-saxon de sniper (ou marksman, auparavant) ait entériné cette glorification puisque ce sont Messieurs les anglais, on s’en souvient, qui en mettant au coeur de la stratégie de la guerre médiévale le rôle des archers a initié cette longue tradition de distanciation du champ de bataille et qui est une forme active de la lâcheté. Pas anodin non plus que ce soit encore des saxons (en l’occurence les ingénieurs du Reich) qui inventèrent les premiers missiles et ni que ce soit
    les Américains qui, seuls, eurent l’audace, si l’on peut dire, d’utiliser, par deux fois, l’arme atomique contre une population…
    On sait déjà tout le mal potentiel qu’avait détecté dans cette dangereuse tendance le génial Bernanos dans La France contre les robots. A l’heure où les drones, inventés encore par les Etats-Unis, commencent à menacer le ciel français, je vous CONJURE, M. Brighelli, puisque vous êtes sensible à ce sujet, de lire toute affaire cessante, si ce n’est déjà fait, l’excellente Théorie du drone de Grégoire Chamayou (un chercheur lyonnais) à La Fabrique qui montre assez vers quel enfer moral la lâcheté techno-stratégique mène les armées occidentales.

    • Vous savez après la grande guerre le pacte Briand-Kellogg a voulu mettre la guerre hors-la-loi … franchement si la guerre n’existait pas on l’inventerait tellement elle plait aux hommes !

      Je doute que la question de l’armement soit centrale dans cette affaire.

  4. 1929 :
    « Article I :
Les Hautes Parties contractantes déclarent solennellement au nom de leurs peuples respectifs qu’elles condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renoncent en tant qu’instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles. »

    « Article II :
Les Hautes Parties contractantes reconnaissent que le règlement de tous les différends ou conflits, de quelque nature ou de quelque origine qu’ils puissent être, qui pourront surgir entre elles, ne devra jamais être recherché que par des moyens pacifiques. »

    Ce qui a rendu impossible la guerre en Europe c’est plutôt l’équilibre de la terreur atomique ! Comme avec les enfants il faut leur faire suffisamment peur pour ne pas avoir à sévir.

  5. Un bon exemple : pendant la WW2 personne n’a utilisé les gaz alors que tout le monde en avait ! Seulement on savait 1 que ce n’était pas un avantage décisif et 2 qu’il y aurait des représailles.

  6. Comment expliquer que de jeunes européens qui vivent dans le confort depuis leur plus tendre enfance, vont s’engager pour aller combattre dans des pays qu’ils n’ont jamais vu de leur vie comme la Syrie ou l’Irak ?

    Je suppose que le dieu Polemos a de superbes attraits et que même Vénus n’arrive pas à détourner les regards des adolescents et adolescentes. Entre une vie terne et sans gloire et l’aventure merveilleuse du combat leur choix est vite fait.
    Tuer c’est donner deux fois du prix à sa vie …

    • B. Maris évoque les attraits de Polemos dans une interview en citant Teilhard de Chardin avec cette phrase terrible « Qui n’a pas connu Douaumont, n’a pas connu la liberté » :

      https://www.youtube.com/watch?v=sbNADxAZtc8 (vers 20:20(*))

      Cordialement,

      E.P.

      (*) L’intégralité vaut la demi-heure de temps de cerveau disponible.

  7. On devrait peut-être arrêter les analyses psycho à deux centimes concernant les « snippers » et considérer que ces soldats ne sont, in fine, que des pros dans une armée de pros, utilisés dans des cadres précis, en fonction de leurs capacités et des objectifs visés, au même titre que des servants de l’artillerie par exemple.
    Halte au romantisme suranné: ne portons pas sur le terrain militaire actuel nos conceptions de cour de récré!

    J’irai voir ce film. Je suis curieux ( et grand fan de Clint) : est-ce seulement une tirade à la gloire de? J’ai des doutes: avez-vous vu  » Mémoires de nos pères » et « Lettres d’Iwo jimma »? Deux oeuvres fortes ( le second surtout, à mon humble avis), les deux côtés du miroir de la 2e guerre.

