Le Bac est devenu un rite vide, la conclusion dépourvue de sens d’une scolarité largement vidée de tout contenu réel. Un rite onéreux, aussi — près de 100 millions d’euros, estime le magazine Challenges. Et on a eu beau le simplifier, exiger des examinateurs la plus grande mansuétude, on ne parvient plus à monter au-dessus de 85% de reçus — c’est à la fois trop et pas assez. Trop, si l’on voulait que le Bac conserve un semblant de crédibilité. Pas assez si on pense que 15% d’échecs, c’est près de 100 000 candidats qui repiquent, soit pour l’Education nationale un coût de 1 200 000 000 € (à 12 000 € par an et par élève). Et c’est largement inutile, si l’on pense que près de 40% des formations post-Bac (BTS, IUT, prépas…) recrutent aux mois de mai-juin sur livret scolaire sans un regard pour un Bac qui n’est pas encore passé, mais que l’on tient désormais pour une formalité désuète.
Tout a été fait ces dernières décennies pour vider de son sens ce premier titre universitaire — pour me pousser, en quelque sorte, à écrire que le Bac est désormais inutile, et qu’il est temps de laisser tout le Supérieur recruter comme il l’entend. Décidons d’un titre qui sanctionnerait désormais un niveau d’études, et laissons les universitaires décider de ce qu’ils ont envie d’avoir en face d’eux dans les amphis. Cela éviterait à des gamins qui croient tenir en main un sésame de s’engager dans des impasses, et d’aller, à près de 50%, se fracasser en Licence.
Inutile de se demander comment revivifier le Bac : on ne ressuscitera jamais le cadavre de ce qui fut jadis l’un des meilleurs systèmes d’enseignement et d’évaluation au monde. Noter les élèves au Bac en fonction de leurs capacités réelles reviendrait à les condamner sans rémission — parce qu’ils sont les produits, et les victimes, d’une Ecole primaire qui tient encore parce que de brillantes personnalités s’y dévouent sans compter leurs heures ou leurs efforts, sous les quolibets de leurs Inspecteurs ; produits aussi d’un Collège unique qui partait peut-être d’une idée généreuse, qui a démontré depuis longtemps sa nocivité ; produits souvent de ces Zones d’Education Prioritaires qui ont greffé le ghetto culturel sur le ghetto social ; produits enfin d’un lycée où la part du disciplinaire s’étiole chaque année, minée par les restrictions budgétaires des uns et la pédagogonigologie des autres. Inutile de s’abîmer en nostalgies inutiles : restaurer le Bac, ce serait condamner à l’échec une génération élevée dans l’optique du bonheur immédiat — ne rien faire, sans le faire très bien. Bien sûr qu’aucun des postulants au Bac 2013 ne résoudrait les questions posées au Certificat d’Etudes de jadis — mais ils ne vivent pas dfans le même monde, nous dit-on. Certes — mais ils ne sont pas préparés non plus ni au monde d’aujourd’hui, ni à celui de demain. Que la refondation de l’Ecole se préoccupe de temps scolaires (le lobby des pédopsys — malgré les protestations fondées des instits) ou de réaménagement des vacances (le lobby des hôteliers, malgré les remarques de bon sens des profs) donne la mesure de ce qui reste à faire — tout. À commencer par un apprentissage systématique du français, langue, culture et histoire, et des sciences : les deux passeports sans lesquels on est condamné, dès l’école, à la précarité intellectuelle et économique. Le désespoir frappe à la porte — il pourrait bien frapper tout court.
Mais peut-être est-ce cela l’objectif — des jeunes sans repères ni mémoire, taillables et corvéables à merci grâce aux brillantes intelligences qui aujourd’hui conseillent la Gauche après avoir si bien géré la Droite. Des jeunes qui n’ont même plus les mots pour se plaindre. Combien de vrais enseignants de terrain autour de Vincent Peillon ? Il s’acharne à ne pas voir que le problème actuel de l’Ecole, c’est ce qu’on y apprend — pas l’allongement du temps de présence des maîtres, un sujet familier aux Cafés du Commerce et aux syndicalistes professionnels. On nous assène en permanence un « modèle allemand » largement fantasmatique : le lecteur sait-il que les enseignants d’Outre-Rhin sont deux fois mieux payés que les Français, pour un travail largement équivalent ? Combien d’universitaires réels autour de Geneviève Fioraso ? Elle veut à toute force noyer les classes prépas, dernier village gaulois qui résiste encore et toujours à la débâcle pédagogique, dans des universités dont la fonction essentielle semble être de retarder l’arrivée des étudiants dans les queues de Pôle-Emploi.
Vous trouvez que l’éducation coûte cher ? Essayez l’ignorance, comme l’a suggéré un bon esprit. La rue de Grenelle, comme la rue Descartes, commence et finit à Bercy. Géographie et politique de gribouilles. Tenez, supprimons le Bac, ce sera toujours ça d’économisé, et redonnons le pouvoir à ceux qui se soucient vraiment de l’avenir des élèves et des étudiants, et qui espèrent encore, alors même qu’ils n’espèrent plus rien.

3 commentaires

  1. « Cela éviterait à des gamins qui croient tenir en main un sésame de s’engager dans des impasses, et d’aller, à près de 50%, se fracasser en Licence »

    En licence 1 histoire de l’art à Besançon nous sommes tout au plus 15 sur 97 inscrits à passer en L2…..

  2. OK, on le supprime et on le remplace par le livret de compétences tout bien validé …
    Le bac a une telle valeur symbolique dans ce pays que le supprimer, même s’il ne vaut plus rien, va provoquer une réaction violente auprès de laquelle les manifs contre le CPE et la Manif pour tous feront pâle figure.

    Il n’est pas nouveau que les prépas et IUT recrutent sur dossier en pré bac et mon bac 76 n’avait déjà plus aucune valeur alors que votre bac 70 vous ouvrait les portes d’emplois de bon niveau dans les banques, les PTT, le Trésor public etc.

    A présent, le premier petit saut qualitatif est en L3 et nombre de masters de qualité sont sélectifs et dotés d’un numerus clausus. L’échéance est repoussée de trois à quatre ans. Est-ce mieux, est-ce pire ?
    J’avoue me poser la question sans avoir de certitude mais, en relisant « Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister », je me suis dit qu’il n’y a finalement rien de bien nouveau et que flâner en chemin et tâter un peu de tout au début de la vie au lieu de se jeter à corps perdu à l’issue d’études ultra-sélectives et donc très rapides dans des professions à lourde responsabilité est peut-être la garantie d’une possibilité de vie plus riche, plus pleine et plus heureuse.
    L’école Polytechnique, ce n’est pas vraiment le Bildungsroman …

  3. 1 200 000 000 €, rien que ça… Cette nouvelle manie de tout calculer me laissse perplexe. A votre décharge, vous n’êtes pas le premier à user de ce procédé. On ne voit plus que ça à la télé, on n’entend plus que ça à la radio, on ne lit plus que ça dans les journaux… Ca ne mène à rien, à part remplir du temps d’antenne et tirer à la ligne. Je vous croyais au-dessus de ça, vous me décevez.

    Si on supprime le bac et qu’on fait ce que vous préconisez (laisser les universités sélectionner leurs étudiants), ça induira mécaniquement d’autre coûts (pôle emploi, CAF, emplois aidés, etc…) dont rien ne dit qu’il seront inférieurs au coût du bac.

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