PF006702Va-t-il falloir lancer une seconde « journée de la jupe » ? Dans un grand nombre d’établissements scolaires l’administration, qui a pourtant ces temps-ci autre chose à faire que de traquer les nombrils, bloque à l’entrée les élèves habillées de façon « provocante », et appelle les parents en leur demandant d’amener d’urgence des vêtements « décents ». Le nombril visible, qui donnait jadis des sueurs froides au sénateur William Hays, inventeur du code de décence qui sévit sur le cinéma américain de 1934 à 1966, est à nouveau réprouvé. Peut-être nos censeurs modernes pensent-ils, comme Hays, que c’est par là que l’on fait les bébés ?
Les règlements intérieurs des établissements portent tous les marques d’un « dress code », comme on dit en boîtes de nuit spécialisées. Mais tandis qu’à Cris et chuchotements (rue Truffaut, dans le XVIIe) on impose un « code » basé sur l’indécence du noir, les collèges et lycées sont un tant soit peu plus pudibonds — non sans raison.
Encore faut-il s’entendre. Que l’on proscrive les tongs est une mesure de bon sens appuyée par des impératifs de sécurité — les nu-pieds constituent un danger réel dans les escaliers des établissements. Que l’on interdise le voile islamique va de soi : ce n’est pas un vêtement, c’est une déclaration de guerre, et tout prosélytisme est interdit par la loi depuis 2004. Mais pour le reste…

Jean-Michel Blanquer a imprudemment comparé tenues religieuses et indécence vestimentaire : « J’ai à me battre contre les élèves qui veulent venir voilées à l’école et ceux qui veulent venir avec des tenues provocantes ». C’est malheureusement le parallèle même qu’utilisent les gamines pour justifier le port du tchador (argument du « c’est mon choix », alors que les jeunes filles voilées le sont sous la pression, parfois inconsciente, de leur entourage). La vérité est que les deux n’ont rien à voir. Quant à l’idée soulevée par le ministre de comportement vestimentaire « républicain », chacun s’interroge. La Marianne selon Bardot ferait-elle l’affaire ? Ou la Liberté de Delacroix, peut-être…
Le seul point qui rapproche ces deux modes, c’est qu’elles ne concernent que les filles. Bien peu de garçons ont été refoulés pour débordement du caleçon — alors même que le string dépassant de la ligne de flottaison du jean fait hausser le sourcil des CPE, soudain mués en dragons de vertu.

Tout cela ne date pas d’hier. Le string brésilien est apparu discrètement en Europe dans les années 1970, puis de façon plus prononcée à partir de 1985, où il évolue en tanga. Dans les années 1990, l’engouement est général — quel que soit le type de postérieurs, dont il faut remarquer que certains ne sont pas coupés « à la brésilienne »… D’ailleurs, la concurrence du boxer est alors là pour montrer que toutes les femmes ne cèdent pas à l’inconfort de la ficelle inter-fessière…
J’ai assisté, en classe, dans ces années-là, à des scènes burlesques. Les adolescentes, qui pratiquent la provocation de façon spontanée à 14 ou 15 ans, se tenaient légèrement vautrées sur leurs pupitres, le dos bien cambré, le string remontant habilement sur 10 cm de peau nue au bas du dos. Et les garçons assis juste derrière elles s’énucléaient à imaginer dans quelles profondeurs s’abîmaient ces ficelles colorées. Ils n’écoutaient plus, tout agités de flux hormonaux que l’on peine à discipliner à cet âge. C’était drôle, et un peu irritant, à cause de la répétitivité.
Mais la supériorité des filles dans le domaine scolaire — une vérité reconnue par les analystes — ne tient évidemment pas à cela.

S’ajoutent aux questions de mode des considérations météorologiques. Il fait très chaud dans le Midi en ce moment, et qui demanderait aux jeunes collégiennes de venir collet monté ? Enfin, ces reproches ne touchent que les filles, éternelles Lilith provoquant les malheureux Adam qui, sans elles, en seraient toujours à compter les pommes dans le jardin d’Eden sans même penser à les croquer…