  8. Justement : c’est parce que j’avais vu ces deux films (le second surtout est remarquable) que j’ai été très déçu par une œuvre qui est tellement monophasée, si je puis dire.

  9. Je n’ai pas vu le film. Je le verrai quand il sortira en DVD. Baser une critique sur un visionnage en streaming et en accéléré me semble un peu léger, tout de même.

    Eastwood n’est pas le premier cinéaste venu, et je vois mal pourquoi, multi-millionnaire de 84 ans, auteur de 33 films, oscarisé, producteur indépendant de surcroît, il se serait lancé dans la confection d’un produit de propagande. Même s’il a signé quelques commandes (Invictus, par exemple, par amitié pour Morgan Freeman), on ne peut pas dire qu’il soit dans le besoin.

    Ou bien, c’est peut-être le plaisir, vicieux, de passer à nouveau pour une sorte de fasciste (j’ai lu ce mot, très précisément, dans au moins une critique de Dirty Harry), comme au début des années 70. Une certaine intelligentsia française bien-pensante a d’ailleurs démarré au quart de tour : Frodon, sur le site de Slate, Libération, Télérama, sans parler des vestiges des Cahiers du cinéma. On s’est souvenu de l’inspecteur Callahan, torturant un criminel dans un stade de base-ball vide, en 1971. Torture, sniper, comme, par ailleurs, suprême outrage, Eastwood méprise le pathétique Obama (celui qui avait promis de fermer Guantanamo, mais peu importe, s’il le méprise, en somme, c’est forcément parce qu’il est noir), la boucle est bouclée. L’erreur avait sans doute été, disons, entre Bird et Invictus, de voir dans un cinéaste dont on appréciait coupablement les œuvres, un homme de gauche. Ce qu’il n’a certes jamais été.

    Je précise, au besoin, qu’Eastwood était opposé à l’intervention en Irak. Ceci étant, j’imagine qu’il se fout pas mal des lauriers que pourrait lui décerner la gauche française, ou de l’opprobre dont elle le couvre actuellement.

    Je rappelle aussi, que, cinéaste américain, héritier de l’Hollywood des studios, il est un cinéaste de genre. American Sniper est un film de guerre. Pas le premier de son auteur. Je ne vois pas comment on pourrait oublier qu’Eastwood a réalisé l’incroyable diptyque Mémoires de nos pères/Lettres d’Iwo-Jima, œuvre ô combien plus complexe qu’Il faut sauver le soldat Ryan, et, si l ‘on tient à poser la question (que ne se posent jamais les cinéastes américains) de l’idéologie, beaucoup plus claire dans sa dénonciation de la guerre que Full Metal Jacket, dont Samuel Fuller, l’auteur de The Big Red One, grand spécialiste du film de guerre, qualifiait de « film de recrutement ». Que, du jour au lendemain, le cinéaste américain qui, le premier, a montré, sans concession pour l’Amérique, le point de vue de l’ennemi, celui des japonais dans Lettres d’Iwo-Jima, signe un produit aussi caricatural, je m’en étonne.

    Autre chose. Il faut voir comment Audie Murphy a été utilisé par le cinéma américain : The Red Badge Of Courage, ou encore The Unforgiven, deux œuvres de Huston… auteur aussi de Let There Be The Light, film dans lequel, si j’ai bien compris, Chris Kyle aurait eu sa place.

    La référence à Alamo me semble osée, elle aussi – John Wayne, le long du fleuve : « il y a le bien, et il y a le mal », ou encore : « jamais je ne pourrai mépriser un homme qui porte un fusil ». Sans parler des Bérets verts.

