Sarko, Juppé, Fillon sont dans un bateau. Lequel sera jeté à l’eau ?
La primaire de droite est organisée. Tout semble réglé. Comme le souhaitaient Alain Juppé et François Fillon et comme le craignaient beaucoup de militants sarkozystes, le fonctionnement a été calqué sur l’organisation de la primaire socialiste de l’automne 2011, afin que le nombre de votants soit le plus important possible. Ainsi, la simple signature d’une charte qui ne casse pas trois pattes à un canard et le paiement d’une somme symbolique de deux euros (couvrant les frais de fonctionnement du scrutin) permettra à n’importe quel électeur de participer. De même, 10 000 bureaux de vote sont prévus (la gauche en avait ouvert 9500 à 10000 en 2011) mais il faudra bien examiner leur implantation sur le territoire.
Juppé et Fillon ont donc tout lieu d’être satisfaits. Nicolas Sarkozy a accepté les conditions de ses adversaires les plus solides. Comme il n’est pas un perdreau de l’année, il doit savoir ce qu’il fait, et penser que même avec les règles réclamées par ses adversaires, il leur mettra quand même une fessée. Alain Juppé n’a pas tort quand il dit : « avec 500 000 votants, Nicolas Sarkozy a ses chances, et avec trois millions, j’ai mes chances ». En effet, la participation du seul bloc de militants et d’anciens militants de l’UMP donnerait une majorité à Nicolas Sarkozy, sans doute dès le premier tour. On peut aussi parier que dans le contexte d’un premier tour de l’élection présidentielle (donc à très forte participation), l’ancien président devancerait de très loin le maire de Bordeaux. Qu’en est-il en revanche pour cet « entre-deux » que constitue une primaire ouverte aux « sympathisants », catégorie beaucoup plus impalpable et très difficilement sondable ? Sans doute Juppé n’a-t-il pas tort de penser qu’il s’agit là de la configuration la moins favorable à Nicolas Sarkozy. Les « sympathisants » risquent fort d’être davantage urbains que ruraux ou périurbains, plus CSP+ que de la « droite des garagistes » chère à William Abitbol, et coller avec la droite bourgeoise et très propre sur elle, davantage séduite par Alain Juppé que par l’ancien président. Nicolas Sarkozy pourrait être victime, à l’instar de Ségolène Royal en 2011, de l’abstention d’une droite profonde – notamment en milieu rural- qui l’apprécie davantage que les énarques Juppé et Fillon, mais qui ne se déplacerait pas en novembre 2016.
Malgré toutes ces données, Nicolas Sarkozy se croit supérieur à ses adversaires. Parie-t-il sur sa capacité à rallier Fillon contre Juppé au second tour (ou l’inverse même si cette configuration est moins probable) ? Il aurait tort, d’une part parce qu’il concentre détestation et méfiance de la part de ces deux-là et que la proximité de leurs programmes (néo-thatchérien sur le plan économique, et modéré sur le plan sociétal) les fait converger. Pense-t-il prendre Alain Juppé à son propre piège centriste en encourageant la candidature de Jean-Christophe Lagarde à la primaire, qui pourrait manger de la laine modérée sur le dos bordelais ? Pari risqué. Hormis en Seine-Saint-Denis, département à la fois le plus abstentionniste et le plus lagardiste de France, le président de l’UDI ne mobilise pas les foules. Suscitera-t-il la candidature de Bruno Le Maire, qui bien qu’ayant fait une campagne très droitière à la présidence de l’UMP, conserve l’image d’un homme modéré ? Pari beaucoup plus intéressant ! Le Maire pourrait rallier au second tour de la primaire celui qui lui aurait permis d’obtenir les parrainages, lui permettant d’être présent au premier, et rêver à Matignon. C’est peut-être cette équation que Nicolas Sarkozy a en tête. Il pourrait même faire coup double avec NKM et l’électorat modéré serait ainsi émietté, à la défaveur de Juppé.
Nicolas Sarkozy semble négliger également le renfort d’électeurs de gauche en faveur de Juppé. Déjà certains chroniqueurs se font ouvertement les porte-parole du candidat « républicain », pariant sur l’échec annoncé de François Hollande, et considérant le maire de Bordeaux comme un moindre mal, une sorte d’assurance-vie contre leurs phobies – car eux aussi en ont ! Si les bureaux de vote sont nombreux dans les grandes villes, certains électeurs de gauche très politisés pourraient être tentés d’aller participer à cette primaire. Mais est-on bien sûr qu’ils feraient tous le même calcul ? Si certains voient déjà le candidat socialiste perdant, d’autres peuvent aussi bien faire le pari que François Hollande aurait davantage d’espace électoral confronté à Nicolas Sarkozy qu’à Alain Juppé ! Et ceux-là iraient donc voter pour l’ancien président. Ils franchiraient le pas d’autant plus facilement que François Bayrou a fait comprendre qu’il serait candidat en cas de candidature de Sarkozy et soutiendrait la candidature éventuelle de Juppé ! Au total, les voix des gens de gauche participant à cette primaire pourraient très bien s’équilibrer entre optimistes et pessimistes : rien de décisif pour troubler la véritable compétition à droite.
Mais toutes ces conjectures ne vaudraient plus grand chose en cas d’impossibilité « bygmalionne » pour Nicolas Sarkozy d’être candidat. Si c’était le cas, Alain Juppé n’aurait pas pour autant bataille gagnée, tant sa candidature n’est finalement qu’une dynamique anti-Sarko. Il ne faudrait pas non plus exclure l’émergence d’un Bertrand, fort d’une victoire aux régionales dans le Nord (ou d’un Le Maire) qui pourrait coiffer (sic) Juppé sur le poteau. On reconnaît en tout cas à Thierry Solère, député de Boulogne-Billancourt et artisan de ce compromis d’organisation, un certain talent pour avoir mis tout les candidats d’accord entre eux. Chapeau ! La primaire à droite aura bien lieu. Pour le meilleur ou pour le pire.