1342664-le-ministre-de-l-education-jean-michel-blanquer-lors-d-une-seance-de-questions-au-parlement-le-20-ocSi j’osais, je commencerais cette revue de détail des faits, hauts faits et méfaits du ministre par cette remarque que Retz pose en tête de son portrait de La Rochefoucauld : « Il y a toujours eu du je ne sais quoi en tout M. de La Rochefoucauld. » Le « je ne sais quoi », concept éminemment baroque, c’est l’indéfinissable — et parfois l’innommable.
Osons donc : « Il y a toujours eu du je ne sais quoi en tout Jean-Michel Blanquer. » Ça ne doit pas être simple d’errer dans ce cerveau compliqué, sujet à des fougues soudaines, des calculs froids, et des passions longuement réfléchies.

Soyons honnête : la grimace de Mme Vallaud-Blekacem lors de la passation des pouvoirs, en 2017, nous avait donné de l’espoir. Après trois années d’incompétence et d’arrogance au service d’une idéologie pédagogiste délétère, le nouveau ministre serait peut-être l’homme de la situation.

Mais il en est de Blanquer comme de Rodrigue : « Que je sens de rudes combats ! » Avoir à cœur de redresser une Ecole que trente années de gabegie (depuis la loi Jospin, pour faire court, même si la mainmise des idéologues s’est déclarée bien avant) avait fait plonger dans le gouffre était une bonne intention. Mais en même temps, les impératifs serinés chaque jour par Bruno Le Maire (j’ai écrit il y a déjà lurette que la rue de Grenelle, malheureusement, commençait, et finissait à Bercy) sont autant de freins à la volonté de redressement.

Alors, le ministre a entamé une danse paradoxale, toute en déséquilibres. « Valse mélancolique et langoureux vertige ! » D’un côté il tente de réorganiser les ESPE, organe central de la pensée pédagogique. De l’autre, il refuse d’en virer tous les inutiles, les nocifs, les dangereux facariens, et persiste dans l’encadrement pédagogique des néoprofs, confiés aux plus dociles des pédagogues et jamais aux plus capables. D’un côté il promeut la méthode alpha-syllabique, distribue les Fables de La Fontaine à l’école primaire, mais il ne parvient pas à dégommer tous les « professeurs des écoles » qui persistent à pratiquer le semi-global — ou l’idéo-visuel, si l’on préfère employer les termes techniques. La liberté pédagogique a bon dos : grâce à elle quelques nouvelles générations d’élèves sont plongées dans l’illettrisme programmé, la dyslexie provoquée, et la dépendance aux machines, qui ne sont intelligentes que par abus de langage. D’un côté il veut réformer le Bac en donnant plus de champ aux vrais scientifiques. Mais en même temps, l’idée farfelue de faire passer des examens en cours d’année, qui désorganise l’enseignement et a dressé contre lui une majorité de profs qui le brocardent à qui-mieux-mieux, favorise le bachotage mécanique. Que n’a-t-il tout bonnement décrété que désormais le Bac serait attribué sur livret scolaire, en laissant Parcoursup décider des destins à venir ! Les enseignants auraient travaillé à former les jeunes inintelligences qui leur sont confiées comme ils l’entendaient.

Le clou, c’est le projet, déjà très avancé, de réforme des concours de recrutement. Alors qu’il fallait éradiquer ce qui, au CAPES, donne depuis 10 ans une voix prépondérante aux Grands Encombrants de la pédagogie, il le renforce, au détriment des savoirs réels. Alors qu’il fallait en finir avec ces concours abusivement passés à Bac 4, il les reporte à Bac + 5. Ce qui permet (Bercy, nous voilà !) de payer une misère, 600 euros par mois, ceux qui œuvreront dans les établissements dans la dernière année d’avant concours.
Le propre d’une ruse, c’est qu’elle ne doit pas se voir. À budget constant, il fallait réintroduire les IPES, ce concours de pré-recrutement qui se passait jadis à Bac + 1 ou 2, donnait aux lauréats un salaire minimum garanti, en échange d’une promesse de servir l’Etat au moins 10 ans. Puis former les futurs professeurs en les confiant, in vivo et non dans la serre chaude des INSPE, à des collègues compétents, dotés d’une vraie expérience — disons une trentaine d’années —, des maîtres d’apprentissage sur le modèle du compagnonnage. L’occasion pour ces derniers d’accéder à une échelle de rémunération différente. Et pour les nouveaux impétrants, de se confronter à des exigences savantes.

