Il y a… quelques années, j’arpentais le GR 20 quand je suis tombé, aux alentours du Col du Vent, sur deux jeunes filles en détresse. L’une d’elles s’était sérieusement abîmé la cheville droite, elles ne savaient plus comment rejoindre leur étape — le gîte du col de Vergio, pour les amateurs. Bref, j’avais mon propre sac à dos, mais j’ai quand même juché la donzelle sur les épaules fragiles, et je l’ai descendue jusqu’au col, à trois heures de marche de là.
Chemin faisant, nous papotâmes. Elles étaient l’une et l’autre secrétaires — on ne disait déjà plus dactylo. Je n’ai pas voulu creuser entre nous un abîme de classe, au moment même où je sentais autour de mon cou les cuisses de l’intéressante gamine, et j’ai prétendu que j’étais manutentionnaire chez Conforama, à l’angle du quai de la Mégisserie — j’habitais encore Paris, à l’époque.
Et pour jouer à fond mon personnage, j’ai raréfié mon vocabulaire, et quelque peu déstructuré ma syntaxe. C’était assez facile, vu que l’effort fourni me donnait un excellent prétexte pour ne pas répondre du tac au tac, et appauvrir consciemment l’expression de mes réponses. N’empêche, elles ont fini par trouver, le soir en particulier, quand nous nous sommes retrouvés de part et d’autre d’un plat de veau corse aux olives et à la nepita (une menthe sauvage à petites feuilles essentielles dans tous les ragoûts insulaires), que je m’exprimais drôlement bien pour un manutentionnaire…

Dans une interview très récente donnée par François Bayrou au Figaro et à Alexandre De Vecchio, l’ancien ministre de l’Education, qui est aussi un petit peu agrégé de Lettres, flagellant l’inconséquence de Najat Vallaud-Belkacem et de sa réforme du collège, souligne avec force l’importance de la maîtrise de la langue :

« Au téléphone, explique-t-il, l’administration ou l’interlocuteur avec lequel vous échangez, au son de votre voix, à la manière dont vous vous exprimez, sait qui vous êtes. Et la maîtrise de la langue, l’emploi du mot juste, la capacité à transmettre une émotion, une colère, un sourire ou une plaisanterie vous donne un statut, vous apporte une reconnaissance — et cela d’où que vous veniez. La maîtrise de la langue vous offre ainsi une clef pour le monde. Et aussi une clef pour lire et traduire vos sentiments et vos émotions. C’est aussi une voie qui permet de faire reculer la violence, qui est si souvent l’expression de ce qui bouillonne à l’intérieur de nous et qu’on ne parvient pas à traduire, à exprimer.
« Les mots ont une vie propre, la langue a des racines. Et cette découverte-là est précieuse pour la capacité de rayonnement, d’expression ou de compréhension de l’individu. Elle permet de lutter efficacement contre les inégalités transmises qui existent et sont difficiles à compenser. Si cette réforme aboutit, alors ce chemin d’émancipation sera réservé aux seuls enfants de privilégiés qui auront les moyens de transmettre directement leur savoir, ou de recourir à des leçons particulières ou à des enseignements privés. Bien sûr, ce mouvement vient de loin et comme je le disais traduit l’obsession récurrente de certaines écoles de pensée, au sein de l’Education nationale, qui veulent en finir avec une culture ressentie comme celle des élites. Mais sous couvert de lutter contre l’élitisme pédagogique, elle consacre en réalité l’élitisme social, la constitution d’une élite par la naissance ou par l’argent. Pour moi, c’est à pleurer. Je suis pour que tout le monde puisse accéder à cette exigence élitiste, qu’elle ne soit pas réservée à quelques-uns, mais offerte à tous. La véritable démarche démocratique, ce n’est pas le minimum pour tous, c’est le maximum, l’excellence, proposés à tous. »

Pendant sa campagne de 2007, celle qui lui a accordé le plus de voix dans ses diverses ambitions présidentielles, Bayrou avait proposé de porter à 50% du temps scolaire l’enseignement du français au Primaire. « Ah bon, ce n’est pas déjà le cas ? » demanderont les naïfs. Ben non : depuis qu’un génie de la rue de Grenelle a décidé qu’on faisait du français aussi quand on faisait le reste, puisqu’on s’exprimait dans un pataquès supposé être du français, le temps consacré à l’étude de la syntaxe, de l’orthographe, du vocabulaire et de la correction de l’expression a diminué drastiquement. Qu’on en juge :

Résultat, on a accentué l’effet « héritiers », comme disait Bourdieu. Les analyses du sociologue firent l’effet d’une bombe en 1964, parce que,, comme le raconte Marianne cette semaine, elles portaient un rude coup à l’illusion de la démocratie scolaire et au mythe de l’élitisme républicain comme pure doxa, mythe entretenu alors par l’exemple de Pompidou. N’empêche qu’il y avait alors 12 à 14% d’enfants issus des classes populaires qui entraient dans les grandes écoles. Aujourd’hui, ils sont entre 2 et 4%. Plus on feint de se soucier des déshérités, plus on accentue les disparités. Si on n’apprend plus rigoureusement la langue à l’école, seuls s’en sortiront ceux qui l’ont pratiquée à la maison. On le constate tous les jours, et la réforme du collège, avec des programmes qui se dispensent de citer un seul écrivain français (forcément, on ne prend en compte que les « compétences », qui ne sont jamais que l’occasion de péter ensemble) accentuera encore le phénomène. Pour le plus grand bien des hiérarques du PS ou de l’UMP — sérieusement muette, au plus haut niveau, face à une réforme dont elle espère bien encaisser les dividendes : réduction des heures et des postes, dégraissement, et régionalisation, c’est-à-dire que là encore, on pense passer la patate chaude aux Mairies, aux Conseils généraux et aux régions.
Il est de toute première urgence que l’on reprenne en main l’enseignement du français, en multipliant les exercices pratiques, en refaisant de la lecture (la lecture de livres, pas de tablettes trop ludiques pour être honnêtes) un axe central de l’enseignement, en ne tolérant plus le moindre écart par rapport à une norme qui est celle de la grande bourgeoisie. La petite Najat, dans les années 1980, a bien appris sa leçon, et elle ne garde pas grand-chose, dans son langage, de ses racines berbères ou prolétariennes. Mais les enfants dont elle a aujourd’hui la charge n’auront pas les mêmes chances qu’elle. Leur école se satisfera à bon compte d’une expression approximative — alors que c’est dans la perfection de la langue que l’on sait à quelle classe vous appartenez, et ce n’est pas un hasard si le même mot qualifie les divers degrés de la carrière scolaire et les strates sociales.

Je ne sais pas si mes deux petites secrétaires crurent à mon subterfuge, ou si elles ont feint d’en accepter le principe. À la lettre XXIII des Liaisons dangereuses, la marquise de Merteuil analyse une lettre envoyée par son vieux complice Valmont à la Tourvel qu’il tente de séduire : « Il n’y a rien de si difficile en amour, lui dit-elle, que d’écrire ce qu’on ne sent pas. Je dis encore d’une façon vraisemblable : ce n’est pas qu’on ne se serve des mêmes mots, mais on ne les arrange pas de même, ou plutôt on les arrange, et cela suffit. Relisez votre lettre : il y règne un ordre qui vous décèle à chaque phrase. Je veux croire que votre Présidente est assez peu formée pour ne s’en pas apercevoir ; mais qu’importe ? l’effet n’en est pas moins manqué. » Mon vocabulaire de Normalien agrégé de Lettres transparut-il dans ma syntaxe abrégée ? Elles eurent la bonté de bien vouloir en être dupes, et si jamais, vingt ans plus tard, elles lisent ces pages, qu’elles sachent l’une et l’autre que je les en remercie. On peut, quand on maîtrise tous les niveaux de langue, jouer à redescendre dans ce qui fut mon expression première, la langue des quartiers, comme on ne disait pas encore à l’époque des blousons noirs. Pour emballer les gentes prolétaires. Mais on peut aussi s’exprimer avec distinction, pour séduire les marquises.
Et c’est cette double chance que les programmes envisagés pour 2016 refusent aux enfants d’aujourd’hui, qui resteront confinés dans leur classe d’origine — comme si, alors même que l’on supprime les redoublements, on les condamnait à redoubler éternellement dans la classe des déshérités.

