Ah, l’heureux temps où, à l’oral du CAPES, le jury pouvait entendre un candidat apportant la preuve de l’amour de La Fontaine pour les animaux – « il a dédié les Fables à un dauphin, n’est-ce pas… » (Lettres modernes, juin dernier), ou apprendre que le Rhône prend sa source dans les Ardennes (Histoire-Géographie, même date).

   Game over : les maquettes des nouveaux concours de recrutement tout nouvellement pondues par le ministère interdisent, dorénavant, ces extases pédagogiques qui fournissaient aux membres des jurys tant d’anecdotes savoureuses. On n’est plus là pour se marrer.

 

   Des cinq maquettes proposées, deux concernent le concours de recrutement des CPE, pour lesquels je n’ai pas de compétence critique (1), et celui des profs d’EPS, qui a été établi directement par le SNEP, syndicat ultra-majoritaire dans cette spécialité (2).

 

   Pour le reste…

 

   I. Une première maquette, dont la mise en page indique assez clairement la main de la DGESCO et du Ministère lui-même, avec pour l’admission une première épreuve écrite disciplinaire « sans programme autre que les programmes scolaires » (3), et une seconde sur « l’histoire de l’enseignement de la discipline » – une dissertation dans laquelle le candidat devra, en toute indépendance d’esprit bien entendu, « décrire de façon détaillée les changements successifs dans les programmes, en préciser les effets attendus et en évaluer les effets produits ». Langue de bois, me voici !

   Et pour l’admission, une « leçon » qui simulera en 50mn une séance devant une classe donnée (le sujet précise la classe, le niveau, l’élément du programme, et suggère l’utilisation du matériel pédagogique disponible – vive PowerPoint…) ; puis – pour tous les concours – « l’évaluation d’un stage en situation professionnelle », qui aura donné lieu à la rédaction d’un « mémoire » (langue de bois, me voilà), qu’il faudra soutenir devant un jury évaluant en 25mn les compétences professionnelles et didactiques.

 

   II. Seconde maquette, de source plus indécise : il s’agit carrément de réintroduire la bi-valence refusée il y a deux ans par l’ensemble des syndicats. Coucou, la revoilou ! Mais ce projet porte manifestement la griffe de ceux qui militent depuis tant de temps pour le « corps unique », de la Maternelle à l’Université : il est le seul à mettre en parallèle le concours de recrutement des professeurs des Ecole, et celui des enseignants du Second degré. Même duo d’épreuves, pour l’admissibilité, déclinées en Majeure et Mineure (4), et, pour l’admission, une « leçon » simulée (voir plus haut), et un « entretien » sur la connaissance du système éducatif : oh, comme j’aimerais savoir avec quels fonctionnaires seront constitués les jurys ! Oh, comme j’aimerais être sûr que la part de subjectivité, et d’application à la novlangue de la didactique, sera réduite !

 

   III. Troisième maquette – signée, celle-là, de la Conférence des Présidents d’Université (CPU) et de la Conférence des Directeurs d’IUFM (CDIUFM : ils ont eu l’habileté de signer en second, mais il est évident qu’ils tiennent la plume de leurs collègues universitaires, qui n’ont toujours pas compris qu’ils sont iufmisés jusqu’au cou). Elle regroupe elle aussi Premier et Second degré, et s’organise autour des « quatre volets que la CPU souhaite voir figurer dans tous les parcours de master : disciplinaire (ou multidisciplinaire), épistémologique, didactique, et professionnel » : est-il nécessaire de souligner que les savoirs disciplinaires ne constituent plus qu’un quart des pré-requis ? Tout le monde sait qu’on fait mieux cours en étant léger sur les fondamentaux, mais calé en didactique…

   Le disciplinaire / épistémologique / méthodologique concerne donc la première épreuve écrite d’admissibilité, de type dissertatif, la seconde pouvant être une « épreuve sur dossier », « du type des épreuves conçues pour les concours d’attaché » : un groupement de textes sur le système éducatif dont il faut tirer une note de synthèse (5). Et pour l’admission, une « épreuve orale professionnelle » ressemblant comme deux gouttes d’eau à un entretien d’embauche, vérifiera « la connaissance que le candidat a du système éducatif français », et, cerise sur le gâteau, « son aptitude à analyser une situation professionnelle qui n’a pas seulement trait aux contenus de son enseignement » (sic !). Nous voici invités à devenir nounous, ce qui entrera probablement dans l’emploi du temps de nos 35 heures hebdomadaires.

