Fête des Mères aidant, et nonobstant le fait que ce soit une initiative pétainiste, je cherchais un cadeau à faire à la mienne — 80 ans, bon pied bon œil, mais elle ne paraît guère plus âgée que moi, coquette impénitente, fort peu ancrée dans le passé mais cultivant la nostalgie à ses heures — et gâtée par mon père au-delà de l’imaginable, ce qui rend la question des cadeaux toujours délicate.
Alors je me suis rappelé une scène d’enfance — une senteur plutôt. Une fraîcheur — le côté « le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat ». Le parfum de la dame en pied-de-poule — c’était à la mode dans les années 1950. Quand l’Europe en était aux balbutiements, à la Communauté du charbon et de l’acier, au Benelux, aux embrassades De Gaulle-Adenauer, bref, l’Histoire se faisait. Et Balmain (Germaine Cellier, en fait) avait osé, à la Libération, pousser jusqu’à la limite l’usage du garbanum (une racine moyen-orientale, un truc insupportable en l’état), en composition avec de la rose et du jasmin (la rose, mal maniée, a tout du déodorant pour toilettes, mais poussée à son climax cela produit Joy, le parfum-phare de Patou). La fragrance s’appelait Vent Vert. Un délice.
J’ai acquis un flacon et je l’ai offert — par la Poste, avec quelques jours d’avance — à ma génitrice…
Erreur fatale. Coup de fil immédiat — pas pour me morigéner, n’exagérons pas, mais parce que le Vent Vert d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui d’autrefois.
Ah bon ? On peut modifier complètement la texture d’un parfum mythique ? Le N°5 ne serait plus qu’un 5 bis ? Miss Dior serait dépucelée ? Et l’Heure bleue s’est décolorée ?
Eh bien oui — grâce à l’Europe.

Les ingrédients qui composaient les grands parfums mythiques sont de plus en plus souvent interdits tout bonnement par les règlements européens. Thierry Wasser (responsable des parfums chez Guerlain) s’insurge : « Avec leurs directives, ils vont finir par tuer Nahéma [eau de parfum de Guerlain] car sa teneur en rose est jugée excessive. Ils ont déjà tué Parure [même créateur] de plusieurs coups mortels en interdisant le bouleau pyrogéné, la mousse de chêne et le lyral qui lui donnait sa note de muguet. » Il suffit désormais qu’une Polonaise se plaigne d’irritations, qu’un Slovène ait le nez qui coule dans le cou de sa copine, pour que l’Europe s’insurge et interdise tel ou tel produit — sans compter ceux qui viennent d’espèces animales que les lobbies écolos protègent. La réglementation évolue à toute allure, et interdira bientôt tous les grands parfums français — resteront ces eaux de toilette standardisées, vaguement citronnées, qui envahissent les marchés (et surtout les supermarchés). Abus du dogme du principe de précaution. Une « étude scientifique » pointe du doigt la présence d’éléments allergènes dans Chanel n°5 — et les bonnes âmes s’insurgent que la Commission européenne n’ait pas encore interdit la plus célèbre création de Coco — ou Dior Addict, également dans la ligne de mire. On ne les interdit pas — on les banalise. L’Europe aime les produits pasteurisés, c’est vrai pour les fromages, c’est vrai pour les parfums — deux produits typiquement français, comme c’est bizarre…

Les parfums, formules secrètes nées de quelques nez, ne sont pas déposés, pour mieux protéger leur secret et leur mystère. Chaque marque tire dans son coin, et les grands parfumeurs sont désunis face aux législateurs. Que certains produits interdits dans les parfums soient toujours autorisés dans la nourriture en dit long sur le poids des groupes de pression — et qu’est-ce que cette Europe livrée aux influences des trusts ?
Je dénie aux législateurs le droit d’intervenir sur mes souvenirs d’enfance. Je vais voter contre, contre les partis prêts à voter Joncker ou Schultz, contre l’Europe dénaturée tricotée en trente ans par les eurocrates, contre l’Europe qui m’interdit de voguer sur le parfum comme l’âme des autres hommes sur la musique— comme disait Baudelaire.
Anecdotique ? Peut-être. Mais significatif. L’Europe de l’UMPS, je ne peux plus la sentir — littéralement. Quitte à parodier Camus : « Si on me donne à choisir entre l’Europe et ma mère, je choisis ma mère ». Désolé pour ma mère, qui a vécu la construction de l’Europe — qu’elle appelait de ses vœux, au sortir de la guerre — et qui s’apprête à voter pour la moins europhile des listes, désolé pour Vent Vert, qui ne sera plus jamais, par la faute de quelques décideurs bruxellois, ni ce que je sentais sur elle, ni ce qu’elle se rappelait.

Jean-Paul Brighelli

13 commentaires

  1. « le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat ».

    J’aime! Qui, hors le quinqua fringant, a suffisamment roulé sa bille pour s’en rappeler ?!
    Cher Collègue, la fragrance de vos propos me sied fort…malgré un arrière-fond dextre, voire extrême-dextre.
    Je sens en vous un profond nostalgique d’une civilisation presque perdue.
    C’est triste. De mon humble côté, je poursuis la lutte: la garde meurt mais ne se rendra jamais!
    Et merde!

