B9726084778Z.1_20210209142708_000+G9JHIMGOC.1-0Didier Lemaire enseignait la philosophie au lycée de Trappes depuis vingt ans. Sans problèmes. Sauf que la situation s’est sérieusement dégradée depuis que début novembre, juste après l’assassinat de Samuel Paty, il s’est demandé, dans une tribune sur l’Obs, « comment pallier l’absence de stratégie de l’Etat pour vaincre l’islamisme ». Il n’y formulait pas de provocations, il s’adressait à ses collègues, et décrivait « la progression d’une emprise communautaire toujours plus forte sur les consciences et sur les corps ». Le choix du comparatif, « plus forte », n’était pas innocent : à l’orée des années 2000, il avait vu brûler la synagogue de la ville, et les familles juives partir l’une après l’autre.
Après les attentats de 2016-2016, il s’est engagé dans des actions à visée préventive dans cette ville où circulent plus de 400 « fichés S ». En 2018, il a co-signé avec Jean-Pierre Obin — qui dès 2004 dénonçait l’emprise du fondamentalisme religieux dans nombre de cités — une lettre au président de la République « pour lui demander d’agir de toute urgence afin de protéger nos élèves de la pression idéologique et sociale qui s’exerce sur eux, une pression qui les retranche peu à peu de la communauté nationale ».
Le résultat ne s’est pas fait attendre : il a reçu des menaces si circonstanciées qu’elles lui valent aujourd’hui une protection policière.
Les médias se sont émus. Comment, aux portes de Paris… Sans doute n’avaient-ils rien vu venir ?
C’est sur cette problématique cécité des médias et des politiques qu’a commencé notre entretien, ce jeudi.
JPB

Jean-Paul Brighelli. Presque 20 ans après les Territoires perdus de la République, où Georges Bensoussan et quelques autres décrivaient déjà l’emprise islamiste sur des départements entiers, comment peut-on encore prétendre ne pas savoir ?

Didier Lemaire. Que ce soient les médias, dont le silence alimente le déni national, ou les enseignants, soumis à la tactique du « #PasDeVagues », tout témoigne d’une peur profonde. Or, l’islamisme s’alimente à cette peur. Il en fait son terreau pour s’étendre — ce qui, du coup, la renforce, dans un cycle sans fin.

JPB. Quand la nouvelle des menaces qui pesaient sur vous s’est répandue, qui s’est manifesté le plus vite, des politiques ou des médias ?

DL. La première à m’appeler fut Valérie Pécresse — avec beaucoup de sympathie et d’éloquence. Puis Bruno Retailleau, qui au moins sur la question de l’Ecole et de la laïcité s’est révélé impeccable. Et Emmanuelle Ménard, l’épouse du maire de Béziers — dont je ne partage guère les idées, mais qui m’a assuré de son soutien.
Du côté des médias, le pire a côtoyé le meilleur. Le meilleur, ce fut Stéphane Kovacs, au Figaro, plein d’empathie et surtout doué d’un style qui m’a rappelé Henri Calet, que j’admire fort. Ou Nadjet Cherigui, dans le Point, une belle rencontre avec une belle personne. Ou Pascal Praud et Elisabeth Lévy, sur CNews — même si Praud a cru bon par la suite de chercher un poil sur un œuf en critiquant mon affirmation sur l’absence de femmes dans les cafés musulmans de Trappes…

JPB. Ou de Marseille…

DL. Une évidence pour qui connaît la ville.
Le pire, ce fut sans doute l’Express, qui sous prétexte que j’avais jadis donné deux papiers à Causeur, m’a immédiatement situé à l’extrême-droite, et a voulu comptabiliser les coiffeurs mixtes de la ville… FR3 aussi a tout fait pour discréditer ma parole — alors que Médiapart ou Libé ont paru pleins d’empathie. Médiapart en particulier a compris le travail que j’essayais d’effectuer en direction des jeunes filles musulmanes, dont l’Ecole est la seule échappatoire. C’est bien simple : des lycéennes m’ont avoué que quand elles rentraient chez elles, leurs familles les « désinfectaient » — c’est le mot qu’elles utilisent — pour les purger des poisons insinués pendant la journée dans une école où l’on distille l’exercice de la libre pensée et de la laïcité.
Je crois qu’en fait les réactions sont fonction de la connaissance du problème — mais combien de journalistes ou d’hommes politiques ont une connaissance exacte de l’emprise islamiste ? Le déni, vous dis-je…

