Eliane_Viennot_à_la_Wikiconvention_Francophone,_août_2016Deux professeurs de Lettres de mon lycée…

(Ne comptez pas sur moi pour écrire « professeures », je ne travaille ni pour le Monde, ni pour Libé, ces deux Pravda modernes de la bien-pensance. Je me contente d’écrire en français.)

Reprenons.
Deux professeurs de Lettres de mon lycée ont organisé un magnifique colloque à usage interne sur le thème Normes et Langues. Vendredi 15 devait s’exprimer Eliane Viennot, universitaire clermontoise et grande prêtresse du féminisme lexical, dans une conférence intitulée « S’exprimer sans sexisme ». L’avant-propos de la plaquette de présentation était alléchant : « Objet de réflexion, de travail scientifique et de polémique depuis une quarantaine d’années, la « féminisation » de la langue française a récemment connu un changement d’approche. Il apparaît désormais que la fameuse question des « noms de métiers, fonctions, titres et dignités » n’était que la partie émergée de l’iceberg, mais aussi que la domination du masculin sur le féminin dans les discours et la syntaxe est pour l’essentiel un phénomène construit. La conférence s’attachera à montrer les domaines où la langue a été masculinisée, et les différentes ressources qu’il convient de mobiliser pour nous exprimer sans sexisme, dans le double respect de la langue et des valeurs dont nos sociétés se réclament aujourd’hui. »

Qu’une linguiste parle de « domination » du masculin sur le féminin, comme si le mâle écrasait toujours la femelle sous son poids, est consternant. Le masculin en français, les trois-quarts du temps, est un neutre — et peu de mâles accepteraient, s’ils s’en souciaient, d’être ainsi réifiés. Les mots n’ont pas de sexe — ou alors, tout va de travers, puisqu’on dit « le » vagin » (ou « le » con) et « la » verge (ou « la » bite)… Le masculin n’est pas le mâle. Une caractéristique grammaticale n’a jamais été une carte d’identité génétique.

Tout comme il faut dissocier ce qui, dans le mot « homme », renvoie au latin « homo », l’être humain, et ce qui évoque le « vir » latin. Dans la Déclaration des Droits de l’homme, c’était l’être humain. Pour ne pas l’avoir compris, Olympe de Gouges, qui a cru malin d’écrire la Déclaration des Droits de la femme, a été guillotinée. C’était violent, pour une faute de traduction digne d’un gamin de six ans de l’époque, mais le tribunal révolutionnaire ne badinait pas avec le latin.
À noter que les badauds ont regardé avec curiosité son exécution, mais ont protesté lorsque l’aide du bourreau a cru intelligent de souffleter la tête décapitée d’Olympe. Ils ont exigé son arrestation immédiate. Le peuple sait ce qui est juste, et ce qui est abus, comme nous allons le voir.

Eliane Viennot n’est pas venue, alors que je me faisais une joie naïve d’y assister, afin de rentrer en moi-même et me flageller de mes mauvaises opinions antérieures… J’en pleure encore. Elle aurait eu un accident de voiture. Elle n’en est pas morte. « Caramba, encorrre raté ! » aurait dit Hergé.

Cela dit, qu’en est-il des règles de dérivation lexicale en français ?

Avant tout, partons d’un consensus. Le maître de la langue, c’est l’usage — et pas forcément « l’usage de la plus saine partie de la Cour », comme disait Vaugelas, étant entendu que les oligarques à présent parlent une langue absconse. Non, simplement l’usage majoritaire du peuple — c’est la règle observée par l’Académie française. Vous pouvez toujours oser un néologisme, il sera repris ou ne sera pas repris. On a tenté d’imposer « la » Covid en partant de l’idée que le « d » de Covid signifie disease, et que le mot se traduit par maladie, qui est féminin — mais il n’y a pas de masculin ou de féminin en anglais pour les non-animés, à l’exception des bateaux… C’est un neutre, et le neutre, en français, c’est le masculin — voir ci-dessus. Et une très large majorité de gens disent « le » Covid : l’usage a toujours raison.
J’irai plus loin : l’usage peut légiférer contre la règle. « Après que » requiert l’indicatif. Mais l’usage (fautif) impose peu à peu le subjonctif, par contamination avec « avant que ». Vous n’y pouvez rien — comme l’horrible « se rappeler de » (alors que le verbe est transitif), contaminé par « se souvenir de ». En français, le –i- devant –gn- ne se prononce pas lorsqu’il marque la mouillure du –gn- : voir « oignon », ou « champagne » qui s’écrivait jadis « champaigne » (comme Philippe de). Ou « montagne » et non plus « montaigne » (comme Michel de). Oui, mais l’usage a entériné « poignard », prononcé poaniard. Vous n’y pouvez rien.

