Jeudi dernier, donc, Marseille se la jouait apocalypse. La neige, dès le mercredi soir, avait plongé la ville, dont on n’imagine pas le degré d’impréparation aux intempéries, dans un chaos de troisième guerre mondiale.

Le rectorat avait décidé la fermeture des établissements scolaires — sauf qu’à Thiers, les classes prépas continuaient à  fonctionner. La plupart des profs étaient là, et environ un tiers des élèves.

À la décharge des autres, même le métro, souterrain sur l’essentiel de son parcours, avait cessé de rouler, les agents n’ayant pu, disaient-ils, se rendre sur leur lieu de travail…

En Hypokhâgne — recrutement « bourgeois », dans l’ensemble — cours normal, avec des effectifs réduits.
En SPE (recrutement exclusif en ZEP — voir ma note sur l’Art de la drague, http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2008/11/24/art-de-la-drague.html), aucun élève.

Ce sont pourtant de bons petits, raisonnablement travailleurs, d’autant qu’ils sont là par un choix volontaire. Mais le réflexe n’est pas acquis : on ne se rend pas au lycée par plaisir (quoi qu’on soit bien content d’y être, en général). Leurs années ZEP ne leur ont pas donné de l’Ecole une image assez satisfaisante pour qu’ils fassent l’effort, un jour d’intempéries, de venir en classe.

Ajoutez à cela qu’ils ont souvent une santé défaillante — somatisation ou accès aux soins plus aléatoire que leurs petits camarades plus favorisés : ils se plaignent avec une facilité déconcertante.

Et en cours, certains s’affalent carrément — dormant les yeux ouverts, épuisés en arrivant. Plusieurs ont une double charge — l’école et la famille : ils s’occupent de leurs frères et sœurs, les filles particulièrement, familles nombreuses, parents absents ou aléatoires. Même leur régime alimentaire diffère de celui de leurs petits camarades d’HKH : ni le même plafond de ressources, ni même les mêmes goûts.

Le lycée est si conscient de ces problèmes qu’il laisse les salles à la disposition des élèves jusqu’à 20 heures, et ouvre la cantine le soir à ceux qui veulent y manger. Mais la vraie solution, là et ailleurs, serait de rouvrir massivement des internats.

C’était Jean Zay qui disait que les écoles doivent rester à l’abri des soubresauts du monde — tant que faire se peut. Elles devraient aussi protéger les élèves conteur leurs parents, leurs habitudes sociales, les trajets désespérément longs. Il n’est pas concevable pour un gosse d’être contraint, comme on dit en Justice, à une double peine — travail scolaire et soucis domestiques — travail de classe et soucis de classe (sociale).

Les deux lycées montpelliérains où je sévissais encore l’année dernière sont tous deux équipés d’un internat fonctionnel — pas le luxe, mais de quoi vivre et travailler. Peut-être faudrait-il commencer une réforme par là : offrir aux élèves un autre cadre que celui de leur famille (« tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin », dit Poil-de-Carotte), de leur quartier. Les déraciner pour leur bien. Leur construire une bulle, le temps de leurs études. Et ce, peut-être dès les petites classes. Et alors seulement l’Instruction sera naturellement Education.

Jean-Paul Brighelli