Et si François Hollande voulait enterrer sa propre réforme?
Cela ressemblait à une immense blague. Au point que le maire socialiste d’une ville charentaise réputée pour ses huîtres se demandait sur Twitter si la carte des 14 grandes régions n’était pas un faux. Mais non, ce n’était pas une blague. Les auteurs du découpage de la future carte administrative avaient bien placé sa commune dans la même région que Dreux, Orléans et Brive-la-Gaillarde. Cet immense machin colorié en bleu clair[1. Que j’ai décidé de baptiser « Hollando-Absurdie » mais que d’autres, plus méchants encore, ont surnommé « Promotion Voltaire » puisqu’elle rassemble les régions de Michel Sapin, Ségolène Royal et François Hollande.] ne constitue pas la seule incongruité de la carte. Ainsi, la célèbre croix de Lorraine de Colombey-les-deux-Eglises aura désormais sa plage, où l’on pourra même chasser le canard, en baie de Somme. Saint-Flour, ravissante bourgade du Cantal, aura aussi la sienne, sur les bords du lac Léman. Le journal de France 2 s’est amusé à interroger des quidams dans la rue pour leur demander comment ils pourraient (sur)nommer les nouvelles entités. Cette expérience s’est révélée impitoyablement révélatrice. Impossible de trouver un nom sans sombrer dans le ridicule à l’exception de la Normandie. Si l’on ne peut point nommer quelque chose, c’est que cette chose n’existe pas, aurait dit ma grand-mère.
Certes, certaines régions issues du précédent découpage, comme le Centre ou les Pays de la Loire, étaient aussi des créations technocratiques de nos énarques de l’après-guerre. Certes, les députés qui créèrent les départements avaient découpé la France dans une logique de tabula rasa. Mais ces créations avaient au moins une logique que tout le monde comprenait. La journée de cheval pour faire l’aller-retour du chef-lieu en tout point du département, cela avait de la gueule. Et cela tient depuis plus de deux cents ans alors que nous voyageons désormais en automobile, en train et en avion. On peut se demander quelle est le but des nouvelles super-régions, sinon d’obéir aux logiques d’un congrès socialiste[2. Martine Aubry garde son Nord-Pas de Calais intact, Jean-Yves Le Drian sa Bretagne, Ayrault n’a pas été mangé par Ségolène Royal, laquelle ne voulait pas se faire bouffer par Alain Rousset.].
Régis de Castelnau a expliqué fort brillamment que cette réforme n’engendrera aucune économie, bien au contraire. De surcroît, la disparition des conseils généraux entraînera le transfert de la gestion (construction, entretien, fonctionnement) des collèges, des départements à ces nouvelles régions. Pour un département comme le Doubs, la charge d’une grosse quarantaine de collèges et la gestion de tous leurs personnels techniques n’est déjà pas facile. Imaginez combien de collèges la région qui s’étend du Limousin au Centre aura à gérer. Elle fera quoi, la future grosse région ? Et bien, je vous l’annonce : elle va (re)territorialiser sa gestion. Et elle se basera sur quoi pour le faire ? Sur les anciens départements, pardi ! Tout ça pour ça !
Donc, les économies, on élimine. D’ailleurs les présidents de région, même ceux qui souhaitaient fusionner amoureusement avec leur grande voisine, avant même la diffusion de la carte, comme Marie-Guite Dufay, qui préside le conseil régional de la Franche-Comté, en conviennent. Que nous dit Manuel Valls ? Qu’il nous faut des régions fortes, des régions compétitives, des régions « qui pèsent en Europe ». Et nous voilà devant l’une des plus grandes fadaises de notre époque ; la notion de « masse critique » pour une entité administrative. Or, comme me le glissait il y a peu le député européen UMP Arnaud Danjean, autant on peut parler de « masse critique » pour une entreprise qui aspire à conquérir marchés, autant pour une région, c’est ridicule. Je me souviens de Philippe Séguin qui écrivait en 1990 : « Parlez-moi des régions anglaises ! Cela n’empêche pas les Anglais d’être forts ! ». Je passerai sur les cantons suisses qui me paraissent bien plus dynamiques que les régions espagnoles, au premier rang desquelles la Catalogne chère à notre Premier Ministre, proche de la banqueroute. Mais bon, il paraît qu’il faut ressembler aux Allemands, alors on « eurolanderise » ![3. François Hollande n’a aucune imagination ! Il aurait tout aussi bien pu créer deux « villes Länder » comme Brême et Hambourg.].
Cette volonté de disposer de régions « compétitives », « à taille européenne » vient bien bien de quelque part.
Il m’est arrivé d’échanger avec des conseillers régionaux et à chaque fois, l’argument tombe : « c’est pour être plus fort pour aller négocier à Bruxelles ». La voilà, l’idée fourbe qui se cachait derrière l’écran de fumée. L’Etat construit des super-régions pour que celles-ci puissent mieux négocier par-dessus sa tête avec Bruxelles. La fameuse « Europe des régions et des tribus » que dénonçait, là encore, Philippe Séguin pendant la campagne de Maastricht.
Mais cela ne suffit pas à expliquer cette carte ridicule. Certaines propositions qui ont circulé, notamment celle du député UDI Jean-Christophe Fromentin ou même la carte de feue la commission Balladur, s’appuyaient sur des bases plus solides. Elles ne sentaient pas l’improvisation à cinquante kilomètres et si elles pouvaient susciter de l’opposition, elles ne déclenchaient pas l’hilarité. À moins d’imaginer que le président soit un âne bâté, on peut envisager une hypothèse : François Hollande n’a pas envie que la réforme soit votée. Il fait en sorte, avec la pire carte possible, qu’aucune majorité ne se dégage en faveur de cette réforme territoriale, qui nécessitera une modification constitutionnelle du fait de la disparition des conseils généraux. Alors que Manuel Valls a déjà exclu le recours au référendum, il sera plutôt périlleux d’avoir l’accord de l’Assemblée Nationale, du Sénat, puis d’un congrès avec une majorité des trois cinquièmes. Ainsi si le projet était alors rejeté, François Hollande pourrait prendre à témoin le peuple et dire : « J’ai essayé de réformer mais j’ai échoué face aux conservatismes ! ».
Mais n’est pas De Gaulle qui veut. D’ailleurs, De Gaulle a consulté le peuple et démissionné quand il fut désavoué. François Hollande, lui, incarnerait plutôt « la maladresse des habiles » chère à François Mauriac.