« La langue est fasciste », disait Barthes pour évoquer les règles de fer de la syntaxe et de la morphologie. Bien plus, elle est arbitraire. Les grands écrivains seuls jouent au-delà des règles — mais c’est dans le cadre de la fonction poétique. La fonction normative, elle, ne rigole pas.
Alors, auteur / autrice, comme spectateur / spectatrice, pourquoi pas ? Après tout, auctrix existe en latin. Nous verrons bien ce qu’en fait l’usage — l’usage, et pas des chiennes de garde déchaînées. Mais pas « auteure » sous prétexte que le e muet final serait féminisant. Ah oui, comme dans « homme ». D’autant que pour bien le faire sentir, à l’oral, vous voici forcées, mesdames, d’adopter l’accent marseillais. « Je suis auteure, peuchère… »
Professeur / professeuse, comme masseur / masseuse, acceptons. Pourquoi pas professeuresse, comme doctoresse ? C’est long, c’est hideux et imprononçable, mais c’est une dérivation rigoureuse. Mais certainement pas professeure.
« Professeuse » est donc une dérivation correcte. Mais alors que le « fesseur » ne s’entend plus depuis lurette dans « professeur », on entend malencontreusement « fesseuse » dans « professeuse » — comme on entend « vaine » dans « écrivaine ». Et les petits malins oseront sans faute la question : une professeuse est-elle une fesseuse pro — comme certaines Maîtresses de l’univers SM ?
D’autant que la langue va toujours vers le plus économique. « Professeur » devient « prof » — qui est masculin ou féminin, le caractère familier du mot, presque sentimental, joue contre la rigidité de la fonction.
Parce que les mots qui évoquent une fonction (de « président » à « ministre ») ne sont théoriquement pas féminisables. Si l’usage accepte « présidente « (jadis uniquement femme de président, voir les Liaisons dangereuses et la « présidente » de Tourvel), allons-y. Mais appelleriez-vous votre avocate « maîtresse » — à la barre ? Pourtant, les viragos modernes insistent : « Je suis maîtresse de conférence ». Ça ne passera pas, le ridicule tue les barbarismes et les pédantes en jupons. Un homme peut-il être « sage-femme » ? Certainement — et il faut être timbrée, ou « chauffeuse routière », pour tenter d’imposer « sage-homme ».

Simone de Beauvoir, qui avait plus d’intelligence et de génie dans son petit doigt que toutes ces vocifératrices réunies, écrit qu’elle est nommée professeur à Marseille, et qu’elle est écrivain. Vous pensez vraiment faire mieux ?

Je déconseille d’ailleurs fermement aux candidats à des concours sérieux de se lancer dans des fantaisies morphologiques à haut risque. Il y a des examinateurs qui ne plaisantent pas avec la correction de la langue, et qu’un « auteure » dissuaderait de pousser plus avant l’examen de la copie.

Ce n’est pas sur la langue que les femmes ont des territoires à conquérir. C’est dans le champ culturel, dans le champ économique, dans le champ politique. Pas en imposant une politique de quotas : peu m’importe d’avoir un gouvernement exclusivement féminin, pourvu qu’il soit composé de clones d’Elisabeth Ière ou de Christine de Suède. Ou exclusivement masculin, pourvu qu’il ressuscite Richelieu et Clemenceau.

La critique porte aujourd’hui sur les manuels scolaires de Lettres, où trop peu de femmes, etc. Au point que j’ai recensé pour mes étudiants dans un POwerPoint d’anthologie les femmes qui se sont illustrées en art ou en littérature. Alors certes, Marguerite d’Angoulême, l’autrice de l’Heptaméron, mais pas forcément Marguerite de Navarre, la première épouse d’Henri IV, et accessoirement la chérie d’Eliane Viennot (pour devenir professeur d’université, choisissez un champ peu labouré, c’est plus sûr). Madame de La Fayette ou madame de Sévigné, madame Guyon à la rigueur (déjà je vous sens hésitants : « Qui ça ? »), mais pas Louise du Néant. L’ineffable Emilie du Châtelet, mais pas madame de Genlis, écrivaillonne (fabriquons des néologismes féminins !) bien-pensante. Sand ou peut-être Rachilde, oui — mais Desbordes-Valmore ? Colette ou Yourcenar certainement, mais pas Christine Angot. Pourquoi pas Virginie Despentes, pendant que vous y êtes ?

Pendant ce temps, des centaines de noms d’écrivains, Dead white males, vous viennent à l’esprit. Il en est de même en art. Artemisia Gentileschi, bien sûr, dont les Judith portent la castration à l’incandescence. Mais Rosa Bonheur ? De beaux tableaux de bœufs et de chevaux, célébrés parce que Bonheur était lesbienne ? Allons donc !
Je n’ai aucune difficulté à trouver du génie à Virginia Woolf. Mais pas à Judith Butler. La possession d’une paire d’ovaires ne contribue en rien au talent, qui n’a pas de sexe. Pas plus qu’une paire de testicules. On voit çà et là des « festivals de films de femmes » où sont présentés des rogatons irregardables. Si on faisait la même chose pour des films d’hommes, quel brouhaha — sauf que l’on aurait l’embarras du choix parmi les chefs d’œuvre.
Et ne croyez pas que je méprise les réalisatrices (le féminin s’est imposé sans complexe). J’aime beaucoup Leni Riefenstahl (ah mince, elle pensait mal…) ou Kathryn Bigelow. Mais avouez, Chantal Ackerman ou Marguerite Duras cinéaste, c’est de la daube. Même avec Delphine Seyrig.
Allez, travaillez, prenez de la peine, créez au lieu de convoquer des conférences oiseuses sur le sexe des diptères que l’on sodomise. Peut-être en sortira-t-il quelque chose.

Jean-Paul Brighelli

PS. Le titre vient, bien sûr, d’une ineffable chanson de Brassens, Misogynie à part, inspirée d’une formule cinglante de Paul Valéry. Mince, encore deux dead white males ! La prochaine fois, pour faire plaisir à Eliane, je citerai Aya Nakamura, sublime ambassadrice de la langue française.

PPS. Le mot « con » (organe féminin) avait enfanté une forme augmentée, « connasse » — con de larges aptitudes. Quand le mot se métaphorisa, vers 1810, on inventa « conne » qui est une sorte de sur-féminisation de ce qu’il y avait de plus féminin — mais qui était régi, si je puis dire, par un masculin. Le mot s’est rapidement imposé, vu sa nécessité. Comme quoi de temps en temps l’usage ne rechigne pas à la féminisation. Alors, ne perdez pas courages, mesdames…

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