Cela n’a l’air de rien. Ce n’est pas une belle formule-choc. C’est un bafouillage décousu. Et pourtant c’est très clair.

Il était près de minuit, vendredi soir, et l’on peut comprendre que la fatigue de fin de semaine agisse comme un désinhibiteur.

On peut regretter que le propos n’ait pas la puissance de cette belle réplique : « cela [= l’élection de Trump] montre aussi qu’il faut s’interroger quelquefois sur le suffrage universel » (18:38)

 

Ni la perfection formelle du désormais célèbre : « savez-vous ce que je ferais, si j’étais président de la République? Je raserais le château de Versailles, afin que nous n’allions pas là-bas, en pèlerinage, cultiver la grandeur de la France. » Je m’étais prise à rêver d’un monde où ce propos serait considéré comme un « dérapage »… Façon de parler, bien sûr ; car le meilleur des mondes serait bien plutôt celui où la notion de dérapage n’aurait plus cours.

Mais le coup de Versailles était une blague, nous a rassurés M. Aphatie, comme s’il croyait sérieusement, quant à lui, que nous étions inquiets pour le sort du château (le Huffington Post l’a cru aussi), alors que nous sommes assez intelligents pour comprendre que ce journaliste a peu de chances de se retrouver un jour à la tête de L’État. Quoique. Dans un pays où les hommes politiques se mettent à parler comme Cyril Hanouna, tout est possible. Voir Emmanuel Macron en mode « je vous adore mes chéris »:

 

Voici donc la dernière en date (à 12:12):

Je retranscris ici l’extrait intéressant (pour rappel, il est question des soupçons portant sur la nature du travail effectué par des assistants parlementaires du FN) :

J.-M. Aphatie: Mais tout ça on pourrait le dire pendant des heures sur les plateaux de télévision, où vous voulez, il n’y aura pas un bulletin de vote qui bougera. Donc, on peut perdre du temps, enfin, je ne dis pas ça ici hein, mais, je veux dire, en un sens, c’est inutile !

François Gapihan : Non, c’est qu’aux yeux de l’électorat, ça ne fera pas changer, dites-vous, le vote.

 

Pour Aphatie, parler des affaires judiciaires du FN est « une perte de temps », parce que c’est « inutile ». Il accrédite ouvertement l’idée que son discours n’a pas de valeur purement informative ou explicative. S’il juge que ses propos ne peuvent pas « faire bouger un bulletin de vote », il estime qu’il perd son temps. C’est la conception militante du journalisme dans sa version la plus assumée.

Et non, Ingrid ne passe pas son temps à dire du mal de tous les journalistes : c’est très bien ce qu’il fait, François Gapihan ! Il aurait pu laisser passer. Il aurait pu faire comme si la remarque exaspérée de Jean-Michel Aphatie était parfaitement normale. Mais il a bien senti la gêne qu’elle peut susciter. Il reformule (cf. « dites-vous ») le propos d’Aphatie en termes de constat : cela [= traiter de l’affaire Le Pen] ne fera « pas changer le vote ».

La rectification bienvenue du journaliste qui anime le débat transforme donc en l’expression d’une conséquence supposée ce qui était, dans la bouche d’Aphatie, la reconnaissance d’un but, d’un objectif. En l’occurrence, d’un objectif manqué.

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