Je suis quelque peu sidéré que le score de Marine Le Pen soit analysé par les commentateurs autorisés comme une surprise. Il est dans la logique de dédiabolisation du FN entamée il y a déjà longtemps, et que la stratégie de Sarkozy — inspirée par Patrick Buisson, qui a fait croire à son candidat que l’on pouvait grappiller les voix de l’extrême-droite en tenant des discours surréalistes sur la viande halal (le souci dominant des 10% de chômeurs, sûrement) — n’a fait qu’accentuer. À parler comme le FN, on incite naturellement les électeurs à voter directement pour le FN, au nom du principe qui fait préférer l’original à la copie. À penser brun, on pousse au noir.

Bonne chance aux sarkozystes pour ramener à eux les voix centristes qui se sont portées sur Bayrou… Et bonne chance pour séduire 100% (à moins, ça ne marchera pas) des voix du FN, qui lorgne à présent sur les législatives, la raclée probable de la Droite et la récupération des députés qui chercheront à survivre, selon les lois immuables du darwinisme politique.

Et nous ? Nous qui nous inquiétons pour la machine Education… Voter Hollande ? Peillon au pouvoir — est-il ou non capable de mettre du pragmatisme dans son idéologie ? Voter Sarko ? Hmm… Reprendre cinq ans de Chatel, qui fut si bien conseillé, comme chacun sait, et qui n’a fait aucun mal à l’Ecole de la République, à, part la démanteler ?

Aller à la pêche ? Voter blanc — mais le seul candidat qui promettait de prendre en compte le vote blanc n’a pas rassemblé sur son nom plus de la moitié des voix qui s’étaient portées sur son nom en 2007… Dire la vérité en temps de crise, c’est risquer, comme je le soulignais dans mon précédent billet, d’être traité comme Cassandre.

Je ne crois pas que Hollande soit assez homme de conviction pour se sentir tenu par son programme — ni par sa gauche, vu le score relativement modeste de Mélenchon. Voilà l’épouvantail « communiste » éparpillé : de quoi vont bien pouvoir parler les éditoriaux du Figaro dans les 15 jours à venir ? Une bonne part des voix du Centre ira sur le PS sans états d’âme désormais. Hollande est plus énarque que socialiste, plus libéral que gauchiste.

Quelle sera l’attitude de Bayrou dans les jours à venir ? Ma foi, s’il veut rassembler sur son nom l’ancienne UDF qui ne manquera pas de se détacher du cadavre de l’UMP après les législatives, il ferait bien de réfléchir à deux fois avant de s’engager à droite toute. Surtout que Sarkozy, pour combler son énorme déficit de voix, n’a d’autre solution que le grand écart, risettes au MODEM et guili-guili au FN. Ça risque de plaire aux uns et aux autres…

En tout cas, s’il veut recréer non la défunte UDF, mais un grand parti du Centre, François Bayrou a intérêt à réviser l’ancien programme de CE2 et se rappeler ce que disait Philippe le Hardi à son père Jean le Bon, à la Bataille de Poitiers : « Père, gardez-vous à droite… Père, gardez-vous à gauche… » Il pourrait y avoir bien des âmes en peine au sein de la défunte UMP, après des présidentielles que Sarkozy pourrait bien perdre, et des législatives que le FN instrumentalisera partout où il le pourra — c’est-à-dire partout. Une prise de position aventureuse aujourd’hui se paierait cash dans quelques mois. Il y en aura que tentera une aventure frontiste rendue séduisant par le succès des urnes — comme si ça le rendait fréquentable. Et tant d’autres qui se chercheront un chef…

D’autant que le FN a tout intérêt à couler l’UMP et son chef en prévision des goûteuses triangulaires des Législatives : il s’en pourlèche déjà les babines. D’aucuns dans ses rangs s’apprêtent sans états d’âme à voter Hollande — quelques années de Gauche au pouvoir en contexte de crise ne pourront qu’ouvrir la voix à cette Droite dure qui se dessine un peu partout en Europe, de la Hongrie aux Pays-Bas. Je ne suis pas assez disciple de Hegel pour penser que l’Histoire se répète, mais ce que nous vivons ressemble furieusement aux années 1930 — crise de 1934, Front populaire, politique vaguement réformiste, insuffisante pour apaiser les tensions en temps de crise, et naissance d’un Parti Social / Populaire Français qui rassembla / rassemblera la Droite la plus dure en préparant le terrain d’un fascisme à la française.

Non ? Quelqu’un oserait-il prendre le pari ?

Personnellement, j’aurais plutôt la tentation de me retirer sur l’Aventin, comme on disait à Rome, en regardant de là-haut les fauves s’entre-déchirer. Les considérations économiques, si pressantes, feront évidemment passer au second plan le souci de l’Education, qui était la raison d’être de ce blog, et je crains le pire, quel que soit le verdict des urnes.

Jean-Paul Brighelli