Je ne dirai pas que la Grrrrande Concerrrrrtation sur l’Ecole, ce fut « beaucoup de bruit pour rien », mais je le pense très fort.

Le discours de François Hollande (bon sang, qui les lui écrit ? Et qui les lui fait répéter ?) en portait témoignage. On y entendait beaucoup de banalités (le serpent de mer des devoirs à la maison — depuis la fin des années 1950, on le ressort régulièrement, on s’agite un peu, puis les enseignants n’en font à nouveau qu’à leur tête, c’est-à-dire qu’ils suivent intelligemment la demande des parents, qui en réclament), et quelques silences assourdissants (quid du Bac, par exemple ? Et de l’enseignement supérieur ? Et…).

Vincent Peillon navigue à vue entre ses convictions et ses ambitions (lequel de la « bande des quatre » remplacera prochainement Ayrault ?) et n’a guère élucidé les ambiguïtés d’une politique éducative dont on attend toujours qu’elle prenne la mesure du désastre. D’un côté, il ne faut pas mécontenter les trois imbéciles heureux qui se croient maîtres de la rue de Grenelle — le SGEN, le SE-UNSA et la FCPE, trois grandes incompétences dont la qualité première est d’indiquer toujours le sud. De l’autre, il ne faudrait pas trop se fâcher avec la FSU (elle-même partagée entre le SNUIPP, qui se pense dominant parce que Bernadette Groison, qui n’arrive pas à la cheville de Gérard Aschieri, est issue de ses rangs, et le SNES, très revendicatif ces derniers temps), ni avec le SNALC, qui entretient avec le ministre des rapports presque cordiaux — pourvu qu’il n’applique pas son programme. Philippe Meirieu est très mécontent de ce qui est sorti de la concertation, et je ne peux pas lui donner tort, même si je suspecte sous ses prises de conscience actuelles, si loin de ses convictions passées, la rancœur d’un homme battu quand il croyait toucher au but (il fallait rentrer au Grand Orient, Philippe, vous vous seriez mieux entendu avec le maire de Lyon — entre autres, dans un gouvernement qui est plein de « frères », ou de frères de « frères »…).

Je crois donc très fort que l’on va enterrer dans les deux ou trois mois à venir l’essentiel de ce qui a été proposé. Il y aura toujours des notes, parce qu’il n’y a pas de meilleur système d’évaluation — et que par ailleurs les enseignants sont déjà priés de ne pas descendre trop bas pour ne pas heurter la sensibilité de Monchéri-Moncœur, et obtempèrent, au moins dans les examens. Il y aura de moins en moins de redoublements, parce que cela coûte cher, et que le facteur économique est déterminant en dernière instance, comme disent Karl Marx et Paul Krugman. On toilettera les programmes à la marge (dans le Primaire, l’argument des « désobéisseurs », selon lequel les programmes Darcos étaient infaisables en quatre jours, tombe de lui-même dès lors que l’on revient à une semaine de neuf demi-journées), on conviendra d’un socle minimaliste en encourageant les profs à en faire tout de même un peu plus, on abolira tranquillement les livrets d’évaluation qui servent essentiellement à vérifier la compétence des enseignants à faire de petites croix dans de petites cases, on modifiera doucement la carte scolaire selon le principe du quartier d’orange — de la périphérie vers le centre — au lieu de confiner le ghetto dans le ghetto. Parce que sinon, on offrirait sur un plateau le système éducatif tout entier aux ambitions des « créateurs d’écoles » qui offrent dans un privé très privé tout ce que demandent les parents.

