Capture d’écran 2017-07-30 à 05.04.28Ils sont vieux, fatigués, et pleins aux as. L’opération a été rondement menée, ils ont livré les armes au général mexicain qui pourra ainsi exterminer les rebelles, et qui les a grassement rémunérés. Bien sûr, l’un de leurs comparses est désormais le prisonnier dudit général, dont il a abattu la puta préférée. En attendant, deux d’entre eux prennent un bain de vin vieux dans une énorme barrique en compagnie de dames accueillantes et fortes en tétons, un autre vient de se taper une signorita muy hermosa, le quatrième, assis à l’ombre, taille philosophiquement un bout de bois avec son couteau.
Eh bien le plus vieux de la bande sort finalement des bras de sa compagne d’une heure, retrouve ses comparses , et lance : « Let’s go ! » — à quoi l’un des autres se lève en disant : « Why not ? ». Et ils n’ont même pas à expliquer au tailleur de copeaux pourquoi ils sortent, prennent leurs fusils et partent à quatre affronter cinq cents hommes. Et y laisser leur peau. Ainsi se termine la Horde sauvage.
(Même situation dans Key Largo — car les codes du western ont essaimé bien au-delà de l’Ouest des années 1860-1910 : Lauren Bacall demande à Bogart « Why » il part prendre un risque démesuré, dont il n’a pratiquement aucune chance de revenir vivant. À quoi l’autre répond : « I have to go » — sans qu’il n’ait en fait d’autre obligation que celle qu’il s’impose à lui-même : en quoi il affiche, en obéissant à cette obligation, sa parfaite et complète liberté).
Dans les deux cas, les gangsters de Wild bunch ou l’ex-soldat revenu de tout en général et de Monte Cassino en particulier obéissent à une loi morale intérieure qui fait d’eux des hommes bons, dotés d’une volonté parfaitement autonome (à aucun moment ils ne se conforment à une loi qui leur serait imposée de l’extérieur, Kant et Peckinpah sont catégoriques sur ce point), obéissant donc à un impératif interne absolu, et ayant les uns et les autres déterminé que l’homme est une fin en soi — pas une chose à valeur relative. Et tout cela sans qu’une transcendance extérieure puisse expliquer ou motiver des comportements somme toute extrémistes, ou paradoxaux, puisque le sens du devoir et la raison triomphent de l’instinct de survie. Mais justement, l’homme des Lumières se bâtit au-delà de l’instinct.

Capture d’écran 2017-07-30 à 05.05.22On ne parle pas assez de l’influence de Kant sur le western classique. Et surtout, on ne parle pas assez, quand on constate la raréfaction actuelle du genre, de la perte de ce Kant à soi dans notre civilisation.La fin du western est un marqueur remarquable de la perte du sens interne du devoir, de la réification de l’humain, et d’un repli vers un Ego narcissique (tout pour ma gueule) qui nous éloigne un peu des grands principes de la raison pure.
Je peux multiplier les exemples à l’infini, mais à qui renâclerait je conseille de visionner l’une après l’autre les deux versions de 3 : 10 to Yuma. Celle de Delmer Daves (1957) met en scène un fermier un peu frustre (Van Heflin) qui contre toute raison raisonnable affronte des périls incessants pour amener son prisonnier, l’abominable et séduisant Glenn Ford, à la gare où il le mettra dans le train pour Yuma et son pénitencier. On comprend vite que ce n’est pas pour la prime offerte (motif initial) mais en raison d’un devoir intérieur que le fermier s’impose contre toute logique une conduite qu’il faut bien qualifier d’héroïque — ce qui permet au passage de définir l’héroïsme comme l’obéissance à une nécessité intérieure, à laquelle on se plie dans l’exercice de sa liberté : voir Léonidas aux Thermopyles, ou Davy Crockett à Alamo.