Jean-Paul Brighelli

71 commentaires

  1. « Elles étaient l’une et l’autre secrétaires — on ne disait déjà plus dactylo. » Et aujourd’hui, on ne dit plus secrétaire, mais assistante. On n’arrête pas le progrès !

  2. De direction ! Assistantes de direction !
    Ma mère a commencé dactylo — et quand je lui en parle, elle ne trouve pas que que c’était une dénomination honteuse. Mais c’est sans doute qu’elle en savait plus, avec son niveau Seconde des années 50, que nos modernes « assistantes » avec un BEP, voire un BTS…

  3. Faire l’âne pour avoir l’accorte au cou jusqu’au licol (de fait, nuquer la secrétaire ?), était-ce vraiment raisonnable ?

  4. Je recommande le billet suivant :
    PROMOTION SUR LES ARRIERE-MONDES – Michel Onfray

    Jadis, quand la gauche était de gauche, elle faisait mauvais ménage avec la religion. Ses racines plongeaient dans la philosophie des Lumières qui, elle-même, héritait déjà de la Renaissance, l’ensemble célébrant le sain usage de la raison contre l’obéissance et la croyance. Elle s’appuyait plutôt sur Descartes qui veut bien que Dieu existe mais souhaite qu’on le laisse de côté pour les choses sérieuses.

    Aujourd’hui que la gauche est de droite et la droite de droite, il ne reste plus grand marqueur de la gauche véritable, sinon celle qui s’avérerait fidèle à l’ancienne, autrement dit, celle qui ferait d’Erasme, de Montaigne, de Descartes, de Voltaire, de Condorcet des références intellectuelles. On pourrait même imaginer que, plus la gauche serait de gauche, plus elle tendrait vers un autre lignage, le mien, celui de l’abbé Meslier, le premier athée de l’histoire occidentale, de d’Holbach, de Nietzsche, de Marx et, soyons fous, de Freud – du moins l’athée radical de L’avenir d’une illusion.

    Voilà que du fond de sa caverne, la gauche de droite qui nous gouverne a décidé d’enseigner à l’école « le fait religieux » qui est à la religion ce que « le référentiel bondissant » est au ballon. Finie l’époque où la gauche faisait de la religion « l’opium du peuple », l’auxiliaire de la réaction, la signature du conservatisme bourgeois, l’instrument de la misogynie et de la phallocratie, ce qu’elle est. Changement de cap. La gauche enseigne désormais le bienfondé du Talmud, de la Torah, de la Bible et du Coran. Désormais il n’y a plus urgence aux Essais de Montaigne ou au latin de Lucrèce, au Discours de la méthode de Descartes ou au grec de Plutarque, car il y a priorité à enseigner « les arrières-mondes » pour utiliser la formule de Nietzsche.

    Toute religion, quelle qu’elle soit, monothéiste ou non, affirme l’existence d’un arrière-monde qui donne son sens à ce monde-ci. Cet arrière-monde est invisible, intangible, ineffable, indicible, immatériel, inexplicable, mais il est ! Il est même plus vrai que ce qui est visible, tangible, exprimable, dicible, matériel, explicable, puisque, sans lui, rien de ce qui est ne serait. C’est donc l’histoire des arrière-mondes et de ce qu’on a fait en leur nom qu’il s’agira d’enseigner désormais à l’école.

    Qui enseignera ces fictions ? Le professeur d’histoire, de littérature, de philosophie, le prêtre, l’imam, le rabbin ? Dira-t-on qu’il s’agit de fictions ? A qui enseignera-t-on ces fictions ? A ceux qui croient à la fiction juive mais rient de la fiction musulmane ? A ceux qui, chrétiens, se marrent en présence de la fiction juive et musulmane ? A ceux qui rigolent devant toutes ces fictions ? Sera-ce encore laïcité ?

    Si vraiment il faut souscrire à ce projet fou de célébrer les fictions antédiluviennes, alors qu’on permette aux athées dont je suis d’enseigner aussi non pas leur religion, mais leur combat contre ces fictions, ce qui nomme la philosophie, une discipline que, jadis, la gauche prenait au sérieux, voire à cœur. Il me faut désormais songer à rédiger le Manuel d’athéisme qu’on enseignera en contrepoison aux nouveaux venins vendus par la gauche !

    http://mo.michelonfray.fr/chroniques/la-chronique-mensuelle-de-michel-onfray-n-120-mai-2015/

  5. « Mais les enfants font elle a aujourd’hui la charge n’auront »

    Un petit « font » dont on se passerait bien…

    Ah le GR20, parcouru en été 1995, à l’époque on croisait plus souvent des cochons sauvages que de suaves dactylos.

  6. Bayrou qui critique la réforme de Najat, ça me fait doucement rire… N’est-ce pas Bayrou qui a introduit les pédagogies pronées depuis 1995, qui place l’élève au centre ? Prééminence donnée au débat oral où s’entrecroisent les “moi j’pense que”, consigne de partir de l’expérience des élèves, de leur vécu (dans l’espérance – généralement utopique – de leur faire “reconstruire” les savoirs objectifs)….

    En ce moment, tous les futurs candidats à la présidence nous parlent d’éducation. Juppé, aussi, va lancer une « consultation » sur l’éducation, « la mère de toutes les réformes ». Voici ce que dit Juppé : « former l’esprit critique des jeunes gens pour qu’ils ne se laissent plus intoxiquer par une propagande obscurantiste », « Former l’esprit critique et la liberté de jugement, c’est ça fondamentalement la mission de l’école, avec la transmission des connaissances ». Sarkozy a dit la même chose quand il a été candidat. Mais une fois président, les promesses n’engagent que ceux qui y croient…

    Il y a aussi une langue des élections…

  7. L’enjeu en termes d’égalité, d’épanouissement, et de cohésion, d’une école exigeante, devient clair en vous lisant. En quelque sorte, il ne faut pas, au nom de l’égalité, rejeter le fait qu’on peut parler plus ou moins bien (ou des normes « bourgeoises », ou « aristocratiques », de bonne expression) ; il ne faut pas non plus rejeter une école qui intériorise la croyance en cela (un école « élitiste »). Le fait qu’on peut parler plus ou moins bien est ineffaçable. L’école « élitiste » (qui intériorise la croyance en cela), ne cherche pas à effacer cela, mais elle cherche à le renfermer, ou le dompter, le civiliser, le mettre en cage…, bref, faire en sorte que ce fait ineffaçable crée le moins d’inégalités possibles. Les pédagogistes veulent détruire l’école « élitiste », car ils refusent ce qu’elle renferme, et s’imaginent qu’en la détruisant ils détruiront ce qu’elle renferme. Mais comme ce qu’elle renferme est indestructible, en détruisant l’école ils ne détruisent que cette cage dans laquelle cela était renfermé, et ils obtiennent l’effet inverse de celui qu’ils recherchaient : ce que l’école renferme, loin d’etre détruit, sera libéré, et fera beaucoup plus de dégats. De la même façon, la police renferme la violence, et détruire la police ce n’est pas détruire la violence, mais seulement détruire ce qui la renferme, et par là libérer la violence…

    • Et si vos petites « dactylos » étaient également des normaliennes agrégées…ce serait en quelque sorte une adaptation du « Jeu de l’Amour et du Hasard »

  8. Il y a un arrière-plan de mystification dans votre article : le fameux ascenseur social !

    La société a encore besoin pour quelques décennies je suppose de travailleurs manuels ; qu’ils maîtrisent le langage courant et les langages spécialisés ce sera tant mieux pour eux mais prétendre que nous avons besoin de millions d’agrégés de lettres … c’est une pure imposture !

    Vous avez sur le net plein de blogs tenus par des gens très érudits littérairement parlant mais dont l’ascension sociale s’est arrêtée au rez-de-chaussée !

    Prenez Pierre Rey dit Cormary dit Montalte : il lit beaucoup, il est érudit, il ne fait pas de fautes d’orthographe … mais il est gardien au musée d’Orsay ! En 1900 gardien de square ou garde de musée c’était souvent des places occupés par des militaires retraités, anciens gardiens de la paix ou sergents de ville invalides etc qui n’avaient certainement pas le bac !

    Je ne peux pas adhérer à votre manifestation de coupable mépris pour les métiers non jugés intellectuels.

    Quant à Pompidou ou Bayrou ce ne furent ni des grands esprits ni même de grands littéraires ne vous en déplaise ! Pompidou, plus malin que votre ami Bayrou et fils d’instituteur n’est d’ailleurs pas vraiment l’exemple de promotion sociale le plus probant car un instituteur est malgré tout un notable de l’intelligence en 1900 ! Cf Pagnol …

    Votre idéal n’est bon qu’à fournir en rang serrés des ronds-de-cuir à l’administration française … nous en mourrons un peu tous les jours !

