Je suis allé voir, au théâtre de l’Epée de bois (que de souvenirs…), installé à la Cartoucherie de Vincennes, la dernière mouture d’Hamlet par Daniel Mesguich — qui de son propre aveu a « besoin » de remettre la pièce de Shakespeare en scène tous les dix ans, pour faire le point sur ce qu’il est lui-même — et, conséquemment, sur ce que nous sommes.
J’en avais vu une précédente mouture (il y a bien vingt ans) au TEP, pleine d’imagination et de grotesque assumé au milieu du drame — le fondement de l’esthétique élisabethaine. Celle-ci joue à fond la carte de la mise en abyme — le décor reprend l’encadrement solennel de la scène elle-même, cadre dans le cadre dans le cadre. Comme si le metteur en scène avait voulu exploiter à fond la scène de la pantomime, qui éclaire le meurtre du roi, et plonge Elseneur dans les tracas et les meurtres en série (rien de plus sanglant que cette pièce, qui finit sur un amoncellement de cadavres).
On distribue d’ailleurs à l’entrée un programme illustré d’un texte particulièrement éclairant et intelligent de Mesguich soi-même — bref, au total, une soirée enthousiasmante, et saluée par une foule (compacte — pensez à réserver) tout à fait conquise.

Mais ce n’était pas tout à fait de cela que je voulais parler.

Juste avant que le spectacle ne commence, j’ai vu la grande ombre claire (imper pâle tombant presque aux pieds) de Mesguich remontant tout en haut des tréteaux (tiens, il se déplume un peu… Et il a un peu grossi — me dit mon miroir : c’est que nous avons le même âge, ou à peu près). Sur scène, désormais (pour cette pièce au moins), c’est son fils William (chez Shakespeare, cela s’imposait) qui officie.
Comment dire… J’ai d’excellents souvenirs de théâtre associés à Mesguich lui-même — entre autres un fabuleux Dom Juan vu à Montpellier il y a une dizaine d’années (et damnée, le temps s’en va, madame, las, le temps non, mais nous nous en allons). Et William, ce n’est pas Daniel. C’est bien, c’est efficace, mais quelque chose manque — appelons-le flamme ou charisme, comme vous voulez. Ou magie.
En 1992, Robert Redford sort Et au milieu coule une rivière, remarquable adaptation d’un livre plein d’humour signé Norman Mcclean, que je conseille vivement à tous les amateurs de pêche à la truite et d’humour ravageur. Il y fait jouer un p’tit jeune repéré l’année précédente en truand minable dans Thelma et Louise — un certain Brad Pitt. Filmé par Redford avec amour — et il est évident, à regarder le film, que le grand Robert pensait alors que le petit Brad était l’écho ressuscité de ce qu’il fut au temps de Butch Cassidy. Oui, le film passait visiblement le relais — tout comme Daniel tente de le passer au fiston.
Dix ans plus tard, dans Spy game(un excellent film de Tony Scott), le grand Redford, d’un regard, à l’extrême fin, expliquait au petit Brad qu’il resterait à jamais dans son ombre, tributaire du bon vouloir du grand ancien — qu’il n’existerait (et dans la trame du film, qu’il n’aurait de vie sentimentale) que par la grâce du maître (espion) que jouait Redford soi-même. Il est des pères qui tuent les fils — c’est même une vieille tradition narrative. Voir la légende de Rostam et Sorhab.

Il y a deux ou trois ans, j’ai cru moi-même avoir trouvé l’écho de ce que je fus — goût de la littérature, lue et écrite, capacités scolaires hors pair, et le « mépris d’avance » cher à Solal dans Belle du seigneur. Las ! Je m’étais un peu illusionné…

On peut presque dire des individus ce que Marx disait des répétitions de l’Histoire (c’est au tout début du 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte) : la première version est un drame, plein de bruit et de fureur ; la seconde est une farce — ou tout au moins une valeur dévaluée. Mesguich (Daniel) doit être content de la performance de Mesguich (William). Il l’aime, c’est évident — il ne lui aurait pas confié ce rôle écrasant, il ne le lui aurait pas fait jouer ainsi Mais pour le moment au moins, le fils est grand, mais il n’est pas son père.

Jean-Paul Brighelli

18 commentaires

  1. Un homme c’est la rencontre entre ses gènes et l’histoire de son environnement ; êtes-vous propriétaire de vos gènes ? plutôt locataire je dirais … avec un bail qui expire à échéance.

    Quant à votre histoire elle est mêlée de tant d’influences que seriez-vous Adam le Père il y aurait beaucoup à redire sur cette histoire de côte dont serait sortie Eve votre autre moitié !

  2. Quant au père de Daniel, il s’appelait William.
    Le petit-fils a le nom de son grand’père.

  3. Vous connaissez certainement JPB le sénatrice Benbassa qui a présenté un rapport où elle préconise le retour vers la communauté des origines comme horizon indépassable de l’humanité ? Avec enseignement de la religion à l’école.

    C’est admirable de voir à quel point des gens qui n’ont pas un atome de culture en-dehors de la culture médiatique sont prêts à revenir avant même la Renaissance des arts et des lettres afin de satisfaire leurs pulsions régressives vers la communauté de culture comme ils disent !

