Des hauts fourneaux aux petits fours…
La scène se déroule dans le bureau du Général de Gaulle début juin 1968. L’Union pour la Défense de la République (UDR) vient d’être créée et c’est sous cette toute nouvelle étiquette que les gaullistes iront se présenter aux élections législatives provoquées par la dissolution de l’Assemblée nationale. Robert Poujade, le secrétaire général de l’UDR, a une idée folle. Il propose au Général d’investir Daniel Cohn-Bendit dans la circonscription parisienne qui comprend le quartier latin. « Bonne idée, Poujade ! Proposez-lui donc ! Il ne refusera pas une offre aussi tentante ! »
Cette scène est, vous l’avez deviné, complètement imaginaire. C’est pour cette raison que lors de mes deux derniers articles qui évoquaient la circonscription européenne du Grand Est, vous n’avez jamais trouvé le nom d’Edouard Martin. J’avais certes lu que le PS, comme mon Poujade imaginaire, faisait des avances à celui qui accusait François Hollande de trahison il y a encore quinze mois. Mais j’étais loin d’imaginer que le leader charismatique des ouvriers Mittal de Florange accepterait de porter la parole du parti d’un président qu’il vouait aux gémonies. En septembre 2012, il promettait à François Hollande : « Nous serons votre malheur ! », la larme à l’oeil. Mon imagination a des limites, voyez-vous. Quand la nouvelle a commencé à bruisser sur le net, j’ai pensé à cette blague de Coluche : « Un chômeur qui va voter, ça me fait penser à un crocodile qui entre dans une maroquinerie. » Là, le crocodile ouvre carrément une enseigne franchisée de maroquinerie !
On en plaisante. On ne devrait pas. Quelle image cela donne-t-il de la politique et du syndicalisme ? Le Grand Est n’a-t-il pas assez souffert pour voir les deux principaux partis français offrir comme têtes d’affiches une bateleuse recalée du suffrage universel et un syndicaliste défroqué ? Florian Philippot pouvait-il rêver plus belle concurrence, même dans ses rêves les plus fous ? Sans doute pas. Sans attendre, il a tweeté, impitoyable : « Un parfait candidat du PS face à moi dans le grand-Est aux européennes : l’incarnation de la trahison ».
On aurait dû s’en douter. Edouard Martin est membre de la CFDT, qui a été dirigée par Nicole Notat puis François Chérèque. Et toujours garder en tête cette vieille blague cégétiste : « Si le Pouvoir rétablissait l’esclavage, la CFDT se précipiterait pour négocier le poids des chaînes. »
@DD,
Il y a de la cohérence dans ce choix dès lors que l’on sait ce qu’a pu voter la CFDT au niveau national et européen, dès lors enfin que l’on sait que Chérèque est à la tête de Terra Nova.
Parlons chiffre un instant : la CFDT, c’est 28 à 29 % des 8% de votant aux élections nationales et interprofessionnelles.
Ajoutons à cela qu’il existe, entre la base et les directions des syndicats, comme entre la sphère médiatico-politique et le peuple, un abîme d’incompréhension qui ne cesse de grandir – on avance à grand pas vers le trou noir ou la déchirure spatio-temporelle.
L’accord national de sécurisation de l’emploi (ANI), mis en place avec la sainte bénédiction de ce gouvernement socialiste de la droite dure, financière et décomplexée, accord validé en juin 2013, est un bon exemple de ce qu’est devenu le PS et les grandes centrales – avec un bémol pour la CGT qui au quotidien me semble faire encore le boulot grâce au travail des militants présents sur le théâtre des opérations.
Alors que les stipulations de cet accord ne sont que précarisation pour les salariés, la grande machine de la mystification n’a pas manqué d’être mise en oeuvre afin de faire passer des vessies pour des lanternes.
C’est ainsi qu’un accord de précarisation (facilitation de la mobilité interne, PSE par accord collectif ou unilatéral avec validation express par l’administration, temps partiel flexibilisé malgré un taux de 24 heures minimales bien évidemment soumis à de très nombreuses dérogations auxquelles s’ajoutent de possibles minorations du taux des heures complémentaires… longue est la liste…) porte le nom inverse de la réalité qui est la sienne : pensons à Victor Klemperer, ce linguiste attentif.
De Terra Nova à l’européisme militant, en passant par le syndicalisme converti incessamment sous peu au capitalisme absolu, il n’y a qu’un pas, menant tout droit à un strapontin dans l’enceinte de ce monstre dérégulateur qu’est l’UE.
Il n’y a là que la plus parfaite cohérence idéologique, politique et « syndicale ». C’est à croire que le discours syndical n’existe plus que dans les médias et à la télévision, comme le discours de gauche s’y trouve manifestement piégé depuis trente ans : priorité au spectacle et à la société néo-libérale qui la sous-tend.
Ne doutons pas qu’élu, le camarade militant s’interrogera plus ou moins longtemps quand il faudra voter, avec tous les camarades socialistes, les prochaines directives détachement, et autres dispositions peut-être déjà dans les tuyaux, et destinées à contourner habilement le CDI. La chanson me vient déjà aux oreilles : « on peut pas faire autrement, c’est la mondialisation, le sens de l’histoire, le changement c’est maintenant…la gauche c’est le progrès, l’avenir le libéralisme absolu camarade »
Rappelez-moi qu’elle est la rémunération mensuelle d’un député européen ?
Comme aurait pu le dire Georges :
« La guerre économique, c’est la paix. »
« La liberté du travail, c’est l’esclavage. »
Je ne connaissais pas la blague CGT concernant le poids des chaînes de l’esclavage.
Pour autant, connaissant l’origine de la CFDT, cette blague qui donne plus envie de pleurer que de rire est plus que pertinente.
PS et CFDT, mêmes reniements, mêmes simagrées, mêmes abandons pour la gamelle que leur tend le plus « offrant ».
Rien de nouveau sous le soleil, hélas !
Sur le fond, Terence a globalement raison.
Une réserve toutefois : 8%, ce n’est pas le pourcentage de votants aux élections professionnelles, c’est le pourcentage d’ADHÉRENTS à l’ensemble des syndicats.
Je crois cependant que la participation aux élections professionnelles est de plus en plus faible.
J’avais noté cela pour les enseignants (catégorie dont j’ai fait partie) il y a quelques années. On était en dessous de 60% de participation il y a une dizaine d’années (moins maintenant ?) alors qu’autrefois, on dépassait largement les 80% (1).
Je ne connais pas le pourcentage d’abstentions dans les entreprises.
Mais, pour le secteur privé, je sais qu’elles augmentent lors des élections aux prud’hommes : en 1979, il y avait 37% d’abstentions, de scrutin en scrutin, elles ont augmenté pour arriver à 74% en 2008.
Les organisations syndicales (y compris en milieu enseignant où la syndicalisation était massive dans les années 70) sont de moins en moins liées aux travailleurs.
Depuis près de 30 ans, la CFDT est celle qui s’est le plus compromise. Mais, les autres sont en train de suivre comme le montre le récent communiqué commun de la CGT, la CFDT, la CFTC, l’UNSA et la FSU pour qui ‘ennemi est « le populisme ».
(1) Cette forte abstention est d’autant plus caractéristique qu’on a largement généralisé les bureaux de votes y compris dans les écoles primaires à 5 classes dans le but de réduire cette abstention.
Et à l’origine des renoncements et trahisons du PS et de la CFDT ?
Réponse : la fidélité à l’Europe supranationale.