Je ne résiste pas au plaisir de publier l’excellente tribune de Claude Rochet, intellectuel de haut vol, d’autant que je crois savoir qu’il lui arrive de passer ici. Je lui conseille d’ailleurs d’en envoyer une copie à Monsieur Jean-Michel Apathie, obsédé de la dette publique, qui devrait étudier avec précision l’économie avant d’ânonner avec passion la vulgate comptable à la mode.

Le bébé français et la dette publique

Selon le discours officiel, le bébé français trouve une dette de 20 000 euros dans son berceau, représentant la dette de l’Etat, des la sécurité sociale et des collectivités locales, divisée par 63 millions de Français.

Bel effet oratoire mais qui ne veut rien dire car l’Etat ne meurt jamais : il n’y aura donc jamais de liquidation de la succession.

Rappelons quelques chiffres : le budget de l’Etat représente moins de 16% du PIB et est resté au même niveau depuis 1978, année où la France s’est durablement installée dans la pratique des budgets en déséquilibre. Chiffre tout à fait raisonnable, si l’on se souvient que la part du budget de l’Etat en Grande-Bretagne aux XVII° et XIX° siècles, contrairement aux comptes de fées de nos doctrinaires libéraux était de 20% du PIB et que c’est l’existence d’une dette publique assise sur un système fiscal intelligent et rigoureux qui a assuré l’essor de la Grande-Bretagne puis des États-Unis !

Le déficit est là, il est vrai qui s’accumule au fil des années. La France est-elle en faillite pour autant ? Non.

D’abord, contrairement à ce que l’on nous rabâche, la France n’est pas du tout le « mauvais élève de l’Europe » en la matière : les dettes de l’Allemagne, de la Belgique, de l’Italie (106 % du PIB !) sont bien plus élevées, sans parler de la dette du Japon qui avec 160% du PIB d’endettement trouve toujours, et sans problèmes, des prêteurs considérant qu’il s’agit là d’un placement de père de famille.

Ensuite, l’Etat possède des actifs financiers, 742 milliards d’euros en 2006. De l’or, des dépôts ou encore des parts dans des entreprises publiques cotées. Car l’Etat français est un actionnaire, et un gros. Selon l’Agence des participations d’Etat, leur valorisation dépassait 162 milliards d’euros avant le krach. Dont 100 milliards rien que pour EDF. Selon les calculs de l’OFCE, l’endettement financier de l’Etat ne serait que de 38,2% du PIB en 2006, soit un niveau proche de 1995, alors que la dette au sens de Maastricht, elle, a augmenté.

Enfin, l’Etat possède de nombreux actifs financiers et de nombreux actifs physiques ou immobiliers. Des terrains, des bâtiments, des infrastructures, dont la valeur est tenue à jour par l’Insee et qui est estimée à 37,8% du PIB. Au total, le bilan est positif.

Contrairement à ce que dit la propagande, le bébé français ne trouve pas une dette mais une créance de 11 000 euros dans son berceau !

Au-delà de l’Etat, le bilan global de la France est positif si l’on intègre l’épargne des ménages, particulièrement abondante et qui peut financer et l’endettement public et celui des entreprises, alors qu’elle a complètement disparu et est même négative aux Etats-Unis.

Faut-il réduire la dette de l’Etat ? Seuls deux Etats se sont fixés un objectif de réduire leur endettement à zéro au XX° siècle : le dictateur Trujillo en République dominicaine et Ceausescu en Roumanie. Il n’y a pas de croissance sans endettement, le tout est de savoir à quoi on emploie l’argent.