   J’allais oublier : « Il semble opportun de prôner une gestion académique des concours », lance la CPU/CDIUFM, afin de « généraliser la pratique en cours pour le premier degré », avec des « commissions nationales » validant des sujets académiques, la présence du recteur étant censée « rassurer les tenants du caractère national en apportant une véritable garantie de l’Etat ». Cela permettra aux bras cassés et autres pédagogues déficients, qui n’auraient pas même rêvé participer à des jurys nationaux, d’imposer leurs lubies au niveau régional (6). En faisant de surcroît miroiter aux candidats des « affectations académiques » – monstrueuse imposture, puisque nous savons bien qu’une académie déficitaire devra toujours être alimentée par des postulants venus d’ailleurs…

 

   Qu’en penser ?

   D’abord, en amont : le passage à M2 est une absurdité. Il suppose d’un côté de gérer à la fois la préparation d’un concours et l’achèvement d’un diplôme universitaire, en sus d’un stage rendu nécessaire par le format proposé des épreuves – n’en jetez plus ! De plus, il donne aux IUFM, qui ont eu si peur de se noyer dans les universités, l’occasion de refaire surface en inventant des masters professionnels où la part du disciplinaire sera toujours plus étroite. Sans compter que nombre d’étudiants entrés dans ces masters resteront sur le carreau – sans rien, reçus/collés exemplaires d’un système qui prétend former des professionnels, et ne leur propose même pas une alternative. Pedro Cordoba a fourni une analyse indépassable des situations ubuesques qu’entraînera, à court et moyen terme, la mastérisation sauvage des concours de recrutement (http://www.r-lecole.freesurf.fr/).

   Mais sans doute les reçus/collés (estimation moyenne : 80% des masterisés de frais) fourniront-ils, à court terme, de quoi boucher les trous béants des 350 000 enseignants qui vont partir prochainement à la retraite, en permettant de reconstituer les défunts maîtres-auxiliaires. Et adieu alors à ces « heures sup’ » sur lesquels comptent aujourd’hui trop de profs pour compenser des salaires insuffisants. A cocus, cocus et demi.

   En aval, inutile de se demander si ces concours remodelés, qui allègent le dispositif actuel en généralisant la structure des CAPES internes, permettront de mieux faire classe : la réponse est non. On n’enseigne pas avec de la didactique, ni avec une « connaissance du système éducatif ». Pas à de vrais élèves en tout cas. Mais depuis combien de temps les membres des futurs jurys n’ont-ils pas vu un vrai élève ?

 

   Reste le plus beau : la validation définitive du concours.

   Le futur Certifié sera mis tout de suite en situation d’enseignement – à service plein. Mais il aura l’assurance de recevoir l’appui de vrais spécialistes qui se pencheront sur sa pédagogie.. Il en a, de la chance ! Et pas des enseignants en exercice dans son propre établissement, sur le modèle bon enfant des défunts CPR : le SGEN, toujours à la pointe de la pédagogie, refuse tout « compagnonnage », et réclame déjà des formateurs professionnels – de ceux qui ont, depuis longtemps, déserté les collèges et les lycées et sont partis enseigner aux étudiants béats de l’IUFM comment il faut faire classe – de loin.

 

   Jean-Paul Brighelli

 

(1)              A titre d’information : le « référentiel des savoirs et compétences attendus » cite la psychologie, la pédagogie, la sociologie, l’histoire de l’éducation, la philosophie de l’éducation (et de la citoyenneté…), et la connaissance du système éducatif, pour des compétences professionnelles de trois ordres : service de la vie scolaire, projet de vie scolaire, et fonctions de régulation et de médiation. Les épreuves proposées seraient, à l’admissibilité, une dissertation sur l’éducation et la formation des jeunes, et une Etude de dossier ; pour l’admission, une Etude de cas, et un « entretien avec le jury », à partir d’un dossier fourni par le candidat. Tout ce que l’on peut en dire, c’est qu’à moins de recruter massivement, ça laissera quand même 90% des étudiants en psycho/socio dans les limbes.

