Pauvre Chou passe le Bac, et il n’a pas aimé les maths — ni la physique, au passage. Trop dure, la vie de lycéen de Terminale S ! Comment ! On a osé lui poser des questions inscrites au programme ! Un scandale ! Il a donc protesté sur les réseaux sociaux, qui sont le ventre mou de notre démocratie molle. Puis il a lancé une pétition, qui a recueilli déjà près de 50 000 signatures — une pétition commode où l’on peut revenir, et où l’on ne vous demande pas confirmation de votre vote. Puis il a protesté auprès du ministère, qui pour le moment lui rétorque que tout était dans les clous — et qui en sous main a sans doute déjà donné des instructions pour que l’on corrige tout ça avec la plus grande bienveillance, en survalorisant les questions faciles, ou en notant sur 26, comme certaines années de grand cru.
Pauvre Chou II proteste aussi, sur d’autres réseaux sociaux. Il est prof de maths (est-il de ceux qui ont été recrutés avec 4 de moyenne ? Je ne sais…), membre du SGEN ou du SE-UNSA (qui proteste itou) et, affirme-t-il, c’était infaisable — en tout cas, pas par ses élèves. « Si l’Inspection qui a choisi ces sujets nous surprenait en cours à traiter ainsi nos élèves, qu’est-ce qu’ils nous mettraient ! Ils veulent qu’il n’y ait que 50% de reçus ou quoi ? »
Pour ceux qui ne savent pas, les sujets de Bac sont proposés par des enseignants (pas les mêmes, manifestement), vus et revus par les Inspecteurs Pédagogiques Régionaux et les Inspecteurs Généraux au besoin. Et formulés dans un esprit de grande libéralité — on garde en vue l’objectif de faire mieux, chaque année, que l’année précédente. En 2013, les postulants au Bac S ont réussi à 97% — un score stalinien. Imaginez-vous un instant, au coût moyen du redoublant, que l’on puisse sereinement envisager un score inférieur ?
Ils ont donc cru bien faire, les Inspecteurs qui ont choisi les sujets. Ils ont cru œuvrer dans l’intérêt des candidats. Mais ils n’ont pas tenu compte d’un certain nombre de facteurs essentiels.
D’abord, le niveau ne cesse de monter, comme chacun sait. Ce qui était inscrit hier dans les programmes est devenu irréalisable aujourd’hui — par manque d’heures parfois, d’énergie souvent. De volonté aussi : les lycéens viennent faire leurs emplettes au lycée, comme ils les font dans la vie, ils consentent à butiner quelques heures de cours, moyennant quoi, estiment-ils, ils mériteront bien le Bac, pour avoir fait hommage de leur temps à l’institution. Travailler, eux ? Jamais ! Ou plus exactement, ils croient travailler : quand ils se retrouvent en classes prépas, et qu’on les met effectivement au travail, ça leur fait tout drôle.
Une facilité engendrant une autre facilité, on a choisi, année après année, de proposer des exercices toujours plus simples — du coup, on a cru que c’était un droit acquis, et la moindre difficulté nouvelle paraît attentatoire. Tout le monde sait bien que le Bac n’est plus un examen, mais un Certificat de Vie Scolaire, une Attestation de Fin d’Etudes Secondaires. L’escroquerie, c’est que ce chiffon ouvre encore les portes de l’Université (et ce sont bien les seules : IUT, BTS, Prépas, quelques facs, soit 45% des formations, ne sélectionnent plus sur le Bac, mais sur le niveau). Il est évident qu’un examen incroyablement coûteux (les polémiques vont bon train sur le sujet, 80 € par élève, dit le ministère, 2000, dit le Syndicat des chefs d’établissement — à multiplier par 650 000, et vous penserez à rajouter au total le coût des redoublements, 13% encore l’année dernière, à 12 000 € par élève) n’a pas d’autre sens que d’être le rite de passage le moins exigeant et le plus vain au monde. Les jeunes Sioux qui devaient tuer un aigle à mains nues en bavaient un peu plus… Un rite dont la conclusion est une beuverie d’après match, si je puis dire, et davantage si affinités. Le stress est moins celui des candidats, qui savent bien qu’ils réussiront, on le leur a promis, on le leur doit, c’est la prie à la semi-assiduité en Terminale, que celui des parents qui croient que le Bac est encore celui qu’ils ont passé. Or, Bac est un nom de famille, et celui de la décennie en cours n’a pas grand-chose à voir avec celui de mon grand-père, si je puis ainsi m’exprimer. Autant le supprimer, en laissant les Facs libres de sélectionner sur dossier — comme les autres.
Nous savons tous comment cette grogne finira : 97% au moins des postulants auront le Bac, et les notations seront ce qu’on voudra qu’elles soient. Même pas besoin de faire pression : le système génère sa propre mécanique des fluides.
Nous savons aussi ce qu’il adviendra de ces nouvelles cohortes de bacheliers (au passage, les 50 000 signatures de la pétition représentent à peu près le nombre d’élèves qui ne devraient pas être en S, et qui n’y sont que parce que d’autres sections sont devenues des repoussoirs, et parce que l’on fait passer le plus de gens possible). Ils iront en fac, où ils se planteront à 50%, ou en Médecine, qui les éjectera, au but d’un an, à 80%. Puis ils feront Communication, Psycho, Socio, Pôle emploi. Pas profs, quand même, il y a des limites.
Mon niveau en maths étant ce qu’il est, j’ai demandé à des collègues compétents de juger les sujets. « A force d’infantiliser les gens en leur donnant des sujets prédigérés pour lesquels ils n’ont plus du tout besoin de réfléchir, les sujets ordinaires finissent par paraître difficiles », me dit l’un d’entre eux — un bon.
C’est bien le comble. Le Bac, rite de passage (les équivalents européens sont tous synonymes de Maturité, puisque c’est de cela qu’il s’agit) infantilise ceux qu’il avait pour but de faire passer dans le club des adultes. Mais à bien y penser, notre société tout entière joue l’infantilisation. Pendant ce temps, les petits Chinois qui à 12 ans raflent toutes les premières places aux Olympiades de Maths sont précocement adultes, et précocement guerriers. Ils viendront manger nos lycéens mécontents, et ce sera bien fait pour eux — tant pis pour nous. Les Romains du Bas-Empire ont dû protester, eux aussi, pendant que les Barbares frappaient à leur porte — frappaient pour les enfoncer.