Car la situation est loin d’être satisfaisante !
Les mesures d’économies, si elles sont souhaitables lorsqu’elles sont pertinentes, soit lorsqu’elles représentent des économies de gestion liées à l’usage des technologies de l’information et à la suppression de services inutiles, ne résoudront jamais le problème de l’endettement. La Commission des finances de l’Assemblée Nationale calcule que, malgré les mesures prises aujourd’hui, l’endettement aura atteint plus de 140 % en 2040. Évidemment, lorsqu’on s’endette pour payer des dépenses courantes, on n’investit pas et on s’appauvrit !
On peut s’amuser à faire de fausses « économies » en réduisant les services publics, mais on ne peut pas pour autant réduire la réalité : Le citoyen des États-Unis consacre 65% de son revenu à l’achat de services publics (éducation, santé, transports…) tandis que le citoyen suédois n’y consacre que 11%, le reste, un des revenus par habitants les plus élevés du monde avec un taux de prélèvements public supérieur à celui de la France, est consacré à l’activité productive et à la consommation et donc à la génération de revenus ! Et il faut y ajouter la disparition de la réduction des inégalités par le système fiscalo-social qui, en France, les réduit d’un tiers entre les 30% les plus pauvres et les 10% des plus riches.
On peut taper sur les fonctionnaires : le poids de la masse salariale est restée stable depuis 1978 (+0,6% du PIB), mais sans doute estime-t-on qu’il y a trop d’enseignants, trop de policiers, trop de greffiers… tout ce qui est public est toujours de trop !

La politique des « économies » a fait ses preuves dans bon nombre de pays : ce que l’on gagne à court terme d’une main on le perd à long terme de l’autre en impact des services et des politiques publiques sur la croissance.

Car c’est bien de cela dont il s’agit. L’endettement de la France en 1946 était de plus de 145% de son PIB : il a été complètement effacé par la croissance et une inflation de bon aloi qui représentait l’accroissement de la richesse du pays – et a permis à toute une génération de devenir propriétaire à des taux d’intérêt réels proches de zéro !

Le bébé français se fiche de savoir s’il trouve une dette dans son berceau, qui d’une part elle n’existe pas (aujourd’hui) et que de toutes façons il n’aura pas à payer. Mais il lui importe de savoir si le pays investit dans l’avenir, si une politique industrielle oriente l’investissement vers les actifs stratégiques de demain. Sans une politique active de la famille – qui est la cible du rapport Attali qui ne fait que traduire les objectifs de la Commission de Bruxelles – ce bébé ne serait sans doute pas né, car c’est grâce aux prestations familiales et à l’école maternelle que la France maintient une natalité au niveau du seuil de remplacement des générations, seule garantie de la pérennité du système de retraite par répartition.

Les politiques de renoncement et de désindustrialisation promues par la Commission de Bruxelles, la vision du rapport Attali d’une France de chauffeurs de taxis et de garçons coiffeurs (métiers par ailleurs forts utiles et très honorables) qui se contenterait d’accueillir les touristes chinois, sont une source de préoccupation autrement plus sérieuse pour notre bébé français.

Car la situation va s’aggraver si l’on poursuit les politiques actuelles. Une disposition inconnue des Français en est à l’origine : l’article 104 du Traité de Maastricht qui interdit aux Etats d’emprunter à leur banque centrale. Quand l’Etat investissait, il empruntait à la Banque de France sans intérêt. On disait qu’il faisait « tourner la planche à billet ». Cela créait un peu d’inflation, mais qui était compensée par de la création de richesse qui remboursait la Banque. Avec Maastricht, il doit emprunter aux banques privées. Cela a été jusqu’ici indolore avec la baisse de taux d’intérêt. Avec l’envolée des taux, la facture va être salée, avec autant de capacités d’investissement en moins.

Il est temps que le bébé français fasse entendre de la voix – et ses parents avec – contre un système qui mène la France vers son appauvrissement.

Claude ROCHET

1 commentaire

  1. Mon ménage était endetté à hauteur de 67 % à une époque de ma vie et j’ai dû travailler plus pour résoudre cette problématique fort compliqué avec un chômage subsistant.
    Certes cela m’a conduit à modifier mon train de vie, augmenter mon activité mais l’érosion monétaire (le temps), l’augmentation des salaires ont eu raison de mon fléau. C’était dans les années 90… Il n’y a pas de gros handicaps à laisser le temps agir qui érode les dettes, oubli les crédits, et résoud les problèmes de conjoncture qui sont de tous temps.
    Que vive le crédit des hommes, des nations, de l’économie pourvu qu’il y ait une résolution honnête des pratiques des banquiers et de l’Etat !

Laisser un commentaire

Please enter your comment!
Please enter your name here