Puis vous jetez un œil sur la version indéfiniment étirée (122 mn contre 92 pour le film de Daves) de la même histoire réalisée par James Mangold en 2007. Christian Bale (le fermier) n’obéit plus à sa volonté autonome, mais au désir de briller et de se réhabiliter aux yeux de son fils (introduit par le nouveau scénario — afin sans doute que l’ado de base y trouve de quoi s’identifier, faute d’y trouver de quoi réfléchir) face à un gangster (Russell Crowe) d’une séduction encore plus affirmée que celle de Glenn Ford, sous ses cicatrices fraîches fort seyantes. Les personnages passent deux heures à faire la roue, là où dans la première version, dans un noir et blanc que le ciel d’Arizona rendait impitoyable, ils sont confrontés l’un à l’autre — le film est en fait un long duel mental où le plus kantien des deux l’emporte nécessairement. Voyez vous-même :Capture d’écran 2017-07-30 à 05.07.19Capture d’écran 2017-07-30 à 05.08.39Allons jusqu’au bout de la logique kantienne. Qu’est-ce que la loi — en l’absence de loi divine, en cette fin de XVIIIème siècle, Dieu est mort, bien avant que Nietzsche ne le proclame, dois-je le rappeler ? Il y a un très beau western, tout aussi crépusculaire que la Horde sauvage (les œuvres des crépuscules ont le mérite d’exposer à vif les codes plus ou moins embrouillés ou camouflés dans les réalisations antérieures). Je veux parler du film de John Huston, The Life and Times of Judge Roy Bean — en français, Juge et hors la loi.Capture d’écran 2017-07-30 à 05.14.58 Roy Bean, « la loi à l’ouest du Pecos », feint de s’appuyer sur le Code, mais il prononce ses jugements en fonction de son impératif moral personnel, qui ne tergiverse jamais. Et dans les dernières minutes, flamboyantes, il détruit la ville érigée par les appétits légaux d’une crapule qui a la loi pour lui, au nom des impératifs catégoriques d’une morale supérieure à toute construction sociale. « Who are you ? » demandent les braves gens, braves crapules. « Justice, you sons of bitches ! » répond le kantien de service (avoir une morale forte n’exclut pas le recours à un langage énergique). Et il détruit complètement par le feu l’œuvre des hommes, pour ramener le paysage au désert initial — le désert aussi est un paysage kantien, non entaché des excréments civilisationnels. Le désert où passe dans la dernière bobine, fantôme sublime de notre quête de bonheur (car chez Kant le bonheur ne tient ni à la connaissance métaphysique, ni à la poursuite égoïste d’une illusion, mais à l’exercice de la vertu) la fabuleuse Lily Langtry, The Lily of the Valley, qui fut si fort aimée (et platoniquement) par le Juge et à qui Huston a eu la bonne idée de prêter les traiter d’Ava Gardner : car le paradis des kantiens n’excluent pas la contemplation de la beauté.Capture d’écran 2017-07-30 à 05.33.51Le sentiment du devoir peut donc se dresser contre la loi elle-même. C’est le cas par exemple dans l’admirable Warlock (l’Homme aux colts d’or, Edward Dmytryck, 1959), où Richard Widmark, qui a lui aussi toutes les raisons de laisser tomber (on lui a l’avant-veille transpercé la main droite avec un poignard, il est à peu près incapable de dégainer) va quand même affronter le « marshall » (Henry Fonda, mythique) que s’est donné la ville et qui se prend désormais pour le Deus irae. Capture d’écran 2017-07-31 à 06.45.22Alors, que dire de cette disparition du western ? Sans doute que les valeurs morales ont disparu avec elles — remplacées par une morale pratique rebaptisée « vivre ensemble ». Que la vertu, exercice libre de la raison, est devenue une défroque dont se vêtent des députés français désireux de se montrer plus blancs que blanc. Que le devoir intérieur se réduit aujourd’hui à l’observation des règles du code de la route. Que la personne morale est ramenée à l’image enregistrée par le selfie. Et que l’héroïsme consiste désormais à observer les règles que d’autres ont conçues pour vous, à leur bénéfice exclusif.

Jean-Paul Brighelli

63 commentaires

  1. Ah ! Merci d’avoir (re)donné à Emmanuel * une trace de paternité dans le Western.

    Voilà en tout cas remis en lumière le dilemme du héros, sommé à la fois d’agir (« I have to go ») et d’agir (« Un homme, ça s’empêche »).