Il faut impérativement attirer les jeunes dans ce métier détesté. Et ce ne sont pas les enfants de bourgeois, nantis de connexions diverses, qui s’y risqueront. Ce sont les enfants déshérités, que la réforme actuelle, en ne leur donnant pas les moyens de vivre (600 € par mois ! Byzance !) décourage d’emblée. Franchement, le trafic de drogue ou la prostitution paient mieux.

Réformer l’apprentissage de la lecture / écriture allait dans le bon sens — celui de l’élévation des classes les moins favorisées (et qui que ce soit qui, sous prétexte de « liberté pédagogique », prétend le contraire mérite d’être radié de la Fonction publique). Mais ne pas tirer un trait sur la réforme de Vallaud-Belkacem, conspuée même par des syndicats de gauche, s’en prendre tout de suite au lycée où arrivent malheureusement tant de gosses déconnectés, c’était entériner les options létales prises par son prédécesseur.

Blanquer a brûlé ses cartouches. Les syndicats qui auraient pu le soutenir ont été tentés de joindre le chœur des mécontents, à tort ou à raison. Et les enseignants qui avaient douloureusement survécu à trente ans de socialisme pédagogique et d’incompétence générale ont décidé que cette fois, c’était assez. Le ministre a-t-il bien saisi qu’une pichenette de plus était un coup de massue de trop ?

Les événements tragiques de Conflans donnent à Jean-Michel Blanquer une opportunité splendide. Il faut remettre la transmission des savoirs au centre des apprentissages — à commencer par celui de la langue française. Pas celle d’Abdellatif Kechiche, qui détruisait Marivaux dans l’Esquive ; pas celle de Ladj Ly, qui atomisait Hugo dans les Misérables. Mais le français de Marivaux, celui de La Fontaine, celui de Flaubert. Les Anglais ont au moins réussi cela, d’imposer l’anglais à toutes les « communautés » de Grande-Bretagne. L’exemple du maire de Londres, Sadiq Khan, née dans une obscure famille pakistanaise (« Ce n’était pas Dickens, mais c’était dur », a-t-il un jour confié) est là pour nous éclairer. Le français est la clé de voûte de notre système éducatif — et que l’on tolère désormais le baragouin des banlieues dit l’étendue de nos renoncements.
Puis il faut réformer les corps administratifs, de façon à ce que les enseignants se sentent constamment épaulés. Il faut que le balancier, envoyé depuis trente ans en direction des parents d’élèves, reparte dans l’autre sens.
Surtout, il faut faire comprendre aux élèves qu’ils ont le droit, en tant que personnes privées, de croire à ce qu’ils veulent. Mais qu’à l’école, ils ne sont là qu’en tant que personnes publiques, et qu’ils doivent se plier aux lois de la République.

Je dis « aux lois » et non aux « valeurs », ce fourre-tout subjectif qui permet de ne pas imposer quoi que ce soit. La laïcité n’est pas une « valeur », elle est un principe.
Que dans votre for intérieur vous pensiez que la Terre est plate, que 72 vierges vous attendent au Paradis ou que l’avortement est un crime ne concerne que votre personne privée. En privé, vous pouvez dire et manifester à votre gré. En public, vous suivez les lois de la France. Et il n’y a pas de charia qui tienne.

C’est pour Blanquer une occasion unique de revenir, en un bloc, sur tout ce qui fait problème. Que l’on croie ou non aux promesses de fermeté de Macron, que l’on pense ou non qu’il met en place une stratégie pour 2022, peu importe, les mots au moins sont là. Que le ministre de l’Education, dont l’intérêt pour la laïcité n’a jamais été mis sérieusement en cause, saute sur l’occasion de tout chambouler en trois mois. Le Grenelle de l’Education qui vient de s’ouvrir lui en donne le prétexte — parce qu’il serait nauséabond, dans les circonstances actuelles, que les conversations se limitent à des augmentations de salaire, même si elles sont à terme nécessaires.

Jean-Paul Brighelli

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