  2. Je précise entre autre que cette Europe dont on parle n’est pas une construction européenne mais…….américaine !

    Alors le gros bobard que l’on nous sort à chaque élection que l’Europe a été créée pour faire contre poids aux Etats-Unis est une vaste plaisanterie. Elle est destinée à vassaliser totalement et inéluctablement l’ensemble des pays européens pour construire un glacis destiné à faire obstacle à la Russie…

    Pour ce qui est de cette construction américaine lire ceci : http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/1356047/Euro-federalists-financed-by-US-spy-chiefs.html

    La traduction en français ici : http://www.upr.fr/actualite/europe/des-federalistes-europeens-finances-par-des-chefs-de-lespionnage-americain

    • Eh oui… L’Europe, c’est Jean Monnet, la bête noire de de Gaulle, le planqué de la Seconde Guerre mondiale, la marionnette des Américains…

  3. Voilà le Brighelli que l’on aime. On en redemande. Bravo l’artiste! Mais, car il y a un mais, ce n’est pas l’Europe qui sent mauvais. « Abus du dogme du principe de précaution », la mauvaise odeur vient de là. C’est une évolution civilisationnelle.Nos « eurocrates de Bruxelles »ne font que la refléter. Si nous sortions de l’Europe,le principe de précaution subsisterait. Les Français ne sont plus uniquement que des moutons. Ils sont devenus des larves.

    • Non, les Français ne sont ni des moutons, ni des larves. Mais nos « élites » politiques, oui.

      • Puis je savoir pourquoi devrais subsister un principe de précaution ?? Il existe dans le traité du TUE/TFUE un article qui est l’article 50 qui permet sereinement et légalement de sortir de cette nasse. (grâce à François Asselineau, je me suis farcie pour la première fois la lecture détaillée et attentive des traités justement)

        Tout le reste n’est que billevesées. Et pour couronner le tout ce sont les mêmes qui nous promettaient la prospérité éternelle avec Maastricht et l’euro et qui professent aujourd’hui l’apocalypse si nous devions en sortir !!! Ca fait 30 ans que l’on nous promet une Autre Europe, croyez vous que si en l’espace de 30 ans rien ne s’est produit, que nous allions assister à l’avènement de cette « Autre Europe » ? Comme le dit un proverbe chinois : rêver c’est dormir toute sa vie !!

        D’ailleurs aujourd’hui l’Europe est une dictature qui fonctionne grâce à l’ennui. Nos gouvernants savent que nul ne va lire les traités, les directives, etc Et pourquoi ? Parce que c’est ch….. Voilà je n’ai pas dit le mot mais c’est la stricte vérité ! Croyez que le quidam du coin lit le traité de Lisbonne qui a été pondu par NS et qui fut une véritable félonie, en sachant que 55 % des Français avaient dit non au référendum de 2005 ?

        Et ce dernier a encore le culot de nous pondre une tribune remplie de foutaises et d’inepties aussi grosses que lui !! Ce n’est sûrement pas un perdreau de l’année et il sait pertinemment conformément à l’article 48 qu’il faut l’unanimité des 28 Etats membres. Il sait donc pertinemment qu’il peut promettre ce qu’il veut, il n’est plus au pouvoir, perçoit des sommes folles pour ses conférences menées pour le compte de Goldman Sachs (ces criminels qui sont parvenus à tuer l’économie et à plonger des millions de gens dans la misère et qui marchent encore normalement dans les rues comme si de rien n’était ! ) et surtout que ses vœux pieux sont des chimères et que ça n’arrivera JAMAIS !!! Tout cela est calculé au millimètre près croyez-le. En politique, rien n’advient par hasard, même pas les dérapages de Jean-Marie Le Pen !!!

        Sinon un article : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/quand-un-economiste-demissionnaire-152305

        Et juste à la veille des élections, je vous conseille d’écouter attentivement cette conférence, elle est peut être longue mais elle vaut le détour. Elle vous permettra peut être de ne pas vous faire blouser, après quoi vous faites ce que vous voulez :

        http://www.upr.fr/videos/conferences-en-ligne/les-partis-politiques-respectent-ils-lintelligence-des-francais

      • On a les élites que l’on mérite. Les Allemands ont bien eu Hitler démocratiquement. Nous nous sommes débarrassés de Sarkozy et nous avons eu Hollande. Demain, nous rappellerons peut-être Sarkozy comme sauveur. L’école forme aussi bien les élites que le peuple. L’esprit critique a disparu chez nos élèves et nos étudiants. L’ignorance généralisée dans tous les domaines produit des moutons et des larves prêts à suivre les gourous du populisme. Les élites ne guident plus le peuple mais le suivent. Nous assistons à une nouvelle trahison des élites. L’Europe reste notre seule issue. Le danger est le repli nationaliste, même si les Français ne sont plus français et redeviennent Bretons avec hymne et drapeau (voir la finale de la coupe de France). Le retour à l’Ancien régime n’est plus très loin.

  4. J’avais placé ce matin un commentaire à 11h20 et il n’est toujours pas publié, c’est normal ? Je présume que c’est un oubli sans doutes…

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