L’essentiel n’est pas là. Le combat est toujours le même, entre ceux qui sans cesse veulent abaisser la barre, pour que tous les enfants réussissent à sauter 50cm, et ceux qui sans cesse l’élèvent au plus haut des compétences de chacun. C’est tout de même sidérant, quand on y pense : les « républicains » rêvent au fond d’un grand service unifié dont les ambitions pratiques seraient adaptées à chaque élève (c’est cela, la fin du collège unique, et pas autre chose), et les pédagos d’une Education nationale éclatée, de pouvoirs donnés aux caciques locaux, qui leur permettraient de se faire entendre au niveau le plus communal. Dans le grand mouvement girondin qui saisit la France depuis quelques années, c’est dans les établissements désormais qu’il faut se faire entendre, qu’il faut imposer des ambitions : suggérez des filières dès la Sixième, comme cela se fait en douce çà et là, afin de constituer des classes homogènes, utilisez le volant d’heures sup et de fonds spéciaux pour renforcer les apprentissages ou pallier les insuffisances, servez-vous des exorbitants pouvoirs des chefs d’établissements pour faire voter des règlements intérieurs qui n’autoriseront aucun comportement déviant — à commencer par l’interdiction des téléphones portables. Bref, l’élitisme n’étant plus à la mode au sommet, faites-en un principe à la base — j’entends bien sûr l’élitisme pour tous, qui permet à chacun de donner le meilleur de lui-même. Utilisez de bonnes méthodes d’écriture-lecture, combinez des progressions rigoureuses, puisque l’Etat renonce à les imposer de lui-même, soyez polis avec les parents d’élèves en les laissant à la porte mais en leur expliquant que les devoirs à la maison leur permettront de jouer au prof tant qu’ils le veulent, en sus de ce qui sera fait à l’école (Peillon vient de réinventer « l’étude », où nous faisions effectivement nos devoirs — et ce ne sera appliqué, au passage, que là où le ramassage scolaire consentira à laisser les élèves prendre leur temps : on dirait que tous les enfants vivent dans des grandes villes…).

Mais voilà : le conformisme des enseignants, leur indifférence aussi après tant de défaites et de renoncements, permet-il une révolution de velours à la base ?

 

Inquiétudes aussi en ce qui concerne le recrutement prochain de dizaines de milliers de personnels enseignants — d’abord, parce qu’il n’y a pas, en France, même en ces temps de chômage accéléré, des dizaines de milliers de personnes prêtes à se lancer dans un sacerdoce si mal payé, et certainement pas des dizaines de milliers d’étudiants compétents : on peine à en trouver huit ou dix mille chaque année pour remplir les postes attribués, j’ai dans l’idée que ceux que l’on recrutera en juin par concours spécial ne remonteront pas le niveau. L’absence de tout discours sur l’enseignement supérieur (Hé, Fioraso, où êtes-vous, madame la ministre ? Occupée à dissuader les universités parisiennes de recruter des élèves de prépas provinciaux, pour remonter le niveau des facs locales ?) n’est pas un bon signe. Et ce n’est pas le flou persistant sur les Ecoles supérieurs de l’Enseignement souhaitées par le ministre, qui risquent fort de faire à nouveau la part belle aux pseudo-sciences de l’Education, qui me feront changer d’avis.

Bref, là comme ailleurs, le gouvernement tangue doucement, entre la valse et le tango, le Valls et l’Ayrault (il y a vraiment beaucoup de trop de chefs à ce gouvernement). La Gauche hésite fort entre être de droite et être de droite. Elle devrait se méfier, elle va finir par faire une politique de droite, mais sans le dire franchement, ce qui ouvrira un boulevard à la droite.

Dans les années 1990, Toyota avait finalement choisi la France (plutôt que l’Allemagne ou l’Ecosse) pour installer, à Valenciennes, l’unité de fabrication des Yaris. Parce que, nonobstant la tendance des Français à se mettre en grève, des salaires et des charges sociales qui leur paraissaient très hauts, les Japonais ont préféré la compétence des ouvriers français (formés dans les années 1960-1970 — tout comme le tout récent prix Nobel de physique a été formé dans les années 1950-1960) dont la productivité et la compétence dépassaient très largement celle des voisins : en serait-il de même aujourd’hui, avec des gens formés à l’école de la loi Jospin et des IUFM ?

La « morale laïque » que promeut le ministre ne passe pas par des enseignements spécifiques, mais par l’enseignement tout court. On apprend la morale en faisant des mathématiques exigeantes, on apprend la morale en apprenant l’orthographe et la grammaire, on apprend la morale en sachant l’Histoire et le Géographie — et le reste. C’est par l’acquisition des savoirs que l’on finit par respecter la vertu, comme on disait en 1793. Ce n’est pas tout à fait un hasard si « discipline » qui vient du mot qui en latin signifie « élève ») désigne à la fois la matière enseignée et l’ordre qui doit régner dans la classe.

30 commentaires

  1. Pourquoi ce simple bon sens est-il refusé par la bureaucratie de la mal nommée Éducation nationale ?

  2. « La Gauche hésite fort entre être de droite et être de droite. »

    Ça tombe bien, la Droite hésite fort entre être de gauche et être de gauche.