  9. Ce qui m’inquiète d’ailleurs plus que tout c’est le niveau d’improbité des fonctionnaires qui sortent de vos écoles ! J’ai entamé un procès contre l’Etat français devant la Cour européenne de Strasbourg à ce sujet ; mais je ne suis pas là pour parler de moi et de mes petites affaires !

  10. Pour vous donner une idée du ver qui est dans le fruit ; j’ai accusé Jean-Marc Sauvé vice président du Conseil d’Etat de complicité de corruption bien entendu le procureur de Nanterre refuse d’ouvrir une instruction … les preuves de corruption des juges administratifs sont hélas accablantes !

  11. Il y a un exemple célèbre d’empire lettré : c’est l’empire Chinois du temps des Ming. Or la corruption, l’autoritarisme la violence interne et étatique et surtout l’immobilisme étaient devenus synonymes d’empire du milieu !

    Comment expliquer qu’une classe de mandarins c’est à dire des lettrés de haut niveau avaient pu se détourner à ce point de la vérité ? Nous considérons que le vrai grand livre à étudier (depuis Descartes) c’est celui de la nature et que nous devons déchiffrer ses hiéroglyphes et que le langage érudit n’est souvent que piperies ! Une république française faite par et pour les avocats comme on le voit aujourd’hui c’est l’équivalent du régime des mandarins … je n’ai pas remarqué chez les juges et les avocats qui nous gouvernent un grand sens de l’intérêt public et surtout une compréhension profonde du sens de l’évolution technologique qui sous-tend les seuls progrès sensibles de notre condition.

    • La décadence sous les Ming ne vient pas des lettrés. Elle trouve son origine dans le poids grandissant des eunuques qui mènent des intrigues de cours… Je ne sais pas pourquoi on parle des mandarins dans le sens négatif, mais jamais dans l’histoire de la Chine, les crises ne viennent des mandarins…

      Se faire les dents sur les lettrés, via les mandarins des Ming est inopportun ! Pendant les Trente glorieuses, en France, les mandarins avaient autour d’eux des tas de fils d’ouvriers, d’employés, de paysans, qui grâce aux études accédaient à la culture…

      • Ce que je sais Nicolas de source sûre c’est que quand JPB emmène son automobile au garage – parce qu’il ne sait pas la réparer lui-même – il ne demande pas au mécano de lui faire une dissertation en alexandrins mais plutôt de lui établir un diagnostic, un devis et des délais de restitution de la susdite automobile !

        Si en plus le mécano est aimable c’est un plus … si c’est une mécano gironde alors là c’est le gros lot pour JPB ! Mais on ne le touche pas tous les jours.

  12. Plutôt que la Chine impériale éloignée de nous parlons de deux pays bien plus proches : Cuba et l’ex-URSS. Deux pays où de l’avis général le niveau d’enseignement était très bon. Cuba produit de très bons médecins par exemple et l’URSS était réputée pour son école mathématique entre autres ; or dans les deux cas l’échec économique était patent et la population se débattait dans des difficultés évidentes. Pourtant l’administration y était omniprésente …

  13. Quel rapport entre la Chine impériale, Cuba, l’URSS et la France de 2015 ? L’omnipotence de l’administration, la corruption galopante et l’existence d’une nomenklatura dont on mesure les scandales qui enflent chaque jour grâce au peu de démocratie qui subsiste en France.

    • Pierre Nora est bien gentil :

      « Du coup, les critiques les plus violentes viennent des tenants de ce que l’on appelle le « roman national ». Et pourtant le récit historique, presque mythologique, destiné à former naguère des citoyens et des soldats ne tient plus. »

      Même s’il n’est pas sur la ligne la plus à gauche, ce sont des gens comme lui qui mettent le cirque.

      Il faut enseigner l’histoire autrement, car le roman national ne tient plus, dit-il.

      Très bien, et que va-t-on enseigner, alors ? Mystère.

      Qu’est-ce qui empêche de prendre les Malet-Isaac, avec un tome supplémentaire rédigé dans le même esprit ?

      La prétention d’un quarteron d’historiens universitaires, qui voudrait enseigner aux malheureux collégiens les derniers débats des pédants universitaires, peut-être.

      Ou qui voudraient que l’histoire soit modifiée par l’immigration et par la construction européenne. Mais cela s’appelle réécrire l’histoire à des fins politiques…

      Le désordre et la confusion sont extrêmes.

  14. La presse : « Régionales : Najat Vallaud-Belkacem exclut d’être tête de liste en Rhône-Alpes-Auvergne et souhaite s’investir « totalement » dans sa mission ministérielle »

    Elle sera donc tête de turque.

  15. Cher Monsieur,
    Vos billets publiés ici ou là, sont toujours jubilatoires. En lisant celui-ci me viennent quelques anecdotes : il y a longtemps (très), j’ai eu le plaisir d’enseigner le français en Grande-Bretagne, à mi-temps à Slough Sec. School peuplée de jeunes blancs dont les parents (working poors,proles pour faire le malin et citer Orwell) travaillaient à l’usine Mars (le chocolat !), de jeunes pakis (excellents joueurs de cricket au demeurant) et de jeunes shiks (très conscients de leur supériorité) et, pour l’autre mi-temps, à Eton (de l’autre coté de l’autoroute M4) à des jeunes gens courtois qui considéraient le français comme très utile pour séduire les jeunes françaises et bien choisir un Bordeaux. Faut il préciser que la maitrise de la langue, l’accent ont été déterminants pour l’avenir de ces jeunes J’ai le sentiment que l’on s’achemine avec gourmandise vers ce genre de sélection.
    Je me souviens aussi des premiers mots écrits sur mon cahier en 6° à Charlemagne le premier jour de la rentrée : » ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément » (l’après midi même j’ouvrais le « de viris illustribus urbis romae… » et commençait à pester pour le poids du Gaffiot). A lire les propos de la si souriant Najat, j’ai le sentiment d’être un vieux con.
    Par ailleurs, pour répondre à M.Driout qui intervient dans cette page, mon ainé est chef cuisinier et sait trouver les mots qui enchantent les clients, le cadet menuisier se régale de Rimbaud et un bon plombier lettré sera plus habile face à un banquier, le RSI ou un assureur. Bien à vous

  16. On me reprochera des lectures malsaines mais je recommande ce fil : http://www.neoprofs.org/t89348-article-important-nature-capacites-cognitives-de-l-enfant-fixees-vers-11-ans#3041602
    (Qu’on se rassure il intéresse peu et est peu commenté.)

    Si l’article de Nature est exact et si la synthèse proposée par CornFlakes est correcte alors les tenants des patasciences de l’éducation passent du grade sinistre crétin à celui de criminels contre l’humanité !

    En extrapolant à peine, les programmes de maths primaire et collège sont conçus pour empêcher définitivement les enfants de former leur cerveau aux mathématiques …

    Dommage !

    Je sais pas pourquoi, je pense à Lyssenko ?

  17. Ô l’affreux journaliste payé pour lécher les bottes de la Najat et détourner le sens de votre question. Et elle, à gifler tout bonnement…

  18. Sanseverina, dans la conscience de ceux qui ont eu la patience d’aller jusqu’au bout, je ne crois pas que ce soit elle qui ait gagné — malgré le lèche-cultisme du journaliste…

  19. Mr Huygens, j’ai dans une vie très antérieure eu une maison qui nécessita parfois l’intervention de tel ou tel artisan. ET ceux de ma région étaient immanquablement de grands lecteurs, grands voyageurs, curieux de tout. Il en est même un, tailleur de pierres, dont j’ai eu le privilège de distiller sur ce blog, il y a près de dix ans, la pensée profonde sur l’inconséquence d’un système éducatif qui n’apprenait pas aux gosses à concevoir un angle droit — pour ne pas parler d’angles plus complexes. Ce qui l’empêchait, lui, de trouver un apprenti convenable, et il vivait avec le sentiment lancinant que son art se perdrait après lui.

  20. Vous êtes bien indulgent avec Belkacem, je crois plutôt qu’elle a appris le français en militant au PS., et en quittant son milieu grâce à son mariage avec un bourgeois français.
    Elle est, me semble t-il un pur produit de ‘la fabrique du crétin’, lesdits crétins arrivant enfin au pouvoir, la boucle est bouclée, et on peut passer à la vitesse supérieure.

