Les pays du Nord (Allemagne, Pays-Bas, Finlande, et Luxembourg, ce parangon de toutes les vertus bancaires — bref, la nouvelle bande des Quatre) — veulent mettre la Grèce au ban de l’Europe. Bonne idée, peut-être, tant l’Europe des gens de phynances est loin de ces “’Etats-Unis d’Europe” dont parlait jadis Hugo (mais  Jean-Claude Juncker et ses séides bedonnants ignorent probablement le sens du mot “misérables”). La Grèce est déjà à genoux, ils la veulent à plat ventre. Les pensions ont diminué de 20 % : les femmes retraitées françaises, qui touchent tout juste le SMIC en moyenne, comprennent fort bien ce que cela représenterait, 20% de moins sur 1100 euros. Les salaires ont fondu, les impôts ont augmenté. On appelle cela un plan de rigueur — ou un chantage. Dans tous les cas, une saignée à blanc.

À chaque effort entrepris par les politiciens grecs, qui n’ont rien à envier aux nôtres et ruinent le peuple sans que cela leur coûte trop, à eux, les fourmis du Nord en demandent encore davantage à la cigale hellène. Eh bien dansez maintenant — le sirtaki, sans doute. Zorba forever !

Et à chaque nouvelle exigence, le gouvernement grec, emmené par Loukas Papadimos, ex-directeur de la Banque Centrale Européenne, qui vient de réussir le tour de force de faire rentrer au gouvernement une extrême-droite qui en avait été chassée en 1974, accepte de passer sous des fourches caudines de plus en plus basses — eh bien, rampez, maintenant !

Au passage, il n’est toujours pas question de taxer l’Eglise orthodoxe, le principal propriétaire foncier du pays. Ça, apparemment, ça ne dérange pas trop les démocrates-chrétiens des “pays du Nord” — sainte alliance du portefeuille et du goupillon.

Ni les armateurs. Ni tous ceux qui ont eu le bon goût de faire construire une chapelle sur leurs propriétés. Ni…

Peut-être la Grèce a-t-elle des problèmes financiers, peut-être n’a-t-elle pas toujours eu une gestion bien claire — et Goldmann Sachs, en trafiquant les comptes du pays, ne l’y a guère aidé, tout en se réservant le droit, ultérieurement, de crier au loup. Mais franchement, je m’en fiche. L’Argentine nous a montré que l’on peut redresser un pays sans recourir à l’appauvrissement imposé par le FMI et les autres « machins » internationaux, qui ne sont plus que les courroies de transmission des requins de la finance.

Je voudrais juste dire une chose aux “pays du Nord”…

Vous n’existeriez pas sans la Grèce — ou l’Italie, autre cible de la barbarie comptable. Vous n’auriez pas même le mot “démocratie” — qui est grec, figurez-vous, mais vous ne vous en doutez pas, bande d’ilotes — ilote est un concept grec que vous ignorez aussi, et qui se traduit par ungebildet, schwachsinnig, beschränkt, bekloppte, et quelques autres synonymes — autre mot grec, parce que sont grecs l’ensemble des concepts qui permettent de penser, et particulièrement de penser la langue. Vous n’auriez pas le mot “philosophie” — mais vous n’en avez pas même l’idée, pauvre quarteron de ploutocrates — encore un concept grec pour designer ces grands argentiers qui nous gouvernent, et qui se croient princes.

La Grèce et l’Italie sont la civilisation. Les pays qui veulent aujourd’hui les détruire (parce qu’il s’agit bien de cela) n’existaient pas quand Démosthène, Périclès, Sophocle, Socrate et les autres expliquaient au monde ce qu’est la civilisation — un fait culturel et non une machine économique. La culture est venue de Méditerranée, et les grands hommes du Nord n’ont eu de cesse d’aller au Sud pour y apprendre la mesure, et la démesure — de Dürer à Goethe, qui valent bien Angela Merkel et Jean-Claude Trichet, que je sache. La Grèce a accueilli Chateaubriand, ou Byron. Des hommes intelligents sont venus mourir pour la Grèce. Un ramassis de coyotes prétend aujourd’hui la dépecer. Les Turcs sont de retour — mais ils sont allemands.

