EAOkj8SXoAAMwMZPhilippulus le prophète a repris du service. On le croyait enfermé dans un asile psychiatrique, il se répand sur les ondes. Il a simplement changé de nom, il s’appelle Yves Cochet, Agnès Sinaï, Pablo Servigne, Jared Diamond ou Raphaël Stevens — tous les apôtres de l’« écologie profonde » dont Arne Næss fut en son temps (1973) le Nouveau Messie. Le coronavirus leur a donné des ailes et des arguments.

Jean-Pierre Le Goff a récemment résumé la situation : « Dans le cours même de la pandémie, l’écologie punitive et rédemptrice a continué de nous assener ses leçons. La pandémie serait un « signe » ou un « ultimatum » que nous enverrait la « Nature » ou encore la conséquence de nos « péchés écologiques ». » Et de souligner la proximité de cette collapsologie avec l’« effondrement » de juin 40 et le fameux discours de Pétain : « Nous payons le prix de nos fautes ».
À vrai dire, dans un pays qui a en un instant réinventé les Ausweis, encouragé la délation — un tic national — et qui n’imagine de déconfinement qu’avec l’aide d’une milice qui régira nos déplacements, la tentation du pétainisme est à portée de main.

Encore que les vrais écolos, ceux qui ont fait de l’effondrement de notre civilisation leur fond de commerce, aimeraient que l’épidémie soit plus incisive. « Nous sommes encore loin, déplore Yves Cochet, d’une pandémie aussi contagieuse que la grippe et aussi forte qu’Ebola, ayant 50 % de mortalité – nous n’en sommes qu’à 2 % –, qui elle pourrait causer un effondrement mondial. Là, il semble que la pandémie soit assez stable, qu’il n’y ait pas de mutation » — « mais on ne sait pas comment ça va tourner », ajoute avec gourmandise l’ancien ministre qui vit dans une ferme autonome d’une cinquantaine d’hectares, pauvre de lui. Dans le monde de la « deep ecology », il vaut toujours mieux être riche et en bonne santé que pauvre et malade. Heureusement, le pire est presque sûr, en sortie de crise : « Il faut diminuer notre niveau de vie, aller vers la décroissance. Sinon ce sera la guerre… »

Pablo Servigne, l’un des inventeurs de la « collapsologie », propose ses solutions. « Retrouver la lenteur. Le lien avec nos voisins. Le retour du vivant : on voit bien qu’il ne s’agit plus de protéger le vivant, mais le régénérer, lui redonner de la place. On a aussi une opportunité de revoir notre système de santé, et la manière dont on prend soin de nos anciens. Tout est à revoir. Le système des Ehpad c’est un processus industriel, c’est affreux. Il faut revenir à des systèmes conviviaux, dignes. Revoir notre rapport aux migrants, également. Quand on voit le Portugal qui régularise les sans-papiers pour qu’ils aient accès aux soins, on se dit que tout est possible. Sans compter qu’on aura besoin de compétences et de main d’œuvre dans les mois qui viennent, pour reconstruire un pays décent et digne. » Un bien brave garçon, alors qu’il est évident que nous avons un léger problème avec les fonds sociaux si libéralement distribués.

Cette écologie pénitentielle, comme dit Le Goff, prêchait depuis longtemps l’Apocalypse. On sait que « la terre ne ment pas » (heu… Pétain ou Cochet ? Je ne sais plus). Le bug de l’an 2000 ayant fait Pschitt, nous étions en retard d’une apocalypse. Le virus qui court les villes — et beaucoup moins, les campagnes, c’est un Signe, hein — est le véhicule commode du repentir nécessaire et du changement radical.

La récession qui s’annonce, et qui sera bien plus sévère, en dégâts humains, que l’épidémie elle-même, est une aubaine pour les apôtres de la décroissance et du repli sur soi. La mondialisation, présentée comme une invention récente, alors qu’elle existait déjà sous l’empire hittite ou dans la Grèce classique, est responsable de la diffusion rapide du virus ? Cessons donc les échanges à haut équivalent carbone, et cultivons notre jardin. Sainte Greta Thunberg a montré l’exemple en refusant de prendre l’avion. Traversons désormais l’Atlantique à la rame. Ou à la nage.
D’ailleurs, les émissions de CO2 ont notablement diminué grâce à l’épidémie — c’est un fait. Continuons dans cette voie — et tant pis si des dizaines de millions de pauvres se retrouvent demain, chez nous, encore plus pauvres. Et résistons aux pressions qui voudraient un retour « à la normale » : le « monde d’après » ne ressemblera pas au « monde d’avant », clament les prophètes.