    * celui dont on a tort de railler la sexualité.

  2. Ouais bon! J’ai explosé de rire en regardant (surtout pour le plan nichons) le premier lien « Let’s go ! Why not ? », mais le plus cocasse, c’est quand les quatre bastards taciturnes (foin de nos texticules, sortons nos gros canons !) se préparent au combat avec la force tranquille d’un rouleau compresseur. Pas de prêchi-prêcha avec ces quatre mecs qui ont le goût des choses simples: buter d’abord, dialectique transcendantale ensuite !
    Je ne sais pas si le reste du film est à l’avenant, mais je salue au passage le réal qui a réussi à se fixer des limites indépassables sous peine de sombrer dans la parodie du western des années 60 qui a toujours été pour moi –et de ce que j’en connais– une étrange mixture d’humour et de premier degré qui en fait toute l’efficacité.
    Merci pour ce moment !

  3. Je viens de voir le nouveau tribunal de Paris porte de Clichy : une tour de 160 mètres de haut avec des volumes qui se décochent les uns des autres – est-ce donc là la forme exacte de l’impératif kantien ?

  4. Et la John Hancock tower de Chicago ? Il est le seul signataire de la déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776 – autre forme du sublime !

    • Bien sûr, mais je ne sais pas si elle est visitable comme la Willis. Hancock Tower est située dans une des plus belles avenues de Chicago, Magnificent Mile, pas loin du Drake Hotel (si tu as vu le premier « Mission impossible » avec Tom Cruise, ça doit te dire quelque chose).
      Une de mes plus belles promenades dans Chicago, longeant les quais du lac, il faisait un froid sibérien ce jour-là. Il faut absolument que j’y retourne pour voir les maisons de Frank Lloyd Wright. Chicago, au moins 8 jours pour voir l’essentiel: le musée Art Institute m’a déjà pris une journée au pas de charge…

        • Le loop (le centre d’affaires de la ville pour ceux qui n’y sont jamais allé) je l’ai pratiqué en métro avec la CTA, bien sûr mais aussi à pied. J’y étais en février 2014 après les exams et un jour je me suis tapé un -34°C. Lac et rivière gelés, visite en bateau de la ville impossible. Je logeais à Addisson juste à côté du stade Wrigley Field au niveau du métro aérien qui circule jour et nuit sur cette ligne: le métro rentrait dans la cuisine et sortait par la chambre de mon Airbnb: l’enfer !

  5. Quelque part Donald Trump reprend le flambeau de la déclaration d’indépendance – espèce de soufflet à l’ordre constitué – l’ordre divin de la royauté anglaise.
    Du coup tous les mondialistes qui cachent soigneusement leurs intérêts obscènes sous de pompeuses déclarations d’intention lui font tous les procès possibles et imaginables !

  6. On associe l’indépendance de l’Amérique à la chevauchée – un peu ridiculement cow-boy de western – de Paul Revere, le joaillier de Boston ou au panache aristocratique et assez vain de Georges Washington qui enchaînait défaite sur défaite avant l’arrivée des Français, ou encore au côté brillamment intellectuel de Benjamin Franklin venu à Paris plaider la cause des insurgents.
    Mais enfin c’est bien Hancock qui a organisé la victoire politique !

  7. En somme, via des amendes en dollars, Roy Bean punissait ceux qui osaient critiquer sa faculté de juger.

    Sommaire mais efficace.

  8. La déclaration d’indépendance signée par Hancock a été écrite par Thomas Jefferson ; il assigne à l’homme le but d’être heureux (en vivant libre), ce qui est conforme à la vision philosophique classique.
    Kant lui substitue le devoir moral qui se réfère à un grand tout : l’humanité !
    Voilà ! Il y a donc un malentendu chez Brighelli … les Etats-Unis d’Amérique reposent sur le bonheur individuel avant tout, pas sur une hypothétique adhésion au grand tout universel.