  21. Ma dernière note sur mon blog, dans laquelle je reviens plus longuement sur cette affaire qui a défrayé la chronique cette semaine…
    Réflexions sur la laïcité avec, au passage, une mise au point concernant quelques contre-vérités énoncées par ses détracteurs, ou par ceux qui tentent de la récupérer à des fins xénophobes…
    Bref, ma position en une formule :

    Ni capitulation (devant quelque dogme que ce soit), ni récupération (par quelque ethnicisme que ce soit), mais la laïcité, rien que la laïcité.

    http://generation69.blogs.nouvelobs.com/archive/2015/05/04/une-collegienne-musulmane-exclue-pour-une-jupe-trop-longue-m-561842.html

  22. Rimbaud était un grand taiseux c’est pourquoi il n’est jamais devenu professeur ! Grâce lui en soit rendue … quant à ses petites fredaines avec le sieur Verlaine, mon dieu, qui n’a jamais exploré les sens interdits ?

  23. Comme d’habitude, article intelligent et bien écrit… et bien déprimant aussi…

    Ma fille est actuellement en CP, et je suis dépitée quand je vois ses cahiers… Elle n’a aucun mal à suivre, mais il faut dire, elle a tellement peu à faire ! J’ai comparé avec mes cahiers de cette époque dans les années 80, et on apprenait deux fois plus de choses… je n’ose comparer avec ceux de mes parents.

    Et pourtant, même des leçons si simples ne sont pas évidentes pour tous dans sa classe. Habitant un quartier très « populaire », je suis dépitée quand je vois que la méthode globale est encore utilisée : quand l’enfant a la chance d’avoir ses parents qui peuvent reprendre la leçon le soir, aucun problème. Mais pour bon nombre de ses petits camarades, ça y est, dès le CP, le retard commence et ne se comblera jamais !

  24. Et comment peut-on espérer apprendre des langues étrangères si on ne connaît pas, ou mal, sa langue maternelle?
    D’accord: le chinois est trop exotique, le russe mal vu (marrant quand même! il l’était moins sous les gouvernements dits de droite), l’italien et l’espagnol méprisés, l’allemand éjecté.
    Mais il ne suffit pas de savoir dire « Fuck you » pour parler anglais.

  25. Le Point.fr ayant décidé que j’étais une locomotive (à moins que ça ne se fasse de façon totalement aléatoire), il réserve certains de mes articles aux « abonnés »…
    Mais comme je n’aime pas cloisonner ainsi l’information, vous trouverez ci-dessous la chronique parue ce jourd’hui… Bonne lecture !

    Les élèves sont des nains sur des épaules de géants

    Faire du grec et du latin, mais pour quoi faire ? À cette question à laquelle Najat Vallaud-Belkacem ne sait pas répondre, Brighelli apporte ses réponses. En latin s’il vous plaît.

    Laurent Joffrin dans une récente tribune de Libé s’est laissé aller à parler latin — manière pour lui de fustiger les mauvaises intentions des programmes que Mme Vallaud-Belkacem promet au collège : si l’ancien journal de Sartre fait dans l’opposition, c’est décidément qu’il y a quelque chose de pourri rue de Grenelle…
    À mon tour je tenterai aujourd’hui d’expliquer à quoi sert l’érudition : au détour d’un discours latin on comprend de façon fulgurante ce que c’est qu’enseigner — et le cœur de la pédagogie n’a pas changé, nous dit Bernard de Chartres, depuis le XIIème siècle. En fait, depuis toujours.

    Les Anciens et les Modernes

    Au livre III de son Metalogicon (1159), Joannis Saresberiensis (Jean de Salisbury) évoque la figure de Bernardus Cartonensis (Bernard de Chartres), philosophe contemporain du grand érudit et historien anglais du XIIème siècle auquel le Guillaume de Baskerville du Nom de la rose d’Umberto Eco doit bien des traits. Pour expliquer la nécessité des arts du trivium (grammaire, rhétorique, dialectique — les arts du discours oral et écrit —, que complète le quadrivium, arithmétique, géométrie, astronomie, musique — le domaine mathématique, il rappelle le mot de son ami : « Dicebat Bernardus Carnotensis nos esse quasi nanos, gigantium humeris insidentes, ut possimus plura eis et remotiora videre, non utique proprii visus acumine, aut eminentia corporis, sed quia in altum subvenimur et extollimur magnitudine gigantea. » Comme dit l’admirable Mr Chips de James Hilton (1934), « I need not — of course —translate… » « Bien entendu je n’ai pas besoin de traduire… »
    Hmm… Les lecteurs assidus de cette chronique n’en ont certes pas besoin. Mais Najat Vallaud-Belkacem ? Traduisons donc à son intention : « Nous sommes comme des nains assis sur des épaules de géants. Si nous voyons plus de choses et plus lointaines qu’eux, ce n’est pas à cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre grandeur, c’est parce que nous sommes élevés par eux. »
    Ou si vous préférez, un élève n’est grand que si on le hisse sur les épaules des géants qui nous ont précédés. Pas leurs maîtres, qui sont essentiellement des passeurs, mais tous les géants des arts, de la littérature et des sciences qui ont bâti, pierre après pierre, depuis des siècles, l’édifice de la culture commune.
    Que sont justement ces pierres ? Ce sont les τόποi, pour parler grec, les lieux communs où nous nous retrouvons — le terme à l’origine n’avait aucune des connotations négatives modernes, idées reçues ou clichés. Pourquoi Montaigne, qu’Antoine Compagnon a mis à l’heure d’été il y a deux ans (Un été avec Montaigne, France Inter / Editions des Equateurs, 2013), appuie-t-il ses Essais d’un nombre considérable de citations ? Parce qu’il sait être original en s’appuyant sur les citadelles construites par ceux qui l’ont précédé. « Rien de plus soi que de se nourrir d’autrui, dit Valéry : le lion est fait de mouton assimilé. » Nous autres modernes, pour parler comme Finkielkraut, sommes bâtis de pierres anciennes. Nous nous juchons sur les épaules de nos devanciers — et c’est au prix de cet effort que nous voyons plus loin.
    Mais — beati pauperes spiritu —, il en est qui croient béatement pouvoir se dispenser de culture. Et en dispenser les autres. Supprimer le latin (ou le réduire, ce qui revient au même, à une fumeuse étude des « cultures antiques »), c’est faire croire aux élèves que toute pensée sort d’eux ex nihilo — « par l’opération du Saint-Esprit ». C’est cela, le constructivisme. Le génie sui generis (en français : une arnaque).

    In saecula saeculorum

    L’idée de Bernard de Chartres, pour frappante qu’elle soit (résumée, avec la bonne déclinaison, en « nani gigantium humeris insidentes », des nains sur les épaules des géants) n’était elle-même pas nouvelle. Les hommes du Moyen-Âge, qui étaient de vrais érudits, n’avaient pas la prétention de nos modernes pédagogues, qui croient tout savoir et qui ne savent même pas qu’ils ignorent tout. Le vrai savant, le vrai philosophe, déclare, comme Socrate, ἕν οἶδα ὅτι οὐδὲν οἶδα — je sais que je ne sais rien. Le génie est une longue patience, et faire croire aux enfants que l’inspiration sans la transpiration peut suffire est une escroquerie.
    À l’origine de l’idée, on trouve quelques vers de Lucrèce, le plus grand philosophe épicurien après Epicure, au Ier siècle de notre ère :
    « Sed nihil dulcius est bene quam munita tenere