 

(2)              Après avoir constaté que « le CAPEPS actuel valorise excessivement une forme d’expression littéraire au plan de l’écrit comme de l’oral », et que « l’expression scientifique et technique y est sous-développée », le SNEP propose deux épreuves écrites pour l’admissibilité : une dissertation sur « l’histoire des fondements sociaux, culturels et institutionnels de l’EPS », et une « composition d’ordre technologique à visée didactique (?), sur les « enjeux didactiques relatifs à l’enseignement de l’EPS ». Pour l’admission, un premier oral sur les « enjeux de l’EPS », un second oral « technico-didactique »où « la prestation physique pourra servir de base à l’entretien », et enfin une « pratique de spécialité » qui mettra en évidence la connaissance qu’aura le candidat du « développement anthropo-historique d’une APSA et des pratiques qui en découlent ». Je rappelle que les didacticiens de l’EPS ont été le cheval de Troie des sciences de l’Education au sein de l’Ecole, depuis fort longtemps. La pédagogie, c’est leur domaine, l’égalitarisme est leur credo… Surtout, que l’on n’aille pas s’imaginer que leur discipline a quoi que ce soit à voir avec le sport – ou, a fortiori, la compétition. Allez, je vais me repasser les Chariots de feu, le film définitif sur le sujet, ça me calmera les nerfs.

 

(3)              C’est le leitmotiv de toutes ces maquettes. Le candidat n’est pas censé savoir autre chose que les programmes eux-mêmes. D’un côté, c’est monstrueux : en Histoire-Géo, cela consiste à tout savoir sur tout – en quatre à cinq mois de préparation, puisque les concours auront lieu à la fin du premier semestre. « Mais », a fait remarquer, à une délégation du jury de CAPES d’HG venue s’informer en juin dernier, un Conseiller qui manie merveilleusement l’humour anglais et le second degré, « les candidats sont forcément qualifiés – sinon, cela signifierait que les Licences que vous leur avez délivrées n’ont pas de contenu réel, n’est-ce pas ? » (et le texte de travail, « à ne pas diffuser », du projet CPU/CDIUFM précise : « Les universités seront garantes de la validation des savoirs et savoir-faire fondamentaux des étudiants », ce qui justifie l’absence de programme : il est bien connu qu’un étudiant de M1 possède à fond tous les savoirs de sa matière). Et par ailleurs, cela interdit de rien savoir de façon vraiment approfondie, alors que nous savons tous, et dans toutes les matières, qu’on ne fait passer un programme, face à des élèves, qu’avec des réserves conceptuelles très solides : il faut en savoir bien plus que ce qu’il est recommandé d’apprendre aux élèves, pour leur faire passer un peu de Savoir. Pour transmettre, il faut avoir les épaules larges – et solides.

 

(4)              Exemple donné : « Langues anciennes ou modernes pour le concours de Lettres » (pourquoi pas ?), et « physique-chimie pour le concours de Mathématiques »… On réinvente les PEGC.

 

(5)              Pour le Premier degré, la CPU/CDIUFM prévoit une admissibilité sur une évaluation des savoirs disciplinaires, et une admission sur une « interrogation à partir d’un dossier fourni par le candidat en appui sur ses expériences de stage » – ou la conception d’une demi-journée de classe à partir de documents fournis par le jury (les concepteurs n’ont pas tranché).

 

(6)              L’un des éminents « chercheurs » de l’IUFM de Montpellier vient de sortir un opuscule sur la violence scolaire (inutile de faire trop de publicité à l’auteur ou à son livre), dans lequel il explique posément que les enseignants doivent avoir de la violence de leurs élèves une approche positive et ne pas être paranos… Et baisser culotte avant d’entrer en cours, peut-être.