  9. Tout de même, Kant c’est coton à lire. Dans les premières phrases de « La critique de la raison pure » on peut lire : « Comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? » (jugements synthétiques = jugements dans lesquels le prédicat ajoute quelque chose au sujet. Exemple: la chaussure est noire; par contre le cercle est rond = jugement analytique).
    Je me demande toujours comment on peut comprendre les enjeux de cette question si on n’inscrit pas Kant dans la postérité de la révolution scientifique qui marque le XVIIème siècle: Galilée, Newton(Principia mathematica) et peut-être Descartes si on lui fait grâce de ses multiples erreurs scientifiques dans ses « Principes de la philosophie ».

  10. Ce n’est pas n’importe quelle personne qui puisse relier Kant et le Western… Un seul mot, bravo

    • Une image peut être pour illustrer cette hardie proposition qui relie l’index, le majeur, la langue et le dictionnaire des raccourcis audacieux ?
      Car enfin comme disait Napoléon un petit dessin vaut mieux qu’un long discours !
      Halte à la violence des mots savants ! Cunnilingus amoureux ou pas …

  11. La semaine prochaine en compagnie du professeur Brighelli nous étudierons le rapport entre le co.natus spinoziste et la j.ouissance po.rnograph.ique.
    Le côté obscur de la chose d’Hollywood …

  12. Dans « L’hôte », Camus complique les codes.

    Le shérif se décharge sur « l’instit humaniste » qui se transforme en convoyeur de paysan assassin. Les impératifs moraux du gentil « instit humaniste » (oxymore ? pléonasme ?) ne tiennent pas la route face aux impératifs moraux de l’assassin buté qui refuse la liberté qu’on lui offre.

    Ah, si l’Algérie était restée française, on aurait eu plein de southerns haletants et prise de tête !

    Reste Boute Flicka, la carne que plus aucun cavalier ne monte…

  13. Dans le Fogari, un article « La santé, le nouveau défi de l’intelligence artificielle »

    http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2017/07/27/32001-20170727ARTFIG00325-la-sante-nouveau-defi-de-l-intelligence-artificielle.php

    L’intelligence artificielle ne dispensera pas les médecins de penser. Témoin, ce toubib dont l’IA diagnostique un cancer du cerveau alors qu’il n’a même pas eu un regard pour la personne qui tourne dans un remake de « Chapeau melon et bottes de cuir »…

  14. La liberté en philosophie c’est comme l’axiome de choix en mathématiques : c’est indémontrable mais c’est pourtant indispensable !

    C’est pourquoi la politique peut s’appuyer sur la volonté individuelle en sachant que cette ressource est inépuisable chez un homme libre.
    Si l’on attendait que le bien suprême de l’humanité soit défini et connu on resterait les mains pures mais on serait sans mains comme disait si bien Péguy.

  15. Le problème, avec cette vision de l’héroïsme, c’est que les héros doivent absolument mourir au dernier plan.

    Sinon on verse dans la pathologie, un peu pathétique dans Don Quichotte ou franchement psychopathique dans Missouri Breaks.

    En un certain sens, prolonger le western c’est rentrer dans les profondeurs de la folie.

    • Il arrive même qu’ils soient morts dès le commencement : voir l’Homme qui tua Liberty Valance, où James Stewart se rend, dans la première bobine, à l’enterrement de John Wayne.
      Je serais prêt à faire une analyse du problème de Wayne, qui a toujours été « comment disparaître ». Il y est parvenu, dans le seul western qu’il a mis en scène lui-même — Alamo. Cloué contre une porte d’un coup de baïonnette, et choisissant de disparaitre dans une grande explosion.
      Sinon, s’il ne meurt pas, il est cette silhouette éreinté et dérisoire à la fin de la Prisonnière du désert (The Searchers, un film prodigieux) : « Mais pourquoi ne suis-je pas mort ? » dit l’homme qui s’éloigne. Il y avait déjà un plan identique dans Rio Bravo.
      Reste l’autre possibilité, quand on est Wayne et qu’on est déjà, dans la vraie vie, rongé par un cancer : mettre en scène sa maladie de façon à trouver, dans le cinéma, une conclusion regardable (je te recommande The Shootist, où le vieux tueur cancéreux se débrouille pour mourir les bottes aux pieds d’une façon honorable).