    edita doctrina sapientum templa serena,

    despicere unde queas alios passimque videre

    errare atque viam palantes quaerere vitae… » (De rerum natura, livre II, v.7 sqq.)
    « Again I need not translate », dit Mr Chips. Traduisons tout de même, pour les béotiens de la rue de Grenelle : « Mais rien de plus doux que d’occuper les hauts lieux fortifiés par la pensée des sages, ces régions sereines d’où s’aperçoit au loin le reste des hommes, qui errent ça et là en cherchant le chemin de la vie… »
    Nos petits Pascal modernes (les « apprenants » formés au Collège Najat par Djamel Debbouze) seraient bien inspirés d’étudier… Pascal (le vrai, l’unique, le Clermontois d’origine), qui dans sa Préface au Traité du vide (1647) écrivait : « […] parce que [les Anciens] s’étant élevés jusqu’à un certain degré où ils nous ont portés, le moindre effort nous fait monter plus haut, et avec moins de peine et moins de gloire nous nous trouvons au-dessus d’eux. C’est de là que nous pouvons découvrir des choses qu’il leur était impossible d’apercevoir. Notre vue a plus d’étendue, et, quoiqu’ils connussent aussi bien que nous tout ce qu’ils pouvaient remarquer de la nature, ils n’en connaissaient pas tant néanmoins, et nous voyons plus qu’eux. » La science sans l’expérience de ceux qui nous précédèrent ne nous mène pas bien loin. Si chaque petit d’homme avait dû « construire » par lui-même l’usage du silex, nous ne serions toujours pas sortis de la caverne.
    Newton trente ans plus tard en a rajouté une couche : « What Decartes did was a good step. You have added much several ways, and especially in taking the colours of thin plates into philosophical consideration. If I have seen further it is by standing on the sholders [sic] of Giants » (Lettre à Robert Hooke, 5 février 1676). Non, je ne traduirai pas — ils parlent mieux anglais que français, au ministère de l’Education.
    Et ce n’est pas tout à fait par hasard que « On the shoulders of giants » fut le nom donné à la mission Apollo 17, la dernière à avoir emmené des hommes sur la Lune.

    Donner aux élèves l’ambition d’aller toujours plus haut

    Et c’est à cela finalement que se ramène toute vraie pédagogie : donner aux élèves l’envie de découvrir la Lune. On comprend bien que ce n’est pas en se limitant au « socle commun de compétences », qui est du rase-mottes en plein désert, que l’on parviendra à les faire rêver. C’est en leur faisant avaler de larges doses de Sciences, de puissantes rasades de Littérature, de grandes goulées d’Histoire et de Géographie — une Histoire qui sache raconter des histoires, et qui les incite à aller plus loin, à en savoir davantage, jusqu’au jour où ils prendront leurs propres enfants sur leurs épaules.

  26. Argh ! Une fausse manœuvre m’a fait effacer les commentaires des trois derniers billets ! Mon sang seul réparera le préjudice.

    Bon, je suis impardonnable, mais en attendant que les informaticiens réparent, s’ils le peuvent, mon coup de souris malencontreux, voici ma dernière chronique sur LePoint.fr, qui n’est accessible là-bas qu’aux abonnés :

    Les élèves sont des nains sur des épaules de géants

    Faire du grec et du latin, mais pour quoi faire ? À cette question à laquelle Najat Vallaud-Belkacem ne sait pas répondre, Brighelli apporte ses réponses. En latin s’il vous plaît.

    Laurent Joffrin dans une récente tribune de Libé (http://www.liberation.fr/societe/2015/04/22/quo-vadis_1259694) s’est laissé aller à parler latin — manière pour lui de fustiger les mauvaises intentions des programmes que Mme Vallaud-Belkacem promet au collège : si l’ancien journal de Sartre fait dans l’opposition, c’est décidément qu’il y a quelque chose de pourri rue de Grenelle…
    À mon tour je tenterai aujourd’hui d’expliquer à quoi sert l’érudition : au détour d’un discours latin on comprend de façon fulgurante ce que c’est qu’enseigner — et le cœur de la pédagogie n’a pas changé, nous dit Bernard de Chartres, depuis le XIIème siècle. En fait, depuis toujours.

    Les Anciens et les Modernes

    Au livre III de son Metalogicon (1159), Joannis Saresberiensis (Jean de Salisbury) évoque la figure de Bernardus Cartonensis (Bernard de Chartres), philosophe contemporain du grand érudit et historien anglais du XIIème siècle auquel le Guillaume de Baskerville du Nom de la rose d’Umberto Eco doit bien des traits. Pour expliquer la nécessité des arts du trivium (grammaire, rhétorique, dialectique — les arts du discours oral et écrit —, que complète le quadrivium, arithmétique, géométrie, astronomie, musique — le domaine mathématique, il rappelle le mot de son ami : « Dicebat Bernardus Carnotensis nos esse quasi nanos, gigantium humeris insidentes, ut possimus plura eis et remotiora videre, non utique proprii visus acumine, aut eminentia corporis, sed quia in altum subvenimur et extollimur magnitudine gigantea. » Comme dit l’admirable Mr Chips de James Hilton (1934), « I need not — of course —translate… » « Bien entendu je n’ai pas besoin de traduire… »
    Hmm… Les lecteurs assidus de cette chronique n’en ont certes pas besoin. Mais Najat Vallaud-Belkacem ? Traduisons donc à son intention : « Nous sommes comme des nains assis sur des épaules de géants. Si nous voyons plus de choses et plus lointaines qu’eux, ce n’est pas à cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre grandeur, c’est parce que nous sommes élevés par eux. »
    Ou si vous préférez, un élève n’est grand que si on le hisse sur les épaules des géants qui nous ont précédés. Pas leurs maîtres, qui sont essentiellement des passeurs, mais tous les géants des arts, de la littérature et des sciences qui ont bâti, pierre après pierre, depuis des siècles, l’édifice de la culture commune.
    Que sont justement ces pierres ? Ce sont les τόποi, pour parler grec, les lieux communs où nous nous retrouvons — le terme à l’origine n’avait aucune des connotations négatives modernes, idées reçues ou clichés. Pourquoi Montaigne, qu’Antoine Compagnon a mis à l’heure d’été il y a deux ans (Un été avec Montaigne, France Inter / Editions des Equateurs, 2013), appuie-t-il ses Essais d’un nombre considérable de citations ? Parce qu’il sait être original en s’appuyant sur les citadelles construites par ceux qui l’ont précédé. « Rien de plus soi que de se nourrir d’autrui, dit Valéry : le lion est fait de mouton assimilé. » Nous autres modernes, pour parler comme Finkielkraut, sommes bâtis de pierres anciennes. Nous nous juchons sur les épaules de nos devanciers — et c’est au prix de cet effort que nous voyons plus loin.
    Mais — beati pauperes spiritu —, il en est qui croient béatement pouvoir se dispenser de culture. Et en dispenser les autres. Supprimer le latin (ou le réduire, ce qui revient au même, à une fumeuse étude des « cultures antiques »), c’est faire croire aux élèves que toute pensée sort d’eux ex nihilo — « par l’opération du Saint-Esprit ». C’est cela, le constructivisme. Le génie sui generis (en français : une arnaque).

    In saecula saeculorum

    L’idée de Bernard de Chartres, pour frappante qu’elle soit (résumée, avec la bonne déclinaison, en « nani gigantium humeris insidentes », des nains sur les épaules des géants) n’était elle-même pas nouvelle. Les hommes du Moyen-Âge, qui étaient de vrais érudits, n’avaient pas la prétention de nos modernes pédagogues, qui croient tout savoir et qui ne savent même pas qu’ils ignorent tout. Le vrai savant, le vrai philosophe, déclare, comme Socrate, ἕν οἶδα ὅτι οὐδὲν οἶδα — je sais que je ne sais rien. Le génie est une longue patience, et faire croire aux enfants que l’inspiration sans la transpiration peut suffire est une escroquerie.
    À l’origine de l’idée, on trouve quelques vers de Lucrèce, le plus grand philosophe épicurien après Epicure, au Ier siècle de notre ère :
    « Sed nihil dulcius est bene quam munita tenere

    edita doctrina sapientum templa serena,

    despicere unde queas alios passimque videre

    errare atque viam palantes quaerere vitae… » (De rerum natura, livre II, v.7 sqq.)
    « Again I need not translate », dit Mr Chips. Traduisons tout de même, pour les béotiens de la rue de Grenelle : « Mais rien de plus doux que d’occuper les hauts lieux fortifiés par la pensée des sages, ces régions sereines d’où s’aperçoit au loin le reste des hommes, qui errent ça et là en cherchant le chemin de la vie… »
    Nos petits Pascal modernes (les « apprenants » formés au Collège Najat par Djamel Debbouze) seraient bien inspirés d’étudier… Pascal (le vrai, l’unique, le Clermontois d’origine), qui dans sa Préface au Traité du vide (1647) écrivait : « […] parce que [les Anciens] s’étant élevés jusqu’à un certain degré où ils nous ont portés, le moindre effort nous fait monter plus haut, et avec moins de peine et moins de gloire nous nous trouvons au-dessus d’eux. C’est de là que nous pouvons découvrir des choses qu’il leur était impossible d’apercevoir. Notre vue a plus d’étendue, et, quoiqu’ils connussent aussi bien que nous tout ce qu’ils pouvaient remarquer de la nature, ils n’en connaissaient pas tant néanmoins, et nous voyons plus qu’eux. » La science sans l’expérience de ceux qui nous précédèrent ne nous mène pas bien loin. Si chaque petit d’homme avait dû « construire » par lui-même l’usage du silex, nous ne serions toujours pas sortis de la caverne.
    Newton trente ans plus tard en a rajouté une couche : « What Decartes did was a good step. You have added much several ways, and especially in taking the colours of thin plates into philosophical consideration. If I have seen further it is by standing on the sholders [sic] of Giants » (Lettre à Robert Hooke, 5 février 1676). Non, je ne traduirai pas — ils parlent mieux anglais que français, au ministère de l’Education.
    Et ce n’est pas tout à fait par hasard que « On the shoulders of giants » fut le nom donné à la mission Apollo 17, la dernière à avoir emmené des hommes sur la Lune.