    Dans cet excellent film « Un jour sans fin » on nous présente un présentateur météo désabusé qui doit faire un reportage sur « le jour de la marmotte » dans un petit village au nom pittoresque ; pour lui ce sont des bouseux ; par un étrange sortilège il est enfermé dans ce village ad vitam aeternam ; la rédemption arrive quand il devient gentil tout plein comme les gens du village … alors que lui était un méchant de la grande ville qui ne croyait en rien !

    … Devenez idiot du village voilà la morale nouvelle ! Elle est arrivée … elle est toute neuve sortie de l’oeuf !

    P.S : Si je suis le dernier des grands méchants loups animé par la raison toute-puissante, ce sera alors mon titre de gloire !

    P.P.S : Je précise que je ne crois pas à ces contes de bonne femme (on ne sait jamais).

  4. Dans les années 60 Serge Korber avait fait un excellent film « Un idiot à Paris » où l’on se moquait gentiment de la naïveté fleur bleue d’un idiot du village confronté à la grande ville.

    Qui aurait cru, qui aurait dit que moins d’un demi-siècle après on nous présenterait ce genre de conte comme la vérité vraie ?

  5. On est ravi d’avoir quelque information dans les deux derniers billets sur une expo et une pièce de théâtre. Annie Lebrun mérite à priori d’être défendue étant donné qu’elle surpasse n’importe quel spécialiste universitaire sur Sade. Elle qui a toujours vécu en faisant la nique à la fac et à toutes les institutions, une des rares personnes que j’ai pu rencontrer qui a vécu et vit vraiment sans compromission.
    Quant à l’article sur Hamlet, je m’étonne toujours de voir des gens chercher dans leurs enfants un clone d’eux-mêmes. Quel besoin de chercher à tout prix un autre soi-même à travers son gamin ? La frousse de la grande faucheuse ?

  6. Sarkozy veut deux mariages : un pour les gays un pour les non-gays.
    Le mariage cul-cul et le mariage con-con !

    P.S : On voit bien qu’il a 5 ou 6 cerveaux mais ils ne doivent pas être tous connectés ensemble !

  7. Il a des frelons dans sa bouche le Sarkozy ; je pense que c’est contagieux et que c’est Carla Bruni qui lui a transmis ces charmants animaux piquants au diable !

    P.S Je demande son avis à un véto ; svp Yann et Dobolino parlez-moi de l’épidémiologie des frelons dans la culotte ?

  8. HS total, navré, mais urgent à lire:

    http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/11/18/97001-20141118FILWWW00323-les-parents-pour-un-moindre-poids-des-notes.php

    Au feu les pompiers, la maison prends feu? Je crois qu’on commence à toucher le fond.
    La propagande forcenée semble toucher au but: les notes vivent leurs derniers mois.
    Je crois que je vais craquer et finir par coloriser mes collégiens avec la mansuétude la plus large; et vogue la galère ( enfin, mergite plutôt la p…de galère)
    Grrrrr!!!!

  9. Pas majoritairement…
    Bon, j’ai fait deux ébats sur le sujet (dont un âpre sur Sud radio lundi matin, avec une représentante FDCPE pas piqué des hannetons, et Florence Robine, patronne de la DGESCO, langue de bois impeccable), mais j’écrirai quelque chose.

    • La FDCPE ? Une dissidence de ces héritiers de Kronos ?

      Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il y a une offensive khoncertée pour promouvoir le néant compétentiel sur fond de pastilles colorées.

      Pour occuper les foules, on lancera un grand débat pour savoir s’il vaut mieux parler de pastilles ou de rondelles.

      De toutes façons, ça fera mal aux fondements.

  10. Dans les matières à option au lycée, ils réclament des notes. Les parents en redemandent aux conseils de classe…
    Mais ce ne sont pas les notes qu’ ils ne veulent pas voir, ce sont les mauvaises notes qu’ils ne supportent pas sauf en sport évidemment où là tout-à-coup tout devient supportable.
    Cela dit, si l’on nous enlève ça, après nous avoir enlevé le droit de passage, le droit d’évaluer les candidats aux examens selon notre conscience, le droit d’écrire la vérité sur les bulletins trimestriels, le droit de commenter sincèrement les copies individuellement devant toute la classe, le droit de ne pas subir un carcan imbécile sous forme d’objets d’étude contraignants et discutables, le droit d’exiger un travail fait à la maison, il ne nous restera plus qu’à demander l’autorisation de faire cours à nos élèves. A quand la convocation dans le bureau du chef d’établissement pour répondre à une plainte de parents nous accusant d’avoir osé faire cours à leurs pauvres petits ? Un ministre quelque peu clerc prouva par sa harangue / Qu’il fallait dévouer ces maudits animaux / Ces pelés, ces galeux, d’où venaient tous leurs maux / L’évaluation fut jugée un cas pendable. / Noter, juger les p’tits ! quel crime abominable !
    Rien que la mort n’était capable / D’expier leur forfait : on le leur fit bien voir.

  11. Renaud Camus veut faire remigrer tous les migrants des 40 dernières années (chacun son petit quart d’heure de folie même s’il peut durer un quart de siècle).

    Question très in-nocente : faut-il une ou plusieurs bombes nucléaires pour raser tout Marseille ?

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