  16. Dugong patauge dans le spaghetti depuis qu’il cherche à tout prix à tirer la substantifique moelle du western philosophique !

    Fais ta sieste mon gars et ensuite bois un bon coup sinon tu vas nous faire un coup de chaud !
    Et ne force pas trop sur les pâtes …

  17. Mon penseur-nouille préféré c’est Bud Spencer qui d’ailleurs s’appelait Torti Panzani !

    • Brighelli qui n’est pas né de la dernière pluie sait bien que Kant n’a jamais fréquenté aucun saloon ! D’ailleurs Kant ne jouait à rien de rien, ni au petit cheval, ni au poker, ni à saute-mouton sur les filles !
      On disait de lui que sa vie était réglée métronomiquement (aucun rapport avec le métro).

  18. Je doute que si Brighelli avait ne serait-ce qu’une fois déjeuner avec Immanuel Kant il ne l’eusse trouvé le type le plus raseur et professoral de la Terre !
    Il aurait préféré Brigitte Bardot ou Jeanne Moreau comme amphitryon !

  19. Il me semble que le Western c’est le roman bourgeois de l’Ouest ! Juste avant de se civiliser …
    Le grammairien Furetière a publié un roman bourgeois parisien au 17e. L’éthique bourgeoise perçait sous les apparences aristocratiques de l’époque.
    Transposer le salon bourgeois parisien en saloon de l’ouest et l’enlèvement des Sabines en enlèvement de jeunes apaches.

  20. Reprenons: la base de la morale kantienne c’est la subjectivité humaine, soit !
    Mettre entre parenthèses « mon Cher Moi », mon égoïsme naturel, pour moi, la question ne se pose pas et ça, depuis que je suis petit, la vertu étant chez moi l’accomplissement d’une nature bien douée au départ, selon les préceptes du monde grec aristocratique qu’on m’a enseignés. La morale méritocratique, la morale de l’effort, la morale du devoir, j’ai laissé ça aux serviles pendant toute ma scolarité et je leur laisse bien volontiers ce travail sur soi pour atteindre cette vertu !
    Mais maintenant que je suis grand, j’ai revu à la baisse la grandeur de mon projet de vie petit bourgeois qui se résume à: « s’enrichir vite, à peu de frais ! ». C’est infiniment plus tentant que celui des kantiens humanistes pétris de dogmes « Fais pas ci, fais pas ça, fais ci, fais ça !, un homme ça s’empêche, gnagnagna… » qui me gonflent tellement que dorénavant, j’évite soigneusement de les fréquenter pour des raisons morales évidentes…uhuhu!

  21. Excellent billet ! Vous auriez pu citer aussi « Règlement de compte à OK Corral », où celui incarnant la droiture morale depuis le début du film, Edward Thorpe finit par déteindre sur sur ce cynique alcoolique qu’est Doc Holiday au point que ce dernier, miné par la tuberculose, décide tout de même d’aller affronter le clan Clanton en infériorité numérique.

    • On ne peut tout citer — mais les diverses versions de cette histoire (celle de John Ford et celle de Sturges sont à la même hauteur dans mon cœur de cinéphile) sont effectivement d’un kantisme affirmé.

  22. J’ai regardé la fin de The Wild Bunch , dont je n’ai jamais vu que le début , le massacre jubilatoire d’hommes et de femmes de bien , noyé dans une éruption de férocité et le triomphe du mal , qu’annonçait la scène des écoliers , du scorpion et des fourmis . Je n’ai jamais regardé la suite du film , car je n’aime pas la violence , que je supposais aller crescendo jusqu’à la fin du film . Grande ma déconvenue en voyant la fin de western spaghetti que montre la vidéo insérée ci-dessus : officiers mexicains suants et grimaçants , suicidaire et absurde prise de risque par les outlaws , en un mot grand-guignol . Je ne suis nullement surpris en fin de compte que Jean-Paul Brighelli voie dans cet enfantillage on-faisait-comme-si un exemple de sens de l’honneur .