    Donner aux élèves l’ambition d’aller toujours plus haut

    Et c’est à cela finalement que se ramène toute vraie pédagogie : donner aux élèves l’envie de découvrir la Lune. On comprend bien que ce n’est pas en se limitant au « socle commun de compétences », qui est du rase-mottes en plein désert, que l’on parviendra à les faire rêver. C’est en leur faisant avaler de larges doses de Sciences, de puissantes rasades de Littérature, de grandes goulées d’Histoire et de Géographie — une Histoire qui sache raconter des histoires, et qui les incite à aller plus loin, à en savoir davantage, jusqu’au jour où ils prendront leurs propres enfants sur leurs épaules.

  27. Vous savez ce que m’a dit mon kiné qui est le prototype du trentenaire finissant, bobo de gauche qui vit grassement sur le dos de la sécurité sociale sans laquelle il serait pauvre ainsi que son épouse, elle-même kiné et qui se font 6000 euros par mois à eux deux avec un bac +2 ou 3 au maximum et une fille qui va rentrer en 6ème?
    Eh, bien, il me dit que cette réforme, ce n’est pas grave car sa fille sera dans un établissement privé catho et que ( même après lui avoir expliqué que sa fifille n’aura pas grand-chose à « manger », fût-ce dans un établissement catho ) de toute façon, puisque tous les collèges de France seront à la sauce réforme, elle ne sera pas défavorisée. Au contraire, elle aura toujours un pas d’avance étant dans le collège Saint machin chose et venant d’une famille où l’on a un peu de culture. Et voilà !!!
    Et nos inquiétudes pour les élèves, les autres, les pauvres, il s’en tape ! Rien à foutre ! La classe moyenne socialo est à vomir. Celle de droite se dit la même chose à part les quelques intellectuels qui comprennent l’importance de la culture…
    Voilà pourquoi la Najat fera passer sa réforme avec la bénédiction de la FCPE et de parents aussi malins que mon kiné.
    De quoi vous donner envie de foutre le camp dans une île déserte avec chien et bouquins…

  28. Quand on pense qu’on se foule à faire de belles citations et qu’il efface tout le macaque ! Tiens ! la prochaine fois on lui offre des bananes à la cocaïne …

  29. P…JP, c’est brillant!!! Je me sens nain et je le suis face à tant de références. Très instructif, merci!
    Ce qui était beau dans l’apprentissage – long, difficile et toujours inachevé- de notre belle langue, c’était cette aspiration au mieux : mieux penser, mieux dire, mieux écrire; sous la houlette des modèles illustres l’on s’essayait à rédiger, argumenter, versifier…
    Sur le discours, je suis d’accord avec ce fait bien établi: il est plus facile de descendre que de monter, ssi on maîtrise suffisamment les différents registres; armes sinon fatales, du moins pratiques!
    On tente de faire passer le message aux rejetons…dur labeur.

  30. Les mauvais lecteurs de Bourdieu, et ils sont nombreux, ont déduit qu’il ne fallait pas enseigner aux « classes populaires » ce qui est difficile. Résultat, ils ont fait pire que ce que Bourdieu critiquait. Il faut aussi dire que les contempteurs du savoir, en dévalorisant l’instruction, n’ont gardé que le pire de l’école de Jules Ferry. La dernière réforme constitue un pas de plus dans le développement de l’obscurantisme contemporain.

  31. Juchés sur les épaules de géants, par de magnifiques paraboles variées, nous compissons les pédagos englués dans leur misère socleuse.

  32. Encore merci pour ce plaisir. « Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites. Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes… »

  33. Ce que vous dites permet de justifier de faire découvrir Dante, Sophocle, Ovide, la Bible, Shakespeare, etc…, aux jeunes. Mais une traduction en Français de ces textes permet presque aussi bien qu’en langue originale, d’accéder à eux : à l’histoire qu’ils racontent, à ce qu’ils ont à dire sur la morale ou l’existence humaine, à la beauté des métaphores, à la simplicité et la franchise du style des Anciens… Heureusement qu’on n’est pas obligés de savoir lire l’hébreu, la grec, le latin, l’italien médiéval, l’anglais de la Renaissance, etc…, pour accéder aux trésors de la culture extra-française. L’effort pour apprendre ces langues serait énorme, et ne servirait pas à grand chose. Il y a mieux à faire avec le temps des élèves : beaucoup d’autres choses à leur apprendre plus enrichissantes.

    • La franchise du style des Grecs ? Holà !

      On peut médire tant qu’on veut des Grecs mais pas les prendre au saut du lit comme cela ! Les Grecs de l’Antiquité ne sont pas des billes, on ne les prend jamais au débotté … non seulement ils furent de rudes marins mais aussi de rusés négociants en mots comme dans le reste.

        • Je ne connais pas Tacite. Je connais certains classiques mais pas tous. Je ne suis pas une encyclopédie sur pattes et je souvent je vais vers des auteurs qui, avant que je les ai lus, me semblent avoir quelque chose à dire qui pourrait m’intéresser. Mais c’est un peu facile de confondre un jugement qui dit « en général, globalement, les Anciens ont un style simple », avec un autre qui dirait « tous les Anciens ont un style simple ». Seul le deuxième peut être contredit par un simple contre-exemple. Le premier suppose de montrer qu’en général, les anciens n’ont pas un style simple. Je vous parle déjà du style d’Hésiode, Esope ou la Bible. Des gens qui ne savent exprimer leur sagesse qu’à travers le seul usage de la langue dont ils sont capables, c’est à dire, décrire des choses et des évènements concrets, ce qui devient, raconter des histoires, qui ont une morale, qui symbolisent des choses. Des gens qui ne connaissent pas les mots en « isme ». L’enfance de l’humanité, peut-il sembler, ou en tous cas, une humanité beaucoup plus jeune que la nôtre : par là plus simple et franche dans son expression, et remplie d’un certain bon sens…

          • Non vraiment c’est une énormité Samuel ! Je ne sais qui vous a enseigné la simplicité et la franchise des Anciens …

            La littérature française du moyen-âge est naïve notamment tous les dits et fabliaux populaires et même les mystères (La Fontaine a beaucoup puisé là-dedans) ; ce qui a émerveillé les gens de la Renaissance comme Ronsard et les autres de la Pléiade c’est l’élaboration extrême de la littérature gréco-romaine.
            Racine et Corneille sont des héritiers de cette littérature-là et en rien de la littérature française native !

            Quant à la Bible je ne sais si beaucoup d’auteurs français pouvaient la lire dans le texte ; je suppose qu’ils passaient par la Vulgate c’est à dire le latin. Même Bossuet …

            Le fond populaire français n’est pas la source de la grande littérature des 16è, 17è et 18è siècles sauf exception comme La Fontaine mais en un sens second.

            Au 19e les conteurs retrouveront le vieux fond folklorique de nos provinces … et au 20è Appollinaire et d’autres vont puiser dans le trésor des chansons comme dans un livre d’ornement.