Aujourd’hui, les Saxons et les Vikings qui viennent y faire dorer leur graisse s’y rendent avec le complexe de supériorité que donne une bourse pleine, en un temps où l’on confond l’être et l’avoir. Ils devraient se méfier : la dernière fois que leurs grands-parents se sont fourvoyés en Grèce, ils s’y sont fait recevoir à coups de fourche et de mitraillette — et ils ont dégagé bien vite, en laissant derrière eux les débris sanglants d’une Wehrmacht en déroute. Parce que contrairement à bien des pays occupés par les Nazis, la Grèce s’est insurgée en masse, malgré des massacres de masse. Dès 1941, les étudiants ont décroché le drapeau hitlérien qui déshonorait l’Acropole. Merkel, Juncker, Rutte (le très libéral ex-DRH qui dirige aujourd’hui les Pays-Bas) et autres tyrans (tiens, encore un mot grec que les Allemands, incapables de penser politique par eux-mêmes, ont décalqué) de ce que nous nous entêtons à appeler Europe devraient s’en souvenir, s’ils ne veulent pas voir, l’été prochain, les couilles du premier touriste allemand débarquant à Eleftherios Venizelos accrochées au mât qui, sur cette même Acropole, porte le drapeau grec. S’ils ne veulent pas trouver des cendres de Hollandais volant dans les gorges de Samaria.  S’ils ne souhaitent pas trébucher sur du Luxembourgeois explosé dans les rues de Salonique. Les Grecs ont la tête près du chapeau. Dans les manifestations que les télés européennes ont soigneusement évité de trop montrer en détail, ces dernières semaines, de peur de donner des idées à tous ceux qui gémissent sous la botte des grands prêteurs sur gages, c’était le peuple entier de Grèce qui protestait contre la saignée que le Herr Doktor allemand leur impose.

Ce peuple de Grèce dont on exige tant de sacrifices qu’il n’a pas mérités, c’est nous demain. Nous, à qui l’on conseillera d’autres saignées, d’autres mutilations — parce que les sangsues sont insatiables, c’est dans leur nature. Et jusqu’où serons-nous patients ? Accepterons-nous qu’un pays renfloué en 1948 par le plan Marshall nous impose ses rodomontades ? “Nous sommes la vertu”, clament les Allemands. Ma foi, je crois que je préfère le vice grec – quel qu’il soit. Ou le baiser florentin, qui nous a donné l’idée du french kiss : l’Europe pense grâce aux Grecs, et s’embrasse grâce aux Italiens et aux Français. Le cul et la culture sont méditerranéens. Ils ne sont pas nés en mer du Nord, ni en Baltique. Aux uns la langue, l’amour et la pensée, aux autres les harengs.

La bière ne vaudra jamais la retsina ou le lacryma Christi — ou le saint-émilion, parce que nous sommes juste derrière la mire, désormais. Un Germain plein de cervoise ne pensera jamais aussi bien que les Grecs invités par Platon au Banquet.

Jean-Paul Brighelli

Quelques liens pour mesurer les enjeux :

Point de départ : http://www.lemonde.fr/crise-financiere/article/2012/02/13/la-cure-d-austerite-ne-suffira-pas-a-redresser-l-economie-grecque_1642532_1581613.html

Nouvelles exigences de l’UE : http://www.capital.fr/a-la-une/actualites/le-vote-de-l-austerite-grecque-ne-suffit-pas-a-l-union-europeenne-697608 et http://www.lemonde.fr/crise-financiere/article/2012/02/15/la-grece-devra-encore-attendre-pour-l-aide-europeenne_1643428_1581613.html

Les manifs grecques comme les télés européennes ne vous les montrent pas : http://www.lemonde.fr/crise-financiere/article/2012/02/15/la-grece-devra-encore-attendre-pour-l-aide-europeenne_1643428_1581613.html et http://jesuisgrec.blogspot.com/2012/02/deux-temoignages-en-francais-sur-les.html

Les Grecs ont des députés heureux — comme les nôtres : http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2012/02/heureux-qui-comme-un-député-grec-a-touché-le-pactole.html

Sur le rôle de Goldmann Sachs dans le maquillage des comptes de la Grèce : http://www.lemonde.fr/crise-financiere/article/2011/10/31/la-grece-dossier-noir-de-l-ancien-vrp-du-hors-bilan-chez-goldman-sachs_1596412_1581613.html

Et sur le modèle argentin de sortie de crise : http://www.liberation.fr/economie/01012390907-nous-avons-sauve-les-gens-plutot-que-les-banques