Jean-Paul Brighelli

27 commentaires

  1. Il faut vivre avec son temps … en Grèce le commerce du shit et les péripatéticiennes seront incluses dans le PIB national donc exit la littérature classique et fuck Euclide ; par contre en roue libre pour le chichon et les nichons.

  2. Pas de quoi s’étonner, hélas.
    Un mien ami, agrégé de math et ingénieur centralien, tentait hier encore – l’an dernier- d’enseigner les maths aux élèves de première S d’un lycée de centre ville. Résultat : une moyenne de classe proche de rien, et une convocation chez le chef d’établissement puis une visite obligatoire chez le médecin de l’inspection académique. Il était fou assurément puisque les élèves ne savaient même pas calculer.
    Cette histoire vraie à une morale, c’est celle du Socle. Elle a aussi une conclusion : la fin de l’enseignement.

    • « une visite obligatoire chez le médecin de l’inspection académique »

      Celui qui remplit des dossiers avec des petites croix à cocher ?

      □ délire paranoïde
      □ délire paranoïaque

  3. Je confirme pour la bienveillance : j’ai le barème (3 questions bonus donc barème sur 22,5) et les consignes sous les yeux (questions simples survalorisées, résultats non justifiés acceptés) et vais m’attaquer à mes copies !
    Et en physique, idem

  4. Et pour répondre à M.Morel, consultez les résultats de l’enquête ( Ac. Aix-Marseille) sur les « usages du numérique » : je n’ai pas été plus loin que la page trois: les inspecteurs constatent trop de frontal et incitent à des pratiques du numérique plus intégrées bla-bla.
    Carnage, oui.
    Va falloir trouver un boulot de nuit pour survivre et payer les études des gosses…

  5. Encore un drame de la misère et de l’ignorance ; on a arrêté la fille et le gendre d’Hélène Pastor milliardaire de son état : elle ne leur donnait pas à manger à leur faim !