  3. Dans le jus pédagol, Auduc, avant-gardiste d’ESPE (diant, diant), fait des vœux dans le sens de la pente pour les futurs concours de recrutement :

    « Les contenus des concours de recrutement doivent cesser d’être tourné vers l’amont, mais s’inscrire dans les exigences nécessaires à l’exercice du métier choisi et comporter dès l’écrit des parties d’épreuves concernant la didactique de la discipline permettant aux candidats une réflexion sur les enjeux de la transmission des savoirs.
    […]
    Ils doivent également pour tous les niveaux de recrutement s’inscrire dans le cadre du socle commun de connaissances et de compétences et ne pas l’ignorer comme c’est le cas actuellement de la quasi-totalité des concours de recrutement du second degré. »

    Et de rêver au jour où le jury s’appuiera sur le LPC des candidats pour les recruter…

  4. Merci, JPB, pour ces propos décapants.
    Pour ceux qui veulent des détails et ont le courage de lire une analyse un peu longue (mais c’est tout de même moins pénible que les 50 pages du rapport Refondation, un vrai pensum… ), je renvoie au blog de Reconstruire l’Ecole,
    http://leblogdelapresidente.over-blog.com/article-geonpis-cucos-et-refondation-110982579.html
    et
    http://leblogdelapresidente.over-blog.com/article-formation-refondation-premonitions-111252923.html

  5. La société de la connaissance, comme on dit, exige-t-elle beaucoup de gens inscrits ?
    Pourquoi instruire ? Pour la droite, point n’est besoin de diffuser la connaissance au plus grand nombre. pour la droite point n’est besoin d’imposer la connaissance au peuple.

    rudolf bkouche

  6. « dans le Primaire, l’argument des « désobéisseurs », selon lequel les programmes Darcos étaient infaisables en quatre jours, tombe de lui-même dès lors que l’on revient à une semaine de neuf demi-journées »

    Cela ne change rien, ce sont les heures d’enseignement qui comptent.Je ne crois pas qu’on reviendra sur celles supprimées malheureusement. On peut faire le programme avec 20% des élèves seulement.

    Au plaisir de vous lire !!!
    fffffffffffff

  7. « L’essentiel n’est pas là. Le combat est toujours le même, entre ceux qui sans cesse veulent abaisser la barre, pour que tous les enfants réussissent à sauter 50cm, »

    Pourquoi s’acharner à faire sauter tous les enfants à 2 m 50 alors certains ne le peuvent pas ???

    ffffffffffff

  8. Selon la légende, lors des soirées d’étape très arrosées du tour de France, Antoine Blondin tentait bien de sauter au dessus du zinc

    Bon ,d’accord, il n’y parvenait pas vraiment mais, au moins, il essayait.

    Lui…

  9. Ne sautez surtout pas comme un lapin dans le maquis Corse Dugong ! Vous risqueriez d’écoper de quelques coups de fusil bien sentis … et laissez la robe au vestiaire sinon on vous prendra pour un travesti qui tapine et piétine les plate-bandes des dames de petite vertu !

  10. Par expérience professionnelle (40 ans de fonctions dirigeantes en collectivités territoriales) je ne le sais que trop : la lâcheté est la mère de tous les renoncements.
    Un Brighelli à la tête de chaque ministère est TOUT est changé…
    Merci Monsieur, une fois de plus.

  11.  » C’est par l’acquisition des savoirs que l’on finit par respecter la vertu » est une belle phrase complètement fausse.
    Je crois qu’on se fait un peu plaisir en simplifiant à l’extrême son propos.
    Faire de jolies phrases en dénigrant des dizaines d’années de recherches pédagogiques, de compréhension du développement du sujet psychique et politique, c’est ça être de gauche et républicain?
    Je préfère alors être un cancre et tel Gaston Lagaffe retourner dans ma caverne de livres en m’excalamant « Ouarff! »