    Pour finir, même si je ne suis pas précisément un inconditionnel de Charlie Hebdo, je me suis abonné, suite aux attentats. Le dernier numéro, qui ne présent pas un énorme intérêt par ailleurs, contient une critique élogieuse d’American Sniper par Jean-Baptiste Thoret, un gars qui sait un peu de quoi il cause quand il cause du cinéma américain :
    http://www.amazon.fr/Michael-Cimino-voix-perdues-lAm%C3%A9rique/dp/208126160X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1424934406&sr=8-1&keywords=jean-baptiste+thoret
    http://www.amazon.fr/CIN%C3%89MA-AM%C3%89RICAIN-ANN%C3%89ES-70/dp/2866425650/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1424934406&sr=8-3&keywords=jean-baptiste+thoret

    J. Esquié

  10. Mais je suis tout prêt à faire l’apologie globale d’Eatswood ! Je dis simplement qu’il a fait là une œuvre 100% américaine, et que seule une vision rapide m’a permis de supporter un film qui s’étire un peu. D’ailleurs je renvoie à la fin à une critique (Françoise Guichard) de quelqu’une qui n’est pas soupçonnable de ne pas être à gauche (la vraie).
    Je prétendais simplement tirer de l’exaltation du sniper une morale sur l’hyper-individualisme dont le tireur d’élite est l’icône — combien de métaphores guerrières positives, à l’usage du monde de l’entreprise, usent de ce mot !
    De surcroît, Eatswood acteur s’est régulièrement mis en danger — en se faisant symboliquement abîmer, et pas qu’un peu, dans les films de Leone (ou mieux encore, en se faisant découper et occire par une poignées de jouvencelles hystéros dans le très beau film de Don Siegel, les Proies). Mais depuis quelque temps, il est devenu sa propre icône. Ça peut nous arriver à tous. Parfois ça marche merveilleusement (Million dollar baby), parfois ça foire — American Sniper.

  11. Je streame, tu streameras…
    Have a look on the movie ‘BIRDMAN’, and enjoy, pour sûr, et continuez vos combats, doux à mon âme de quarantenaire lassé !!

  12. Je me disais justement que les héros n’étaient décidément plus les mêmes que dans ma jeunesse. De mon temps, ils criaient : « A moi d’Auvergne, voici l’ennemi! » Et on l’apprenait à l’école primaire.
    Aujourd’hui, le cri de guerre du héros tendance c’est plutôt : « Prenons l’oseille et tirons-nous! »
    Et les bambins admirent.
    Pas moi.

      • Vous aurais-je insulté sans le savoir, Monsieur, que vous me rendiez la pareille en le sachant?
        Non, pas de quarantenaire qui fantasme, d’ailleurs toutes les femmes ne fantasment pas et surtout pas à propos de n’importe qui. Simplement une septuagénaire qui a connu d’autres temps où il y avait encore de pauvres imbéciles pour croire à des valeurs comme le courage, la loyauté, l’honnêteté, l’amour de son pays (eh oui!..) même et surtout si celui-ci était un pays d’adoption…
        Des gens bien méprisables, n’est-ce pas?
        Lit-on encore Marcel Pagnol?

  13. Le film d’Eastwood ne m’appète guère, mais je trouve Monsieur Brighelli un peu sévère sur ce coup-là. Les tireurs embusqués sont-ils de tels couards, des Pâris, des planqués, des combattants de l’arrière, ou de derrière ?

    Si nombre de soldats décorés sont des tireurs d’élite, ce n’est pas seulement pour leur haut rendement et productivité dans le domaine de la mort. Le tireur embusqué prend des risques dans son bosquet, s’il veut être efficace.

    A la lumière de ma grande expérience cinématographique de la chose, je noterai :

    1° que le tireur d’élite qui se respecte a soin de se positionner dans un lieu élevé, dégagé et surplombant, appelé précisément « nid d’aigle », et non dans un souterrain ténébreux, un sous-bois fangeux, une feuillée merdeuse ou un trou à rats bien à l’écart du baroud ;

    2° que s’il s’éloigne d’une cible donnée, c’est pour en embrasser de plus nombreuses dans son secteur de tir ;

    3° que plus il en dégomme, plus il est repérable (par sa position même) et repéré (par ses tirs qui chacun trahissent sa position) ;

    4° et qu’enfin un tireur d’élite repéré, c’est presque déjà un tireur d’élite mort, car c’est bien peu de chose qu’un petit homme armé d’un fusil, coincé derrière un muret, dans un clocher, qui a attiré l’attention hostile de tout le monde à la ronde en tuant les copains, les officiers, etc.