          • @ P Driout

            Vous avez une maniere assez insupportable de prendre votre perception subjective des choses pour la seule verité possible, et de vous autoriser par la à qualifier tout ce qui en diffère « d’enormités ». Je ne parlais pas de la simplicité des anciens grecs, romains ou hebreux par rapport aux gens du Moyen-Age, mais par rapport à nous. J’ai senti cette simplicité, cette franchise, ce bon sens des anciens, apres avoir longtemps baigné uniquement dans les choses – livres, propos echangés, emissions de tele ou de radio -, de notre temps (et non apres avoir vecu, faut-il le preciser, au Moyen-Age). Les anciens auxquels je pense sont d’ailleurs plus les premiers d’entre eux, les plus anciens grecs et les hébreux, plutot que les latins que je connais moins, meme si a mon avis ces derniers gardent encore cette saveur que j’attribue aux anciens, peut-etre en etant aussi un peu plus raffines. Il doit y avoir une maniere de comparer leurs ecrits avec les choses « cultivées » d’aujourd’hui, qui pourrait faire apparaitre ce que je dis. Mais ce serait un long et difficile travail qui va tres au-dela de mes forces. Je pense quand meme que chercher à nier qu’un tel travail pourrait aboutir, est une entreprise aussi vaine que de chercher à trouver la quadrature du cercle.

  34. Petite fiction pas si fictive.

    L’HÉRITIER

    Les abords d’un collège, un matin d’octobre. Une haie de buis symbolique enclot des bâtiments d’un étage, épars sur le gazon. Un homme en bleu de travail recouvre des tags récents de peinture fraîche ; une femme de service s’affaire à ramasser serviettes jetables, boîtes de coca-cola et emballages Mac Do, car le décor doit rester accueillant pour les élèves en dépit des dégradations qu’ils lui infligent régulièrement. Çà et là, quelques adolescents discutent avec des éclats de voix. À droite de l’entrée une femme élégante, la quarantaine, se renseigne auprès du concierge qui l’oriente vers le bureau du principal. Elle pénètre dans le pavillon indiqué, frappe à la porte et se fait annoncer par la secrétaire, qui l’invite à entrer quelques minutes plus tard. Le principal, plongé dans ses papiers, la salue à peine sans se lever pour l’accueillir ni l’inviter à s’asseoir.
    LA VISITEUSE ( reste debout quelques minutes, puis se résout à occuper le fauteuil qui fait face au bureau.) Vous avez souhaité me voir, Monsieur le Principal. Il serait plus exact de dire que vous m’avez convoquée, puisque c’est vous qui avez fixé unitéralement la date et le lieu de l’entretien.
    LE PRINCIPAL (peu sensible à la leçon de politesse, la regarde néanmoins en face.) Sans doute, sans doute, Madame…
    LA VISITEUSE Madame Duvernay.
    LE PRINCIPAL Madame Duvernay, c’est ça… (Il fouille à nouveau dans ses papiers.) Voyons, où est donc le dossier…(L’air important.) J’ai tant de fers au feu, et je suis parfois si mal secondé… Ah voilà ! Sylvain Duvernay. Oui, Madame, j’aurais voulu parler avec vous du cas de votre fils.
    LA VISITEUSE,( étonnée).Avez-vous quelque raison de vous en plaindre ? Ses tout premiers résultats m’ont pourtant paru satisfaisants.
    LE PRINCIPAL Tout à fait. Justement…
    LA VISITEUSE Poserait-il des problèmes de comportement ? Perturberait-il le déroulement des cours ?
    LE PRINCIPAL Absolument pas. Ses professeurs lui reprochent plutôt d’être trop discret, de prendre la parole moins souvent que ses camarades.
    LA VISITEUSE C’est peut-être parce que son père et moi lui avons appris à la demander avant de la prendre, et à ne le faire que s’il a quelque chose d’intéressant à dire.
    LE PRINCIPAL,( pincé) Nous pensons pour notre part que cette réserve extrême brime sa spontanéité, à moins qu’elle ne soit le signe d’une aptitude insuffisante au vivre-ensemble citoyen que nous souhaitons promouvoir.
    LA VISITEUSE, (légèrement ironique) Je vois. Serait-ce la raison de cet entretien ?
    LE PRINCIPAL Pas du tout, pas du tout. Cet entretien fait suite au rapport que son professeur de Lettres m’a remis au sujet des performances de votre fils.
    LA VISITEUSE, (interloquée) Ses performances ? En Lettres ? Mais, si j’ai bien compris votre grille d’évaluation, c’est en Lettres qu’elles sont les meilleures.
    LE PRINCIPAL Ah ! Mais précisément, chère Madame, c’est bien ce qui nous préoccupe.
    LA VISITEUSE, (de plus en plus étonnée) C’est bien ce qui vous préoccupe ?
    LE PRINCIPAL Nous sommes en tout début d’année scolaire, et il a déjà acquis toutes les compétences exigées. Voyons cela.( Il tire un document du dossier, et lit en butant sur les mots) « Insérer la description dans le récit », acquis. « Organiser spatialement la description en usant de compléments circonstanciels », acquis, « Utiliser des verbes de perception », acquis… J’en passe. D’après son professeur, Sylvain maîtrise parfaitement la technique de la description.
    LA VISITEUSE Et cela pose problème ?
    LE PRINCIPAL Oui, ce n’est pas normal.
    LA VISITEUSE Mais ne s’agit-il pas d’un contrôle portant sur le programme des années antérieures ?
    LE PRINCIPAL Ce n’est pas normal tout de même. La normalité, ce sont les lacunes. Les résultats de votre fils sont suspects.
    LA VISITEUSE Suspects de quoi ? Vous le soupçonnez d’avoir triché ? Dans un travail fait en classe sous la surveillance du professeur ?
    LE PRINCIPAL Oh non ! Ce serait plus simple et beaucoup moins grave !
    (La visiteuse reste sans voix.)
    LE PRINCIPAL ( gravement) Voyez-vous, Madame Duvernay, l’équipe est particulièrement attentive à Sylvain parce qu’il nous vient d’un établissement, comment dire…(Le ton se fait réprobateur) Un de ces établissements qui faisaient de l’inégalité une norme éducative. (Avec une mimique de dégoût, comme si les mots lui coûtaient à prononcer) Un établissement qui pratiquait encore la notation chiffrée et le classement des élèves.
    LA VISITEUSE, (l’interrompant, ironique) Ces établissements ont été fermés, et leur personnel sanctionné par le nouveau pouvoir. Désormais Sylvain…
    LE PRINCIPAL ( l’interrompt à son tour, implacable) Sanctions méritées. Il était temps que ces officines élitistes soient éradiquées.
    LA VISITEUSE ( poursuivant) Sylvain n’est donc plus soumis à ces méthodes obsolètes. Je vois mal ce qui peut vous inquiéter.
    LE PRINCIPAL (doucereux) Ces méthodes, surtout s’il réussissait, ont pu développer chez lui le goût de la compétition et le sentiment d’être supérieur aux autres. Toutes dispositions à corriger par tous les moyens.
    LA VISITEUSE (amère) Ce ne sera pas bien difficile. Mon fils s’est fait traiter d’intello et de bouffon à cause de ses bons résultats.
    LE PRINCIPAL (toujours doucereux et un peu gêné) La leçon est rude, mais sera peut-être profitable. De telles réactions sont la conséquence inévitable du vivre-ensemble. Les enfants ont un sens inné de la justice. Qui contrevient au principe d’égalité sera en butte à la vexation.
    LA VISITEUSE (froidement) Dois-je comprendre, Monsieur le Principal, qu’il me faut convaincre Sylvain de commettre volontairement des erreurs dans ses contrôles pour obéir à ce principe d’égalité ? Est-ce cela que vous vouliez me faire entendre ? Dans ce cas, je n’abuserai pas davantage de votre temps. (Elle se lève.)
    LE PRINCIPAL (autoritaire). Asseyez-vous, Madame, nous n’avons pas terminé. Vous me dites qu’on s’est moqué de votre fils. On s’en moquerait peut-être un peu moins s’il n’écrivait pas des phrases comme celle que je vais vous lire. (Il reprend le rapport en main, et ânonne.) « Dans les chemins creux de Normandie, baignés par l’ombre trouée de soleil, je gagnais un pré où je savais trouver un cheval à la robe couleur de miel. Quand je lui tendais une poignée d’herbes, je sentais frémir contre mes doigts le velours charnel de ses naseaux. »
    LA VISITEUSE Eh bien ? Il devait raconter un souvenir de vacances.
    LE PRINCIPAL (enflant la voix). « L’ombre trouée de soleil » ! « Le velours charnel de ses naseaux » ! Vous trouvez que c’est un langage normal ?
    LA VISITEUSE On y sent la volonté naïve de « faire littéraire », mais c’est pardonnable à quatorze ans.
    LE PRINCIPAL Justement Madame. Quatorze ans ! Son professeur est formel. Un adolescent de quatorze ans ne s’exprime pas ainsi.
    LA VISITEUSE Vous reconnaissez vous-même qu’il n’est pas suspect d’avoir triché.
    LE PRINCIPAL En effet. Il n’a pu copier cela nulle part. Cette phrase révèle, et c’est bien pire, l’influence d’un écrivain nommé, nommé… (Il cherche l’information dans le rapport.) Une certaine Colette, semble-t-il. Colette tout court, sans nom de famille. Le professeur est formel.
    LA VISITEUSE ( sur ses gardes) En quoi serait-ce condamnable ?
    LE PRINCIPAL (martelant les mots) Vous n’êtes sûrement pas sans ignorer que les apprenants n’ont le droit de lire que les œuvres figurant dans la bibliothèque de l’établissement ou de la médiathèque municipale.
    LA VISITEUSE Oui, je ne suis pas sans le savoir.
    LE PRINCIPAL (théâtral) Eh bien, Madame, nous n’avons ici aucun livre de cette Colette, et le nom de votre fils ne figure pas au nombre de ceux qui en ont emprunté à la médiathèque. Sournoisement. Vous savez ce que cela veut dire, j’imagine.
    LA VISITEUSE, (éludant) Et pourquoi n’aurait-il pu trouver seul ces expressions ?
    PRINCIPAL Parce que ce n’est pas possible ! Cela signifierait qu’il existe des enfants naturellement doués en dehors de toute imprégnation culturelle ! Et le contraire a été prouvé scientifiquement.
    LA VISITEUSE Alors il a peut-être lu Colette dans son ancien établissement.
    LE PRINCIPAL Je ne crois pas, Madame.( Menaçant) Je crois plutôt qu’il l’a lue chez vous, parce que vous avez conservé votre bibliothèque personnelle. Sciemment, vous avez désobéi à la loi qui oblige chaque parent à se défaire de ses livres et à les mettre en dépôt auprès du service responsable à la naissance de l’enfant. Ceci pour être sûr que nul ne grandisse dans un univers culturellement plus privilégié que ses semblables.(Formidable) Avouez !
    LA VISITEUSE (balbutie, décomposée) J’enseigne à l’Université, et j’ai besoin de mes livres.
    LE PRINCIPAL (triomphant) Ah ! J’avais donc raison ! (Sentencieux) Vous comprendrez, Madame, qu’en tant que fonctionnaire de la République Je sois obligé de faire à mon tour un rapport à qui de droit. (La visiteuse pâlit encore. Le principal jouit quelques instants de son pouvoir avant d’ajouter, bonhomme) Mais je vais être bon prince. J’attendrai dix jours avant de l’envoyer à mes supérieurs. D’ici là, vous aurez le temps de faire disparaître les objets du délit. Bien sûr, vous aurez ensuite une inspection des Services de Conformité Citoyenne. Si elle devait être défavorable malgré le sursis que je vous laisse, je n’ai pas besoin de vous rappeler quelles en seraient les conséquences sur votre carrière et sur l’avenir de votre fils.((Un temps) À chaque examen, il se verrait affecté d’un handicap proportionnel aux avantages dont il aurait bénéficié dans sa famille. Sa réussite en serait compromise d’autant.
    LA VISITEUSE (s’arrachant visiblement les mots de la gorge) Je vous remercie de votre compréhension, Monsieur le Principal. Cette fois, je suppose que cet entretien est terminé. (Elle se lève.)
    LE PRINCIPAL Je suis heureux que nous ayons pu nous entendre. Tout est donc pour le mieux. Il n’est jamais trop tard pour corriger les effets d’une éducation élitiste, et nous saurons convertir votre fils aux valeurs de la démocratie.
    (La visiteuse sort, livide.)
    LE PRINCIPAL (seul, murmure entre ses dents) Je l’ai bien eu, ce sale petit héritier.

