Et Sarkozy sauva la soldate Morano
Du nouveau à l’est ! Comme nous l’avions prévu il y a trois semaines, sauf retournement extraordinaire, Nadine Morano mènera la liste de l’UMP aux européennes pour la circonscription du grand Est. D’après L’Opinion, Nicolas Sarkozy aurait pris la décision en personne avant de l’annoncer à son ancienne ministre le 5 décembre dernier. Etonnant. Jusqu’à présent, la stratégie du chef de l’Etat était pourtant claire : apparaître comme un recours au-dessus des partis en général et de l’UMP en particulier. Sa médiation ratée1, entre Copé et Fillon ayant laissé des mauvais souvenirs, Sarkozy avait résolu de ne plus se mêler des bisbilles internes à l’UMP.
En désignant la tête de liste pour le Grand Est, l’ancien président a donc dérogé à la règle qu’il s’était fixée. Pour une raison simple : sans cet arbitrage, deux pions essentiels de son dispositif se seraient affrontés. Nadine Morano est la trésorière de l’association des Amis de Nicolas Sarkozy, fidèle entre les fidèles. Et Arnaud Danjean compte parmi les jeunes loups sur lesquels Sarkozy pense s’appuyer dans la bataille pour 2017. Comment expliquer que Danjean ait rendu les armes aussi facilement, alors qu’il avait annoncé virilement sa candidature au JDD et bénéficié du soutien de Joseph Daul et Michel Barnier ? Sarko himself l’a probablement incité très fortement à se contenter de la seconde place… On imagine Copé et Fillon, respectivement soutiens de Morano et de Danjean, ravis de laisser à Nicolas Sarkozy le soin d’arbitrer ce duel fratricide, au risque d’écorner sa stratégie présidentielle en descendant dans la mêlée.
Mais que les duettistes du fol hiver dernier ne se réjouissent pas trop vite. D’autres grandes manœuvres ont commencé pour ces élections européennes, mais sur le plan idéologique. Et là, Sarko, juré-craché, laissera les belligérants se débrouiller entre eux. En cause, la position de Michel Barnier, membre de l’équipe Barroso à Bruxelles, qui court deux lièvres à la fois. La direction de l’UMP comptait faire de Barnier l’adversaire d’Harlem Désir en Ile-de-France et le coordinateur de toute sa campagne nationale. L’ancien ministre des Affaires étrangères caresse aussi l’espoir d’être le candidat du PPE à la présidence de la Commission. C’est justement ce qu’ont contesté vigoureusement le sénateur Philippe Marini et le député Pierre Lellouche au bureau politique de l’UMP la semaine dernière. Membre de la Commission et même candidat à la succession de Barroso, Barnier serait à juste titre considéré comme l’homme du « Système », un sacré handicap pour mener les listes du premier parti d’opposition. D’autant que l’UMP compte lancer un slogan du genre : « Nous aimons l’Europe donc nous en voulons une autre ». Alain Lamassoure, qui n’est par ailleurs toujours pas assuré de mener la liste dans le Sud-Ouest, s’est insurgé contre ce signe d’euroscepticisme.« Arrêtez de taper sur la Commission » a-t-il exhorté, en bon fédéraliste.
Pourtant, Marini et Lellouche ne constituent pas à proprement parler des souverainistes de l’UMP comme Myard, Guaino ou Lucca. Ce sont plutôt des libéraux à la sauce anglo-saxonne, défavorables à l’intervention de la puissance publique, qu’elle soit nationale ou européenne. En cela, il n’est pas si étonnant que Jean-François Copé leur ait donné raison face à Lamassoure. L’argument électoral anti-système se marie à merveille avec ses penchants économiques libéraux.
On imagine très bien Copé recyclant sur le plan européen la fameuse phrase de Pompidou qu’il répète tous les trois jours : « Arrêtez d’emmerder les Français ! » Face à Harlem Désir, qui appellera sans doute à « voter pour une Europe de gauche contre une Europe de droite afin qu’elle puisse vraiment changer » (je vous la fais courte), il serait suicidaire d’opposer son clone idéologique Michel Barnier, au risque d’offrir un boulevard au FN. La commission d’investiture de l’UMP devrait donc choisir un autre champion francilien que Michel Barnier et lui souhaiter bonne chance dans sa course à la présidence de la Commission européenne.
Après tout, l’UMP a des problèmes de riches. Le PS s’apprête à défendre « une autre Europe », allié au SPD allemand, qui vient de former un gouvernement de coalition avec… la chancelière Merkel. On pense aussi au Front de Gauche qui croyait se refaire la cerise avec ce scrutin européen après les bisbilles municipales, mais dont on se demande aujourd’hui s’il existera encore en avril prochain. Le Parti de Gauche de Mélenchon ne vient-il pas de suspendre sa participation au PGE (Parti de la gauche européenne) au prétexte qu’il est présidé par… son allié Pierre Laurent, secrétaire national du PCF ? On pourrait aussi évoquer les sueurs froides de Florian Philippot lorsqu’il imagine les futurs bons mots de campagne de son alter ego du Sud-Est, un certain Jean-Marie Le Pen. Décidément, le rendez-vous électoral du 25 mai sera le moment de tous les dangers. Pour tous !
Bonne analyse. Voilà qui sent bon les débuts de la fin de l’européisme supranationaliste.