    (Voir le sort du soldat de 1re classe Daniel Jackson dans le film de Spielberg)

    Si l’on voulait faire le palmarès des postes de trouillards dans l’armée, il y en aurait un paquet devant les snipeurs : sous-mariniers à bord d’un SNLE, pilote de bombardier stratégique, d’awacs ou de SR-71, soldats des « corps de collecte de renseignements », artilleurs, truchement, marmiton, maître tailleur, etc.

  14. D’un autre point de vue, si l’on considère le snipeur comme le héros du néo-libéralisme, il y a en effet des analogies entre celui que les films actuels (je pense en particulier à Jarhead) nous montrent comme une espèce de spectateur de la guerre, isolé, narcissique, hyper-efficient et à la fois toujours frustré de l’ivresse du corps à corps, et la particule consommatrice que produit dans le réel le même libéralisme suravancé, telle qu’elle se figure être, dans son jeu vidéo de vie et éventuellement son fauteuil de multiplexe.

    On pourrait mettre en parallèle ce héros snipeur avec le démineur, autre figure héroïque de l’épopée guerrière hollywoodienne transgénique : seul, super pro, centre de toute l’attention, et cependant loin de la mêlée. L’un et l’autre fantôme hantent, courageux suicidaire ou moine zen ultraprécis, les entours de ce qui fait aujourd’hui tripper Hollywood et ses spectateurs mononeuronaux : l’instant d’intensité ultime, le concentré d’action insécable, l’atome de guerre… la balle qui bute un type (idéalement Saddam Hussein ou Hitler, pour finir la guerre d’un coup) ou la bombe qui fait boom. Le temps n’est plus à la complexité grouillante des grandes épopées classiques, l’Iliade, le Jour le plus long, etc.

  15. Jolis commentaires enrichissants?? Le cul dans un vieux fauteuil plein cuir des 30’s, le single malt douillettement réchauffé à la main, les pieds sur un confortable tapis pure laine, au coin de la cheminée, alors que le regard, vagabond, erre sur les rayonnages de la vieille bibliothèque et ses ouvrages patinés, l’esprit embué par l’attente du souper – un parmentier pour accomoder les restes, un fond de Gigondas, un morceau de Cantal sallers – et la mémoire des vaillantes années…facile!

  16. Bah, Hollande n’a même pas spécifié l’autre jour que les Egyptiens décapités par Daesh étaient chrétiens… Réglez-lui son copte.

  17. Outre les films que vous citez (The Big Red One, chef d’oeuvre absolu et méconnu), le cinéma américain, il n’y a pas si longtemps, était aussi capable de produite un chef d’oeuvre comme « Voyage au bout de l’enfer ».
    Il y a tout dans ce film : la communauté de destin, les vies fracassées par la guerre, l’incommunicabilité entre les vétérans et les autres…

  18. Jean-Paul,

    Par hasard, je suis sorti de ma campagne, et j’ai pu voir American Sniper, que je pensais ne voir que dans quelques mois. Je l’ai vu, en outre, dans de bonnes conditions. Les spectateurs ont à peu près fermé leur gueule.

    Nous n’avons pas vu le même film. Celui que j’ai vu est d’ailleurs très différent de celui qu’évoquent les critiques français bien-pensants.

    Je vois bien ce qu’on peut lui reprocher à une œuvre de ce genre.

    Les mêmes reproches ont été adressés, au moment de sa sortie, à Voyage au bout de l’enfer (je préfère le titre original, The Deer Hunter : il me semble que le titre français collerait mieux au film de Coppola, dont le titre est d’ailleurs l’une des faiblesses). Quand le film a été présenté à Berlin, plusieurs représentants du « bloc soviétique » ont quitté le festival, pour dénoncer l’insulte faite au juste combat du peuple vietnamien. Sauf erreur de ma part, les journalistes des Cahiers du cinéma leur ont emboîté le pas. J’imagine qu’ils n’ont pas été les seuls.

    Hollywood, au contraire, a applaudi : 5 oscars. Pas Pauline Kael, certes, qui voyait dans Le Dernier tango à Paris (film le plus mauvais d’un cinéaste par ailleurs très estimable, auteur d’au moins deux chefs-d’œuvre, 1900 et La Tragédie d’un homme ridicule) l’événement artistique le plus important du XXe avec le Sacre du printemps.