  6. Mââme Robine, Dgesco Referens, s’en va pavaner chez Antibi. Elle en fait une « évaluation positive et bienveillante » :

    http://www.educavox.fr/actualite/debats/article/l-evaluation-positive-et

    « L’évaluation positive et bienveillante est consubstantielle de la pédagogie »

    « Consubstantiel » qu’elle dit la dame. C’est dire si les ébats sur la question sont de nature théologique… Un peu comme si le pape François allait faire l’apologie de Monseigneur Lefebvre à un congrès de l’Opus Dei.

    Et dire qu’on parle d’Étienne Klein pour diriger un Machin. Bientôt une évaluation par nombres quantiques principaux par sauts et gambades ?

    • Lorsqu’on sait que la thèse d’Antibi sur la constante macabre a été refusée par le département de mathématiques de l’université de Toulouse mais qu’elle a été acceptée par les courants socialistes de la même univerité, il est normal qu’un ministre socialiste s’intéresse à cette constante et au contrat de confiance façon Darty proposé par son auteur.

  7. Après le bac S 2013, il est clair que tout exercice quelque peu consistant devient une abomination. On habitue les élèves à ne rien savoir et sur ce point l’enseignement est une réussite. Alors quand on leur demande un peu de savoir et de réflexion, cela devient un carnage pour reprendre le thème de la pétition.
    Comme l’expliquait une candidate interviewée par France Info : c’était difficile, on nous demandait de réfléchir !

  8. Y en a marre d’être brimé par les thermomètres !

    PARIS (Reuters) – Le ministre de l’Education nationale souhaite en finir avec les notes « sanctions » dans les écoles françaises et préconise « d’autres formes d’évaluation » pour encourager les élèves au lieu de les « paralyser ».

  9. Vacances, ou presque.
    Du temps vide, c’est exactement cela, avec un budget dans le rouge avant le prochain virement; du temps vide pour les deux mois à veinr que nous envient tant les non-A ( 😉 ) …
    Le plus ulcérant dans notre milieu pro, ce sont les discours de façade, les comportements serviles, la tête dans le sable des collègues, ceux-là même qui continueront de voter PS et SGEN,
    victimes masochistes de bourreaux choisis.
    Nous serons donc croqués, dans quelques mois, à la sauce « éval positive », en attendant de nouveaux programmes encore plus délayés.
    Peut-on prévoir que les revendications ridicules à-propos des sujets du Bac s’étendront sur la moindre évaluation? Faudrait pas se gêner pour, à coups de tweet et autres, épingler tel ou tel prof « trop dur »!
    Faudra-t-il encore longtemps courber l’échine pour avancer?
    A trop se pencher on finit par se faire mettre, non?

    Bon temps libre estival!

  10. Dernières nouvelles des bacheliers 2014 :

    Ils seront intermittents du travail : c’est une voie qui a de l’avenir d’après les derniers échos.

  11. Consigne que j’ai reçue il y a quelques années pour la correction de l’examen : « On valorisera la bonne volonté, même maladroite, du candidat ».
    Nous sommes en train de préparer une société où 80% des citoyens seront des hommes de bonne volonté. De quoi e plaint-on ?

  12. Tant qu’on préserve le permis de conduire de ces dérives, on s’en tire à bon compte ;..

    • On pourrait innover en incitant les plaques paires à rouler à gauche les jours pairs et à droite les autres jours et réciproquement.

      La mesure aurait pour effet indirect et paradoxal de fluidifier le trafic à long terme.

      En ce qui concerne le pilotage du Moloch, on préparerait Mââme Robine dans l’état ½ |Moloch à gauche> + ½ |Moloch à droite> et on l’enverrait tout droit dans le mur. On observerait les gerbes subséquentes.

      Le tout sous le haut patronage quantique d’Etienne Klein qui animerait une mission permanente chargée de la lourde tâche de faire croire qu’on connaît l’Hamiltonien caché derrière tout ce merdier.

  13. Ils se sont bien énervés aussi contre Victor Hugo alors que c’était ce qui pouvait leur arriver de mieux ( la grosse artillerie hugolienne n’a jamais été bien difficile à exploiter )
    Et en ce qui concerne ma petite expérience de correcteur, ils n’ont jamais été aussi nombreux en S à choisir le CC . Parce qu’enfin, il faut le rappeler, si Hugo ne leur plaisait pas, ils avaient quand même le choix entre deux autres sujets.
    Petits Français de la classe moyenne gâtés et pourris…

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