Jean-Luc Mélenchon a publiquement lâché Djordje Kuzmanovic après ses propos sur l’immigration dans L’Obs. Son spécialiste en géopolitique semblait pourtant y défendre la ligne officielle du leader insoumis. Mais pas celle d’une partie de son mouvement. La « vraie » gauche est décidément bien plurielle…


Jean-Luc Mélenchon ne nous avait pas donné l’habitude de lâcher l’un des siens en public. En novembre dernier, il avait mis un point d’honneur à soutenir Danièle Obono. La députée de Paris était au centre d’une polémique après avoir eu des mots maladroits à propos de chauffeurs de la RATP refusant de prendre le volant sur des sièges ayant été occupés par des femmes, et avoir pris la défense de Houria Bouteldja. Pas question de lâcher Obono, donc, même s’il était en désaccord total. On ne livre pas l’une des siennes à la vindicte populaire, surtout lorsqu’elle est attaquée par les adversaire de La France insoumise (LFI). Pourtant, Jean-Luc Mélenchon se fit fort d’allumer des contrefeux. N’était-ce pas dans cet esprit que Djordje Kuzmanovic accorda un entretien à Causeur quelques semaines plus tard, qui fit sans doute s’étrangler de rage tous les amis de Danièle Obono et Clémentine Autain ? L’orateur national de LFI, spécialiste des questions géopolitiques y expliquait déjà ce qu’il pensait de l’immigration économique.

Il « ne sert à rien d’utiliser des expressions qui énervent nos amis »

Jean-Luc Mélenchon vient de désavouer ce dernier, cette semaine, après un entretien du même acabit dans l’Obs. Et il l’a fait publiquement, humiliant Djordje Kuzmanovic, le jetant en pâture à tous ses adversaires qui n’y croyaient plus. Pourtant, l’hebdomadaire avait aussi donné la parole à Clémentine Autain. Chacun pouvait ainsi donner sa propre vision des phénomènes migratoires, alors que la position de Sahra Wagenknecht, qui préside aux destinées de Die Linke, partenaire allemand de LFI, fait débat dans toute la gauche européenne. L’autre jour, sur BFM TV, Jean-Luc Mélenchon avait lui-même mis ses pas dans ceux de sa collègue d’Outre-Rhin sur les questions d’immigration, ce qui rend d’autant plus incompréhensible le désaveu de Djordje Kuzmanovic.

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Quelle mouche a donc piqué l’ex-candidat à la présidentielle ? L’Obs avait, il est vrai, fait une erreur en présentant Kuzmanovic comme son « conseiller ». Cela suffit-il à motiver le courroux de Mélenchon ? Primo, l’interviewé n’est pas responsable des erreurs de l’hebdomadaire. Et secundo, il n’y avait quand même pas de quoi motiver une telle prise de distance. Le Monde a consacré un long papier à cette affaire et on peut y lire les explications gênées d’un membre du premier cercle mélenchoniste, Alexis Corbière. Le député de Montreuil indique qu’en mettant ainsi l’accent sur l’immigration, Djordje Kuzmanovic favorise l’agenda d’Emmanuel Macron plutôt que celui de La France insoumise. Cela se discute. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas faire le même reproche à Clémentine Autain, qui répond aux questions de l’Obs sur le même sujet ? Corbière ajoute qu’il « ne sert à rien d’utiliser des expressions qui énervent nos amis ». Quand on connaît la propension et parfois le plaisir de Jean-Luc Mélenchon lui-même à céder à ce péché mignon, cette expression prête à sourire voire provoque une franche rigolade.

Sur un plateau

Mais c’est Jean-Luc Mélenchon qui est venu lui-même (à moins qu’il ne s’agisse de son préposé à la tenue de son compte Facebook) donner sa vérité sur le réseau social, répondant à un spécialiste de l’opinion qui voyait dans ce désaveu une erreur stratégique : « Vous ne comprenez rien au moment. Et vos injonctions viennent de trop loin de pour être reçues », fustigeait-il peu aimablement, confirmant la thèse avancée par Corbière, selon laquelle Djordje Kuzmanovic avait péché par manque d’appréciation du tempo politique.

A vrai dire, on ne comprend pas davantage. Non pas ce qu’il dit à propos du fameux « moment », mais l’attitude de Jean-Luc Mélenchon dans cette histoire. Il semblait pourtant avoir compris que la majorité de son électorat à la présidentielle penchait davantage vers les thèses de Kuzmanovic que vers celles d’Autain. Les marges de progression de LFI se situent clairement dans des secteurs de l’opinion qui réclament davantage de contrôle de l’immigration. Dès lors, on peut largement retourner à Mélenchon l’argument d’opportunité.

Il ne reste donc qu’une seule explication à ce désaveu public. C’est par facilité que Mélenchon a donné la tête de l’un des siens à ses adversaires de Génération.s et du PCF, qui la lui réclamaient depuis des mois. Il l’a fait sur un plateau. Et d’autant plus piteusement que c’est la première fois qu’il s’y prête.