    Ce qu’on a reproché à Cimino, c’est surtout, deux ans plus tard, Heaven’s Gate, où les immigrants d’Europe de l’Est sont massacrés par les familles patriciennes. Je me rappelle que, lors d’une ressortie, sans doute dans les années 90, on a voulu, à la lumière d’Heaven’s Gate (film qui a parfois été qualifiés de « marxiste », ce qui me fait bien marrer), voir Voyage au bout de l’enfer comme un film de gauche, ce qu’il n’est évidemment pas. Le « God bless America » terminal n’est pas ironique ! mais, à l’époque, Eastwood passait aussi pour un quasi-homme de gauche.

    Ce qu’on reproche, donc, à American Sniper, de même qu’au film de Cimino, c’est d’ignorer l’ennemi (le reproche peut valoir pour la quasi-totalité des films de guerre, The Big Red One, Full Metal Jacket, The Thin Red Line, etc., à l’exception, justement, du diptyque d’Eastwood), de faire un héros d’un plouc, amateur de rodéo, d’un petit blanc à casquette (casquette qui évoque celle de Michael dans Voyage au bout de l’enfer), de glorifier un tireur. Outre la casquette, le film a d’autres points communs avec Voyage au bout de l’enfer, me semble-t-il : par exemple le tir (« une balle, une seule », dit Michael, encore lui, chez Cimino), ou encore les traumatismes des vétérans.

    J’abrège.

    J’ai vu un film qui, comme toujours chez Eastwood, comme chez la quasi-totalité des cinéastes américains (John Carpenter ou Joe Dante pouvant, en partie, être considérés comme des exceptions), est étranger aux considérations politiques. « Tout est politique », aurait-on dit en d’autres temps. C’est bien possible, mais cette manière de penser est, pour les américains, totalement exotique.

    Les causes réelles de la guerre d’Irak (à laquelle il était opposé en tant que coyoyen), la pertinence de l’intervention, l’inexistence des armes de destruction massive, la torture, Guantanamo, la politique de George Bush, jr., Eastwood, quand il tourne ce film, s’en fout complètement. Son propos est ailleurs.

    Je constate par ailleurs que, du début à la fin, la guerre est moche dans American Sniper (on est très loin de la chanson du club Mickey dans Full Metal Jacket), et qu’il se dégage de l’ensemble une très grande tristesse. Le même genre de tristesse qui se dégage de l’enterrement de Nick dans Voyage au bout de l’enfer. Tout au long du film, Bradley Cooper m’a semblé avoir le même regard que Robert de Niro quand il jette un œil, en sortant de la messe, au cercueil qui contient le cadavre de Christopher Walken. Les dernières images, celles du cortège, m’ont elles aussi fait penser au plan un peu lointain du corbillard et des limousines dans le film de Cimino.

    Le film, certes, m’a semblé un peu court. Mais, au fond, cette sécheresse (très peu de musique, en outre) ne fait qu’ajouter à la tristesse ambiante. L’ellipse finale me paraît d’une tristesse toute particulière, infinie même. Ce genre de tristesse est ce qui fait le meilleur des meilleurs films d’Eastwood : Honky Tonk Man, la mort de Kevin Costner dans Un monde parfait, Impitoyable, évidemment, et bien d’autres.

  19. Les deux premiers Rocky ont été tournés sous Carter. Vous faites sans doute allusion à des opus postérieurs. Je suis tout de même curieux qu’on m’explique en quoi, stylistiquement, American Sniper s’apparenterait à ces films.

  20. @ Julien:

    merci des précisions, je n’ai pas en tête les dates de sortie des différents Rocky, simplement une estimation de l’époque.
    Desquels films je dirai, à titre tout à fait personnel, que le premier est un très bon film, les autres…!!
    Pourquoi comparer Am. sniper à ces Rocky de la guerre froide? Pour le fond, outrancièrement marqué par l’opposition bien-mal; pour la forme, avec un scénario axé sur un duel.
    Pour le style, je ne suis pas bon juge; je pense toutefois qu’Am. sniper est bien tourné.
    😉

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