« Je fais savoir que j’ai mis fin à la vie commune que je partageais avec Valérie Trierweiler » : sérieusement, François Hollande a besoin « d’un agrégé qui sache écrire », comme disait De Gaulle en recrutant Pompidou. Trois fois Je (trois fois rien ?) en une courte phrase, avec une gracieuse redondance des « que » (un psychanalyste lacanien en rirait dans sa barbe), le tout pour annoncer unilatéralement qu’il rompt avec Madame… Tout cela témoigne d’une insuffisance rhétorique pénible à voir, et d’une suffisance psychologique encore plus angoissante. « Inépuisable Moi », disaient Narcisse et le Poète ; « envahissant Moi », proclame Hollande.
Il avait déjà fait le coup pendant la campagne. On se souvient de la litanie des « Moi, Président » — cet insoutenable emprunt à la rhétorique anaphorique de Guaino, qui a fait croire à quelques millions de gogos et de bobos que Hollande était autre chose qu’un ultra-libéral (son discours de fin d’année 2013 n’amorçait aucun virage : il a juste choisi de poser son masque de social-démocrate et de reprendre la dépouille de Tony Blair). Eh bien, rajoutons notre contribution à la liste : « Moi, Président, je répudierai ma concubine à mon gré, et je pisse à la raie de toutes les féministes qui pensent qu’une femme doit être traitée décemment ». Même Louis XIV n’opérait pas avec une telle brutalité : il laissa Mme de Montespan vivre à la Cour après avoir rompu avec elle. Notre président, qui a pourtant dû connaître Gisèle Halimi, ne plaide guère pour la « cause des femmes », comme on disait alors.
Je n’avais pas de sympathie ni d’antipathie particulière pour Valérie Trierweiler. Ma foi, son licenciement sec, comme on dit dans le monde des libéraux, m’inciterait presque à la pitié — et ça ne m’étonnerait guère qu’elle en tire un de ces prochains jours un livre bien saignant, où elle expliquera les dessous chics et chocs de la politique hollandienne. Je ne crois pas qu’elle soit en manque d’éditeurs pour cela — tout en sachant que le Monde et le Nouvel Obs, les deux Pravda du régime, en diront du mal. Mais on peut vivre sans le Monde et le Nouvel Obs.
Au passage, cette appellation de « Première dame » m’horripile. Outre le fait qu’elle témoigne de notre inféodation aux Etats-Unis, où la fonction est officielle, elle est sémantiquement connotée : seul un homme peut accéder au pouvoir, parce qu’on n’a rien prévu en sens inverse. Comment appellerait-on demain le compagnon d’une Présidente ? Le Premier Homme ? Le titre est déjà pris — par Camus. Ou faut-il croire que « Première dame » sera désormais une expression figée, comme « sage-femme », qui s’applique aussi aux accoucheurs mâles ?
Dernier point : certains jeunes rompent par SMS — c’est bien pratique de ne pas affronter en face les cris et les chuchotements d’une fille déchaînée, et on ne risque pas de voir son bureau vandalisé. Désormais, ils rompront par l’AFP : c’est plus chic, quand même, même si c’est tout aussi couard.
Rétrospectivement, les affirmations de Pépère sur la fin du règne des paillettes sonnent avec ironie à nos oreilles. Tout pour l’image, tout pour la société du spectacle : pendant dix jours de suspense, on n’a pour ainsi dire plus parlé du chômage qui s’accroît ni de l’industrie qui régresse — à part de l’industrie française du scooter, durement concurrencée par un certain Piaggio sur lequel l’édile en chef partait en vrombissant roucouler près de la nouvelle favorite. Encore moins des patrons qui se frottent les mains à l’idée de faire, grâce à Hollande et Ayrault, de substantielles économies. Plus parlé de l’Ecole qui sombre encore plus vite que d’habitude, toute vaselinée des bonnes intentions du ministère. Plus parlé des gens qui ont faim, des classes moyennes qui glissent vers le moyen-moins, même plus parlé de Dieudonné, dont le filon s’épuisait — il fallait bien trouver de nouvelles paillettes médiatiques pour amuser le bon peuple, auquel on offre des jeux, faute de lui donner du pain.

Jean-Paul Brighelli

42 commentaires

  1. Comment appellera-t-on l’époux d’une éventuelle Présidente de la République ? Tout bêtement le mari de la Présidente.

    Il y a une trentaine d’années, Frédérique Hébrard avait écrit un livre délicieux sur cette inversion des rôles dans « Le mari de l’ambassadeur » (le mot ambassadeur désignant la personne qui incarne la fonction même quand c’est une femme – quoique la fameuse « réforme » de l’orthographe ait sans doute inventé « ambassadeure » au même titre que « professeure »).

