Alors, comme ça, Sauver Les Lettres et quelques autres n’aiment pas que Xavier Darcos supprime les heures du samedi matin dans le Primaire…
C’est une logique comptable, chère aux syndicats les plus bornés, qu’il faudrait peut-être reconsidérer.
Admettons un instant que l’Education se prête aux raisonnements commerciaux. Dans toute opération,on regarde ce que l’on paie, et ce que l’on a en échange. Trois heures de moins pour tout le monde, côté débit. Mais deux heures de plus pour tous les élèves en vraie difficulté (et une réforme à terme des RASED), huit heures de français pour tout le monde, l’abolition des « cycles » dans le Primaire (on fixera désormais des objectifs précis à chaque classe, et chaque instituteur devra y parvenir, sans plus pouvoir passer le bâton souillé à celui de l’année suivante, « tiens, mes CP ne savent pas vraiment lire en juin, débrouille-toi avec eux en CE1… »), et l’abandon de l’Observation Réfléchie de la langue.
Comment ? Vous n’avez pas encore vu tout cela noir sur blanc ? Eh bien croyez-moi c’est dans les tuyaux.
Bref, on remet les élèves au travail.
Du coup, on peut sans doute alléger leur semaine, parce qu’elle sera bien plus intense. Là encore, une logique qualitative doit l’emporter sur le « raisonnement » quantitatif des demi-habiles, Aschieri et consorts. Dans une école où pas une demi-heure n’est perdue, dans une école où on en a fini avec les « koa-2-9 » des freinétistes enragés, dans une école où on bâtit des progressions régulières, dans une école où les chères têtes blondes ou brunes n’ont pas trois minutes à elles pour dériver (1), et où on aura supprimé ces enseignements accessoires et futiles qui mangent aujurd’hui tant de temps, y a-t-il encore matière à exiger des heures, encore des heures, toujours plus d’heures ? Mais vous voulez donc qu’ils crèvent ?
Moi, j’aimerais qu’ils rêvent.
Que ce soit en Primaire ou en Secondaire, tout ce qui n’est pas essentiel est mortel. D’aucuns l’ont dit ici même, et fort éloquemment : les élèves, au fond, ne sont guère friands de ces sorties, débats, TPE et autres fariboles qui ont patiemment, deuis quinze ou vingt ans, désorganisé les cours et la transmission verticale des savoirs. Les élèves aspirent à plus de tenue, et à tous les niveaux. C’est cela l’objectif de Darcos — je l’affirme ici, et je vous promets que ce n’est pas une vue de l’esprit : cet homme a une vraie ambition pour l’école, l’ambition de restaurer la volupté d’apprendre, et il y parviendra, par des voies parfois obscures, parce qu’il connaît la maison et ses traquenards — et qu’il a lu Machiavel, peuchère… Alors on fait semblant de donner des gages même à l’ennemi, qui prend ses désirs pour des réalités : Darcos propose à Gaby Cohn-Bendit d’imaginer un (un seul !) établissement hors système dans quelque lieu pédagogiquement misérable, et le Café pédagogique se croit en mesure d’affirmer qu’il faut des armées de volontaires pour aller évangéliser les banlieues — et le plus beau, c’est qu’il y a ici même des gens intelligents pour le croire ! Mais bon sang, vous n’avez jamais fait de politique ?
Sans doute certaines décisions surprendront. Sans doute certains arbitrages éconoiques décevront. Il est peu de bonheur sans mélange. Mais il faut savoir, parfois, jouir de ce que l’on vous donne, sans exiger la lune, que personne ne vous aurait donnée.

Après le Primaire, les autres. Vous voudriez que tout se fasse en même temps ? Mais quelle idée vous faites-vous du pouvoir d’un ministre ? Richelieu a mis vingt ans à bâtir un Etat, et encore en coupant son lot de têtes. Il faut au moins cinq ans au ministre pour réformer ce que les autres ont mis vingt ans à installer. Le Primaire est une priorité, parce que ce que l’on a fait à deux générations déjà ressemble fort à un crime, et qu’il est hors de question de le laisser se perpétuer. Le Secondaire, c’est une autre paire de manches, parce qu’il faut dans un premier temps gérer l’existant, comme on dit. On ne peut pas rétablir la dissertation dans son ancienne splendeur avec des élèves qui ne savent plus écrire. On ne peut pas rétablir le calcul mental pour des élèves dont la calculatrice est devenue l’appendice indispensable pour les opérations de base — et à qui on a pratiquement interdit d’apprendre par cœur quoi que ce soit, à commencer par les tables de multiplication Le Collège et le Lycée doivent être l’objet de réformes successives, à petites touches — tant pis si le but final est connu du seul artisan responsable.
Et vous voudriez que tout se passe en même temps ! Et ceux d’entre vous qui se sont abstenus de voter pour Ségolène (2) sont déjà des déçus du sarkozysme (par parenthèse, je ne suis pas bien sûr qu’il existe quelque chose que l’on puisse identifier comme « sarkozysme », et en tout cas je suis bien persuadé que la politique de Darcos ne mérite pas ce qualificatif). Mais qui mesure vraiment les résistances de l’appareil grenellien à toute modification — à toute fonte des glaces ?
La raison d’être de ce blog est d’attirer ceux qui ont des propositions, des suggestions, des témoignages. Rouspéter n’est pas une attitude très constructive, même si elle est assez typiquement française. Alors, ne soyez pas si pressés. Pour le moment, il faut déconstruire le constructivisme, avant de rebâtir. Ça prendra du temps. Les bonnes idées ne viendront pas des commissions que le ministre a installées parce qu’il faut bien donner un os à ronger à tout un tas d’incapables (3), qui sinon deviendraient hargneux. Les bonnes idées viendront de nous.

Jean-Paul Brighelli

(1) Voilà que je pratique l’anaphore, comme un quelconque Guaino — je devrais me faire embaucher pour écrire les discours de qui vous savez…

(2) Pour qui n’aurait pas pris le temps d’analyser les causes de la déroute de la Gauche, je ne saurais trop recommander « En quête de gauche », le dernier ouvrage signé Jean-Luc Mélenchon (chez Balland). Une analyse magistrale de l’impasse dans laquelle la social-démocratie jospinienne ou le modèle démocrate américain (mâtiné d’interventions papales — savez-vous que « l’ordre juste » a été emprunté par Ségolène au cardinal Ratzinger, aujourd’hui Benoît XVI ?) ont entraîné le peuple de gauche.

(3) J’ai reçu un témoignage accablant d’une audition de la commission Pouchard, sur la revalorisation du métier d’enseignant. Qu’on se fie à ma parole : ces gens nous prennent pour des zozos — mais pas le ministre, je peux le certifier.