Puis vint la modernité.
J’ai déjà conté comment une jeune femme se promenant en short (et pas du genre ultra-moulant) dans le centre-ville de Marseille à quatre heures de l’après-midi un 30 août avait été agressée par deux gardiens de la vertu. Comme elle avait répliqué vertement, cela se termina en pugilat, un passant intervint pour la ceinturer, elle, lui expliquant : « Mais enfin, mademoiselle, c’est leur culture ! » On en revient à la dichotomie être la maman et la putain : soit tu es un modèle de vertu, soit tu es une salope.
Les demoiselles n’ont pas tort d’affirmer que c’est le regard masculin qu’il faut ré-éduquer, et lui apprendre à ne pas poser sur les vêtements, quels qu’ils soient, un œil contaminé par des superstitions d’un autre âge et d’une autre culture. Un homme, a dit à peu près Camus, ça s’empêche de bander. Mais est-il inutile pour autant de leur expliquer que se déguiser en bimbos n’est pas du meilleur goût ? Et que toute provocation obéit à la règle action / réaction ?

En fait, c’est le goût qu’il faut rééduquer — vaste programme. La tolérance aux idées impulsée par la loi Jospin puis par les pédagos qui l’ont enfourchée comme un cheval de Troie pour infiltrer tous les niveaux du système a fondé l’abominable génération « J’ai le droit », « C’est votre avis, ce n’est pas le mien », variantes du topos usagé « Tous les goûts sont dans la nature ».

Oui — le mauvais goût particulièrement. Parce que le bon goût est culturel, et qu’il faut sérieusement revenir à des critères de beauté plus immuables que l’anarchie esthétique qui sévit aujourd’hui. Penser qu’H&M fait de jolis vêtements, c’est croire que Virginie Despentes vaut Racine.

Et il faut sévir chez les garçons comme chez les filles. Si j’étais chef d’établissement, je virerais d’abord ceux qui arrivent en survêtement, avec le bas du pantalon fourré dans les chaussettes. Une règle non écrite, à Marseille, voulait que l’on se rhabillât en quittant la plage. Mais de plus en plus de petits mâles font allègrement torse nu le trajet Catalans / Canebière, y compris en bus. L’exhibition de poils follets et de bustes maigrichons exhale des relents de sueur qu’ils ne tolèreraient pas chez leurs sœurs ou leurs copines, s’ils en ont. L’intolérance aurait-elle un double standard ?
Je virerais pareillement les démonstrations tétonesques : un crop top associé à une absence de soutien-gorge permet aux glandes mammaires des ballottements d’une vulgarité absolue. Le modèle pornographique s’est imposé, et Lolita, la nymphette qui chez Nabokov est une exception rarissime, est devenue le modèle à suivre. C’est ce que démontre avec finesse le film de Maimouna Doucouré, Mignonnes. La sexualisation des enfants que l’on reprochait à Irina Ionesco quand elle photographiait sa fille s’affiche sans complexe dans des magazines de mode : voir ce reportage paru en décembre 2010 dans Vogue où des gamines de 7 ou 8 ans étaient déguisées en putes et offertes en cadeaux au pied d’un arbre de Noël. À l’usage du Père Fouettard, sans doute.
Mais dans un monde où l’on montre en exemple des gamines délurées maquillées à la truelle qui comptent sur YouTube le nombre de leurs « followers », à quoi peut-on s’attendre, sinon au pire ? Est-il bien évident que Thylane Blondeau, qui posait en 2010 pour ce numéro de Vogue, est un modèle à suivre ?

Revenons-en à une conception plus éclairée de la beauté et du charme. Ce n’est pas en se dénudant que l’on aguiche, bien au contraire. Une plage de nudistes est un souverain remède à l’amour. Les tenues les plus strictes sont parfois les plus provocantes. Encore faudrait-il prendre le temps d’expliquer — par les œuvres, car les romanciers et les peintres travaillent sur le voile et le désir depuis quelques millénaires — qu’un nombril en soi n’a aucun charme, que la mini-jupe ne va pas à tout le monde, que le nichon baladeur finit fatalement par obéir à la loi de la pesanteur, et que l’on peut s’habiller chic et léger sans s’habiller vulgaire. Bref, que la « sobriété », comme dit le ministre, ne nuit pas à l’image.

À noter que les enseignants feraient bien de montrer l’exemple. Les jeans troués, les sandales de moines du SGEN ouvertes sur des orteils douteux, les jupes remontées sur des jambons d’York, tout cela donne une légère nausée, et n’indique pas aux élèves la bonne marche à suivre. Ah oui, mais « c’est mon droit », vont dire certains. Mais alors, c’est mon droit de penser qu’ils n’ont rien à faire dans l’Education nationale.

Jean-Paul Brighelli

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