    • Tout dépend du rôle que jouera l’époux de la présidente :

      – S’il parasite les décisions, on pourra l’appeler « pediculus famus. »

      – S’il reste en retrait des zones cérébrales de notre dame présidente, gardien de la part indiscrète du couple présidentielle, on pourra l’appeler le morpion.

  2. Absolument génial, 100% d’accord.
    Tout cela est hélas vrai, ce comportement consternant n’est même pas digne de nos anciens monarques.
    Il n’est pas gentil et rigolo, il est méchant, cynique et sinistre.
    Beurk!

  3. Eh, oui, tout le monde a eu l’air de trouver cela normal, du moment que le daft punk éclaircisse la situation.
    On vous remercie, Brighelli, de nous montrer qu’il existe encore des mecs qui pensent autrement…

  4. VT vient de se faire inscrire pour un voyage – aller – sur Mars.

    Est-ce le coup du père François, contextualisé et réactualisé ?

  5. Pour une fois, tout à fait d’accord. Cette histoire stupide qui a monopolisé l’attention d’une exaspérante et scandaleuse manière s’est finie d’une façon déplorable.
    Ceci dit, la première responsable est Valérie Trierweiler qui a , pour des raisons que j’ignore mais qui sont de toute façon inadmissible pour une féministe même raisonnable, ce ridicule statut de première dame de France.
    Si elle avait été autonome et sans ambition mal placée, elle aurait clairement refusé et continué à mener sa

  6. barque avec ses seules et uniques propres capacités et qualités, hors des fastes et ors de l’Elysée.
    J’avais été profondément choquée qu’elle, et surtout Hollande, acceptent ce ridicule statut bourgeois à la Yvonne de Gaulle sans moufter.
    Donc, tant pis pour leur gueule à tous deux !

  7. Enfin, moi, ce qui me préoccupe, à titre purement égoïste, c’est de savoir quand on va me débarrasser des 5.4 % de cotisation d’allocations familiales. Une belle bouffée d’oxygène en perspective !

    • C’est beau d’être encore naïve à ton âge !
      Je n’y crois pas une seconde. « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient » (Pasqua ou Chirac, je ne sais plus)

  8. Soyons positif : un licenciement sec, c’est une base pour une nouvelle licence (avec retour en grâce possible de la vaseline).

    En revanche, en tant que précaire du locataire, elle n’aura pas droit aux indemnités habituelles.

    On est décidément loin du care de Martine.

  9. Le Boucher, idéologue bienséant déguisé en jounaliste, étale son confusionnisme * de bon sens ** dans Slate :

    http://www.slate.fr/story/82677/hollande-gout-progres

    En gros, le monsieur nous suggère que l’obscurantisme et son corrolaire, le refus du progrès empêchent la social-démocratie d’éclairer nos petits matins dès demain.

    Salauds !

    Et de « militer » pour la suppression du principe de précaution. Précisément celui qui empêche beaucoup de Français de faire un chèque en blanc aux viandards du prolétariat qui le réclament « naturellement » au nom du « Progrès ».

    Tiens, ça me donne envie d’adhérer au PCF avec effet rétroactif.

    * technologies, sciences, économie, idéologies du Bien, le tout dans un shaker. Servir frappé.

    ** celui qui, selon JB Shaw, permet aux imbéciles de s’excuser d’être aussi nombreux

    PS : le bandeau « Publicité » en plein milieu de l’article, honnêteté journalistique ou second degré ?

  10. Ben, z’avez l’air bien fâché, Dugong ! Et votre charpente de l’été dernier, elle est posée ? Vous vous êtes fait une maison bio ? J’ai entendu récemment quelques collègues qui parlaient de ça, lors d’une récréation où je m’ennuyais un peu. A les entendre, on se demande comment on arrive encore à survivre dans des maisons « normales « .
    Oui, certes, ma conversation n’est pas palpitante mais je ressors de la correction d’un bac blanc de 1ères S et vu le niveau, ça me déprime un peu.

  11. Sanseverina, si une maison normale c’est une maison pleine de ponts thermiques et chauffée au fuel, on peut effectivement se poser la question …

  12. Depuis quelques années, nous avons un proche voisin qui se construit une maison bio. Au rythme où il progresse, ça va lui faire un beau caveau de famille. Comme il fait l’isolation avec de laine de mouton brute, nous avons pris l’habitude de le désigner entre nous par le sobriquet de  » Peau de mouton « . L’idée vient de ma fille qui était une gamine au début des travaux. J’ai toujours la crainte que ça nous échappe à l’un ou à l’autre en sa présence …

    • Le jour pas si lointain où votre fille se mariera, il aura peut être fini les sanitaires ?
      Où même le 1er étage ?