Rien de très original. René Barjavel, en pleine guerre mondiale, a imaginé, avec Ravage (19434) la difficile survie après un cataclysme planétaire. Robert Merle a tissé sur le même thème une fable post-apocalyptique, Malevil (1972), racontant le retour à l’âge des cavernes. La SF brodant sur le thème de l’extinction a fait merveille dans les années 1950-1960, depuis Richard Matheson (Je suis une légende, 1954) jusqu’à Brian Aldiss (Barbe-grise, 1966). Nous vivions alors sous la menace d’une guerre nucléaire, et la Suisse n’autorisait de nouvelle construction qu’équipée d’un abri anti-nucléaire pourvu en… pâtes alimentaires, réserves d’eau et, sans doute, papier-toilette.
Mais ce qui était alors précaution face à un danger clair et immédiat est aujourd’hui préconisation autoritaire. Back to the trees ! L’écofascisme se donne des ailes, et fournit des arguments au centrisme totalitaire de ces dernières années — et de ces deux derniers mois. De la même façon que dans le domaine éducatif, les libertaires à la Ivan Illich ont ouvert la voie aux libéraux, les écolos profonds pavent le chemin des démocraties autoritaires. Et les applications-espions qui demain pulluleront sur nos Smartphones donneront à la Police de la Pensée de précieux renseignements sur nos infractions à la norme. On ne le savait pas, mais Big Brother est habillé de vert.

Non que les préoccupations écologiques me soient étrangères. Privilégier les circuits courts, renoncer à manger des fraises en décembre et du raisin en février, serait une bonne chose. Préférer la salers nourrie au pré et le poulet en liberté au bœuf argentin et à la volaille américaine engraissés aux farines animales, bonne idée. Opter pour le crabe breton plutôt que pour les tourteaux de soja, sans doute. Réduire notre appétit en carburants fossiles tombe sous le sens — par exemple en développant la recherche sur l’hydrogène. Mais ce qui est choquant, c’est l’adjonction d’une morale quasi religieuse à ces objectifs de bon sens.
Le démantèlement de centrales nucléaires en parfait état de marche, alors qu’aucune solution équivalente n’est aujourd’hui viable (tenez-vous vraiment à couvrir la France d’éoliennes tueuses d’oiseaux et de paysages ?) s’apparente à la furie iconoclaste de la Querelle des images, au VIIIe siècle. Le discours apocalyptique dans son ensemble, comme son nom l’indique, s’en prend comme jadis saint Jean à notre civilisation même, dont il annonce l’extinction.
La religiosité n’est d’ailleurs pas absente du discours officiel : l’interdiction des plages ou des garrigues, la traque des randonneurs à grand renfort d’hélicoptères, la fermeture des jardins publics n’ont aucune justification prophylactique : elles visent juste à condamner le plaisir, dans un temps de pénitence collective. Le confinement tel qu’il a été imposé ressemble fort à un acte de contrition — annonciateur de « révélations » déjà en marche : fin des 35 heures au profit des 48 heures, suppression d’une partie des congés, chantages à la reprise, facilitation de l’embauche et des licenciements, et sans doute, très vite, suppression d’une rémunération minimale. À quand le retour des Flagellants, qui au Moyen-Âge parcouraient les villes et les campagnes en châtiant dans leur chair les péchés collectifs ? La violence des échanges sur les réseaux sociaux donne un avant-goût des sacrifices de boucs émissaires que certains brûlent déjà d’égorger.

In medio stat virtus, disait l’adage. Mais les angoisses alimentées par des médias gourmands de mauvaises nouvelles laissent peu de place aux voies moyennes. L’excès écologique sera la norme de demain, et, fournira à tout gouvernement rêvant de discipliner ses citoyens jusqu’à l’obéissance du cadavre le cadre rêvé de ses futures incursions dans le champ de la liberté — chaque jour réduite, chaque jour bafouée.

Jean-Paul Brighelli