JPB. Le maire de Trappes, Ali Rabeh, vous a aussi cherché des poux dans la tête

DL. Maire, il ne l’est plus vraiment, ou en sursis, le tribunal administratif vient d’annuler les élections municipales. Son élection a été invalidée à cause d’agissements singuliers — des pressions sur des électeurs, via une association dont il était président, ou l’absence de cadenas sur les urnes, entre autres. Il a fait appel, il reste au Conseil d’Etat à approuver la décision judiciaire, mais cela ne saurait tarder. Dans tous les cas, ses efforts auprès de la « communauté » ne seront pas payés de retour, il est désormais inélégible.

JPB. Et l’Education Nationale ? Comment a-t-elle réagi ?

DL. Très bien. Aussi bien le rectorat que le ministère — et j’ai rencontré l’un et l’autre — ont été très bienveillants. Ils m’ont assuré qu’ils approuveraient mon choix, que je préfère changer d’établissement — ils m’ont immédiatement proposé deux postes — ou rester à Trappes. Bien sûr, il y a la question de ma sécurité. Mais c’est au fond une double contrainte. Rester, c’est m’exposer à des représailles dont la mort de Samuel Paty donne une idée. Muter, c’est fuir — et transformer mes harceleurs en vainqueurs.
En fait, ai-je encore un avenir au sein de l’Education Nationale ?
Je suis prof de philo depuis 1991. Ça a été toute ma vie pendant presque trente ans. Mais les conditions requises pour enseigner ne sont plus là.

JPB. Vous pensez qu’on ne peut plus enseigner dans ces localités sous influence ?

DL. J’ai enseigné pendant des années, et avec beaucoup de bonheur. Les élèves venaient en classe goûter à une liberté qu’ils ne connaissaient pas chez eux ou dans leur quartier. De cela ils m’étaient reconnaissants — et en même temps, il est difficile d’évaluer ce qui est authentique et spontané dans cette attitude, et ce qui est duplicité…

JPB. La taqîya…

DL. Oui, le mensonge recommandé par l’Islam lorsqu’on parle à un hérétique, afin de ne pas se souiller. En fait, ils sont dans une situation schizophrénique, ballotés entre le désir de s’évader — mentalement au moins — et l’obéissance promise à l’oumma, la communauté des croyants. Laïcité à l’école, charia à la maison. Ils sont dans un conflit de loyautés.
Et je crains qu’aujourd’hui ils ne fassent semblant.

JPB. Où vous situez-vous, politiquement parlant ? À gauche ?

DL. Les catégories droite / gauche n’ont plus guère de pertinence. J’ai rejoint le Parti Républicain Solidariste de Laurence Taillade, qui a transité par le Parti des Radicaux de Gauche et le Modem. Pour son appui inconditionnel à la laïcité, et en même temps à une certaine forme de libéralisme : de goût et de formation, je suis plus près de Montesquieu que de Marx.
Et je suis un hussard de la République, au sens le plus traditionnel. Mon métier, c’était de transmettre des savoirs à des petits Français — je n’ai jamais regardé mes élèves autrement que comme des Français. Sans faire de distinction.
Quant à ce qui se prétend la Gauche… Aucun vous m’entendez bien : aucun — des caciques du PS n’a cherché à me joindre. Ni des Verts. Ni Jadot, ni Faure. À se demander quelles valeurs ils défendent — mais quand on en est à se le demander…