    • Western spaghetti, je vous trouve sévère…
      Mais je suis tout prêt à réhabiliter le western spaghetti, dont j’ai presque tout vu.
      Vous n’aimez pas les spaghettis ?

  23. Mais, La Horde sauvage, c’est une histoire de traîtrise, de déshonneur, et d’honneur à retrouver. Celui de Pike, le chef qui lance « Let’s go » (allons récupérer notre ami Angel). Mais qui, plusieurs années avant, a laissé son ami et complice Deke se faire prendre sans lever le petit doigt. Bref, l’histoire d’un homme qui en a terminé avec les détails et qui passe à l’essentiel. C’est bien d’ossature et de structure qu’il s’agit, d’un bout à l’autre de cette magnifique succession d’images. Leur beauté et leur violence occultent quelque peu l’essentiel: cette histoire d’amitié trahie, de déshonneur à liquider, ou à refuser, quel qu’en soit le prix. Et ils sont tous d’accord.
    Ce film me submerge (de quoi?) chaque fois que je le vois (4, 6 fois… ) Peut-être parce que je sais qu’il y a encore quelque chose que je n’ai pas vu, que je vais encore découvrir, dans l’ordre de l’honneur chez les crapules de tous poils. Vu par Peckinpah.
    Et Las Golondrinas, quand ils repartent du Mexique ….. Une merveille

    • Je ne saurais mieux dire — à part que j’ai dû voir le film une vingtaine de fois.

  24. Article profond, intelligent et drôle. The wildbunch est un chef d’oeuvre. Malheureusement, l’histoire n’en a retenu que le premier pas dans l’esthétisation de la violence (la mort au ralenti). Et quand à la disparition du western et de son héros (Kantien), on peut faire l’hypothèse que le héros suppose la possibilité de la Tragédie. Or le Progressisme nie dans son essence toute possibilité de Tragédie puisqu’il est par définition une perspective de bonheur et de libération (narcissique)… Encore merci pour cet article.

    • Le lien entre héroïsme et tragédie est effectivement puissant. Maintenant, comment Kant, qui a assisté avec la Révolution française à l’émergence des temps nouveaux, du progrès, etc., a-t-il si bien formulé une exigence qui allait au-delà du progrès et du « bonheur idée neuve en Europe » (Saint-Just)… Je suis toujours admiratif devant les grands esprits, et la force de subversion de leurs idées. Parce qu’enfin, quatre salopards se dressent dans la Horde sauvage contre l’idéologie du progrès, comme vous le dotes fort bien. Ils en meurent, mais c’est d’eux que l’on se souvient.

  25. Il est bien tiré par le scalp votre papier, M’sieur Jean-Paul.
    Passons sur la convocation de Kant… Sans trop forcer, on pourrait associer d’autres philosophes à d’autre genres cinématographiques : « Heidegger des boutons » (pouvoir-être de l’enfance…) ; « C’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer Hegel » (le cambrioleur dans les comédies ou l’apprenti de la raison…) ; « Kierkegaard à vue » (le huis-clos, lieu d’expression de la subjectivité et de l’angoisse…)…

    Pourquoi déplorer la mort d’un genre survenue il y a un demi-siècle ?
    (vous avez d’ailleurs raison d’évoquer La Horde sauvage (1969), avec son final, ce « dernier baroud inutile des ‘héros’ » – Philippe Paraire)

    Quant à la « volonté parfaitement autonome », l’indépendance vis-a-vis d’une « loi imposée de l’extérieur »… Le western n’a-t-il pas pendant 40 ans portraituré un homme de l’Ouest toujours poussé, qui par la conquête des terres, qui par la vengeance d’un être aimé, qui par la récupération de son bétail ?!
    Pensez-vous vraiment que Gary Cooper, dans Le Train sifflera trois fois (1952), décide de rester à Hadleyville parce qu’il serait essentiellement mu par un « impératif intérieur absolu » ?
    Quid du poids du regard de sa fraîche épouse (Grace Kelly) et même de celui de la langoureuse Helen Ramirez (Katy Jurado) ? Il passerait pour une carpette s’il quittait la bourgade !
    Combien d’autres « gentils » qui obéissent au Bien ?