  13. Je ne fais pas dans la maison bio mais dans la restauration de vieilles pierres, une ancienne ferme, un corps de plusieurs bâtiments.

    En Périgord, ça n’intéresse que quelques anglo-batavo-américains, généralement aisés et cultivés *. Depuis quelques temps, on constate l’arrivée de quelques italiens et d’espagnols…

    Ça demande du soin, du fric**, c’est-à-dire une certaine forme d’indifférence aux coûts. Bref, une forme de marginalité un brin méprisante pour les aficionados de la villa « provençale », style architectural inexistant tout en étant massivement réalisé.

    * avec les avancées de la recherche pédago à l’échelle mondiale, les deux vont de plus en plus de pair.

    ** pour éviter d’y passer sa vie au sens propre, il faut savoir quoi faire faire et prendre du plaisir à ce qu’on se réserve.

  14. Moi je viens de racheter une porcherie industrielle en Bretagne que je vais transformer en fabrique de quenelles artisanales ; il paraît que le marché est porteur …

    • Vous ne produirez rien du tout car vous vous êtes fait avoir : le bâtiment est couvert de tôles ondulées amiantées.

      Les faire changer par des travailleurs « protégés » va vous coûter un bras, précisément celui qui vous manquera pour faire la quenelle…

  15. A la laine de mouton brute ! Humm ! Cela doit sentir bon !

    Dans le Périgord ? Mais le noir du moins est fort fréquenté à ce qu’on m’a dit. Et vous avez pensé au chien truffier ? Après tout pour arrondir les fins de mois difficiles que nous fait l’éduc. nat…
    Je suis en train de chercher ce que je pourrais faire à la place du plus beau métier du monde. Tout le monde se marre quand je dis ça…
    Un vent de panique soufflait ce matin dans la salle des profs chez les plus ou moins jeunes collègues car certains n’avaient pas rempli à temps, disaient-ils, leur machin I-Prof pour faire valoir toutes leurs belles actions pédagogiques. J’ai même appris qu’il y en a qui gardent précieusement les feuilles de réservation des salles informatiques pour pouvoir prouver à l’inspecteur ( qui ne viendra peut-être que dans un an ou deux ) qu’ils utilisent bien le numérique avec leurs élèves.
    Il y a des jours où je me sens mélancolique dans la salle des profs.
    Une envie de grand large…

    • Il n’y a qu’à jeter un oeil de temps en temps sur neoprfs pour constater que la mémérisation des jeunes profs est en voie de large généralisation.

    • mélancolique ou a l’étroit ?
      le grand large n’est-il pas devant toi dans toutes ces têtes
      saines et brutes de coffrage
      et puis… libre n’es-tu pas d’enseigner comme tu veux
      c’est là où l’on voit les bons et les mauvais

  16. Notez qu’honnêtement, les vieux ne sont pas mieux, pris dans leur globalité. Ce n’est juste pas la même mémèrisation, ce qui fait que vous êtes moins habitué, c’est tout … J’ai quelques échantillons de retraités de l’Ed. Nat. pas piqués des vers, dans mes pratiques.

  17. Oui, je pense qu’on écrit mémèrisation et non mémérisation. Une mémé mais une mémère, nuance !

  18. SPQR ! Au nom du Sénat et du peuple romain ; cela avait plus de classe que « j’ai décidé de mettre fin à notre liaison parce que j’en ai trouvé une autre » …

  19. Il fdaudrait trouver une formule plus solennelle pour la prochaine fois :
    – Au nom de la République une et indivisible la ci-devant Mlle Julie Gayet est assignée à résidence à cent lieues de la Cour (ou de la rue du Cirque).

  20. J’ai vraiment été choqué, par la lenteur de la décision.
    Je suis un professionnel qui travaille avec des professionnels, sur un problème aussi simple, on formule une réponse en moins de 5 minutes. ( Mise en perspective des convictions personnelles pour dégager son intution, Exploration des enjeux et des risques de la décision, simulation des scénarios possibles pour confirmer l’intuition )

    A sa place, j’aurais demandé des excuses à ma concubine, et je l’aurais demandé en mariage, évoquant l’engagement de fidélité de l’article 212 du code civil.
    C’était la meilleure issue médiatique avec un Happy-end, un acte d’humilité « responsable ».

    Mais bon, le plus dur c’était d’engager une promesse avec sincérité.

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