    c

  35. Bonjour M. Brighelli,

    j’aime beaucoup la citation de François Bayrou. Qui, c’est vrai, est un des rares agrégés encore en service au milieu d’un océan d’énarques.

    Pourtant j’entends souvent le plus grand mal de son action en tant que Ministre de l’EN.
    N’ayant pas suffisamment de « billes » pour avoir une opinion éclairée, je serai curieux de savoir ce que vous pensez de ses 4 ans et quelques rue de Grenelle.

    D’avance merci.

    • Non François Bayrou n’est pas Catherine Angot ! Il n’a pas été violé par la République pour devenir ministrè de l’éducation nationale et accomplir ses mauvaises actions à l’insu de son plein gré !

  36. Désolé pour les fautes mais mon neuf clavier est répugnant de connerie .. c’est un benêt qui a fait l’école de Bonnet d’âne !

  37. On pourrait s’échanger des ministres de l’éducation d’un pays à l’autre, ou faire des économies en en mettant un pour deux pays. La Giannini et la Najat par exemple. La première vient de mettre dans la rue un paquet de monde, la deuxième va faire la même chose d’ici peu et elles sont aussi méprisantes l’une que l’autre vis-à-vis des profs.
    Les Italiens vont être juste un peu en avance sur ce qui va nous arriver : chef d’établissement qui joue les shérifs, recrutant qui il veut, quand il veut, comme il veut…Voie royale laissée au privé…
    Trop européennes pour être honnêtes ces réformes dans l’éducation…
    Il est sûr qu’en se défaussant complètement sur les régions, l’état fera un paquet d’économies. Les élites dans des écoles hors-contrat et the bad pour les pauvres : des écoles, collèges, lycées vaguement entretenus par les régions. Vive la République.

  38. Si vous considérez un auteur comme Montaigne il n’a pas écrit une ligne dans ses Essais qui se réfère à la littérature française du moyen-âge ! Il devait la considérer comme une littérature de second ordre digne des croquants et des basses couches de la population je suppose … indigne de son attention de fin lettré ! Des berceuses pour les nourrices en somme !

    En résumé il y a une rupture radicale à la Renaissance entre la littérature populaire et la littérature des gens cultivés ! Cette distance n’existait pas à l’époque antérieure.

  39. Apollinaire … c’est un pseudonyme qui se réfère justement à … Apollon dieu gréco-romain comme chacun sait qui inspirait les Muses ! Apollon Musagète …

  40. À propos d’enseignement du français, je vous recommande la lecture de ces quelques pages écrites par Stanislas Dehaene (sur l’enseignement de la lecture justement).
    Il s’agit de sa « Contribution aux travaux des groupes d’élaboration des projets de programmes » auprès du CSP, instance dans laquelle il n’y a aucun enseignant du primaire, ni du secondaire en exercice, je le rappelle.

    http://www.education.gouv.fr/cid82307/le-conseil-superieur-des-programmes-contributions-des-experts-sollicites-par-les-groupes-charges-elaboration-des-projets-programmes.html

    et cherchez le lien suivant :
    Télécharger la contribution de Dehaene Stanislas – Professeur au Collège de France – CSP

    Un lien intéressant pour avoir une idée des travaux de Stanislas Dehaene
    http://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/20-heures/jt-de-20h-du-lundi-15-septembre-2014_688913.html

  41. Sans aller jusqu’à donner la possibilité de séduire les marquises, notre cher ministère gratifie son public de pépites linguistiques et culturelles de plus en plus fines.

    Je viens de perdre 30mn de mon temps pour visiter une nouvelle production de l’ex-CNDP… (canopé) : « corpus gang »

    Il s’agit d’un jeu sous-sous-débile où il faut « jouer avec son corps », soit mettre des crottes à la poubelle, prendre des pseudo-notes devant un vieux prof qui radote et en « nourrir » son cerveau, équilibrer son corps en mettant son téléphone à l’horizontale…

    « Corpus Gang c’est aussi sérieux ! Même les profs devraient y jouer… »

    Ce n’est pas la peine de le télécharger, une vidéo de présentation suffit déjà à voir de quoi il retourne :
    https://www.youtube.com/watch?v=9xQ6c_vfMqk

    Ce lien est celui d’un « youtubeur », nommé SUP3R KONAR, qui présente le jeu… c’est tout simplement affligeant… étant donné le nombre de vues et de commentaires, on peut se demander si les services de ce pseudo-ado faussement débile sont gratuits…
    Slogan de l’auteur : « si ta quéquette est aussi grosse qu’une baguette clique su j’aime »

    nos impôts vont là dedans ? je rêve ?

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