      • Il y a plusieurs dimensions à la phrase.
        La première est philosophique, concerne le développement du sujet psychique et politique. Freud dans ce domaine est le mieux placé pour nous apprendre que le sujet humain n’est pas une machine qu’on conduit vers la vertu, mais qu’il vit des contradictions internes majeures et n’en ressort vertueux qu’en fonction de l’issue du complexe d’oedipe qui peut le mener à s’identifier à l’adulte et à convertir ses motions pulsionnelles agressives et destructrices en motions épistémophiliques. Pour simplifier à l’extrême, Freud dit plutôt : « C’est par l’acquisition de la vertu, que l’on accède à l’acquisition des connaissances. » On peut trouver ça dans : les trois essais et dans le texte sur Léonard de Vinci.
        Mais Freud a continué puisqu’il a mis en place une réflexion sociétale et collective dans laquelle la place des savoirs et du travail et toujours secondaire à la perte par le sujet d’une place de toute puissance. Il faut que le sujet renonce à quelque chose pour avoir les portes de la sublimation ouvertes. On trouve ça dans le malaise dans la civilisation et dans on Moïse. Il ajoute même qu’il est ainsi parfaitement (hélas) capable d’expliquer que des nations civilisées et cultivées comme La France et l’Allemagne se soient livrées à une telle expérience d’anéantissement (dans l’avenir d’un illusion). On peut dire, parce que l’accumulation de savoirs est parfaitement compatible avec les perversions individuelles et collectives les plus condamnables.
        De vilain freudo-marxistes on même ajouté dans les années 60, que ce renoncement et cette éducation dirigiste traditionnelle, on plutôt tendance à fausser les rapports que le sujet peut entretenir avec son for intérieur et donc fausser complètement la « vertu » visible de l’homme dit civilisé qui n’est qu’un homme unidimensionnel, clivé, chez qui la « morale » n’est que passivité. (Marcuse).
        Et puis sont venues les « études » dites scientifiques, c.a.d. statistiques. Pour faire vite, car il est tard pour moi, on doit citer Milgram bien sûr, qui trouve des tortionnaires vertueux en égale quantité dans toutes les catégories de la population. Et l’accumulation des avoirs, que ne les a-t-elle pas protégés de verser dans cette vertu monstrueuse qui s’appelle l’obéissance aveugle.

  12. Jean-Baptiste MICHAUD, député, (1759 – 1819) : « Citoyens représentants, l’armée du Rhin reçoit, avec l’ordre du jour, votre proclamation sur la découverte inattendue de la plus affreuse des conspirations. Plus la réputation des scélérats qui la tramaient était grande, et plus le service que vous avez rendu à la liberté, à la patrie, est inappréciable. Continuez à veiller sur l’intérieur, à désorganiser les trahisons, à déjouer les intrigues, à renverser les factions, à punir les conspirateurs, à faire respecter la vertu et la probité : de notre côté, nous saperons les trônes ; nous abattrons les tyrans, nous disperserons leurs esclaves, et nous écraserons leurs satellites, L’armée n’aura jamais qu’un cri de guerre : la République et la victoire.

    Thierry Cadart, marchandiseur contemporain : « Il va falloir donner corps a la refondation. »

  13. 50 cm : la barre est trop haute ! Il faut supprimer l’apprentissage du saut en hauteur, comme ça plus de problème d’échec scolaire.

  14. Pour ajouter au débat sur le dernier paragraphe, JPB ne veut pas dire que le savoir fait la vertu, mais insiste sur les processus d’acquisition, l’effort, le sérieux et le sens du travail bien fait inhérents à toutes études ou à tous apprentissages bien conduits. Ce sont des qualités morales, il n’est pas besoin d’aller jusqu’à Freud pour le comprendre, c’est une question de bon sens.
    Ce sont sur ces qualités que le bon fonctionnement de la societé libérale, la nôtre, repose. Le problème c’est, comme l’a montré JC Michéa, qu’elle est en train de saper ses propres bases, en multipliant au collège ou au lycée (je ne connais pas le primaire) l’apprentissage du moindre effort, le cynisme utilitariste, un sens étroit et procedurier des droits etc.
    Le Bac par exemple est donné à beaucoup d’élèves qui ne le méritent absolument pas, qui n’ont pas le niveau, niveau qui est délibérement baissé dans les jurys sous la pression des inspecteurs, tout cela est connu.
    La gestion des fluxs et des statistiques voilà ce qui est au centre de l’éducation, et ce sont ni les savoirs, ni même l’élève.
    .
    Merci à Jean Paul Brighelli, je découvre votre blog aujourd’hui seulement. Je suis professeur d’arts plastiques, et il y aurait beaucoup à dire sur l’enseignement (et l’état) des arts plastiques…. une autre fois!

    • On peut approuver certaines des choses que vous écrivez, certaines parce qu’elles sont vraies, d’autres parce qu’elles sont cohérentes, mais invoquer le bon sens en rejetant Freud est une très mauvaise idée, c’est d’ailleurs ce que je reproche à ce billet : une succession de bon mots certains cruels, parfois drôles, mais pas beaucoup de fond, juste du soi-disant « bon sens ».
      (Je rappelle que le bon sens a longtemps prévalu pour affirmer la rotation du soleil autour de la terre, ou l’hérédité des caractères acquis, ou que l’ulcère gastro duodénal n’est qu’une maladie du stress etc… C’est dire s’il a été utile DE NE PAS FAIRE PREUVE DE BON SENS POUR ALLER AU DELA DES APPARENCES).

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