    Pour ce qui est de votre question sur « la disparition du western », dont votre réponse alimente une marotte — l’exercice / l’obsession est louable, nécessaire, mais ça tombe à l’eau, cette fois… —, je vous mets sur la piste (des Indiens) : allez chercher du côté de l’Histoire revisitée par le western et ses mensonges…

    • High Noon (Le train etc.) est l’exemple-type de western kantien : le héros vient de se marier, il a toutes les raisons de partir — y compris sa quakeresse de femme. D’ailleurs, il part — puis il rebrousse chemin parce qu’il a lu Kant, et que son devoir (pas la loi : il n’est plus shérif) le lui impose. He has to.

      • Je n’ai pas lu Kant, mais, d’après ce que j’avais compris à la lecture de votre exposé, High Noon tapait dans le mil’.

        J’avais oublié que Will Kane n’était plus shérif (et que donc ce ne serait plus la Loi qui le pousserait à rester mais celle que vous appelez « loi morale intérieure »)…

        Vous n’envisagez nullement les deux femmes comme ‘agent extérieur’ (VS voix intérieure / devoir) obligeant le héros à faire bonne figure (virile) ?
        (sa Quaker de femme le supplie de partir en souhaitant l’inverse ! Chez eux, la sincérité est primordiale ; je vois l’angélique Grace Kelly comme une tentatrice…)

        • Alors là, l’angélisme de Grace Kelly comme facteur émoustillant, ça vous regarde complètement :-))
          Pour ce qui est de Katy Jurado, « angélisme » est peut-être i,approprié — et elle rêve en partie de Kane se fasse tuer, si je me souviens bien — par jalousie.
          Et elle a été l’épouse d’Ernest Borgnine, l’un des quatre de la Horde sauvage. En plus d’avoir été (longtemps) la maîtresse de Marlon Brando — entre autres. Ça ne vous fait pas rêver, ça ?

          • Quand on me dit ‘Ernest Borgnine’, je pense aussitot ‘Gras double’, dans le sublime « Tant qu’il y aura des hommes » (encore un film de Zinnemann).

            Je vais revoir Le Train~, tiens…

            Vous venez de m’obliger a faire une synthese quant aux actrices-qui-font-rever (dans les westerns). Tout de suite : Angie Dickinson (Rio Bravo), Jane Russel (Le Banni), Joan Crawford (Johnny Guitare)… et puis je seche…

          • Laureen Bacall dans le Port de l’angoisse
            De façon générale, les femmes des films de Howard Hawks — et je vous suis tout à fait sur Angie Dickinson dans Rio Bravo, mais Charlene Holt et la petite jeune coiffée comme un cheval sauvage dans El Dorado (Hawks encore) n’est pas mal non plus.
            Michele Carey ! C’est son nom !

          • Je ne me souviens plus d’El Dorado… ni donc de ces deux dames.

            Juste après vous avoir répondu, deux visages — mais pas que… — se sont manifestés : celui de Faye Dunawaye dans Little Big Man (ah~ la scène de la baignoire !) et celui de Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l’Ouest (ah~ la réplique du Cheyenne en fin de film : « Tu te rends pas compte ce qu’un homme peut avoir de plaisir à regarder une fille comme toi, rien que la regarder ; et si l’un deux s’avise de te pincer les fesses, fait comme si c’était pas tellement grave. Il sera heureux. »)

            Elles étaient doublement hors-catégorie ces dames-là : western non classique + sex-appeal disqualifiant…

          • Je vous recommande la même Claudia Cardinale dans les Professionnels, de Richard Broks — encore un western kantien où les héros renoncent au fric et à la légalité et servent l’amour et la révolution !

          • Merci. Je l’ai vu il y a fort longtemps. Je me souviens bien de sa robe de bure peu catholique… ce qui nous amène aux Pétroleuses…
            (oeuvre du Diable probablement…)…

          • Ah, le décolleté de Cardinale dans les Professionnels…
            ET avec tout ça elle n’a jamais montré le bout d’un téton. C’est à ce genre de détail que s’ancre le désir perpétuel.

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