Que ce soit clair pour tout le monde : j’apprécie beaucoup Philippe Bilger, pas seulement parce qu’il est comme moi blogueur associé de Marianne2, et je ne suis pas devenu sarkozyste la nuit dernière. Pourtant, je suis en total désaccord avec le magistrat-blogueur au sujet de la lettre de Guy Môquet, dans un texte publié hier.

Certes le choix de Guy Môquet a pu faire discuter. Comme Bilger, je ne m’attarderai pas sur ce point qui, finalement, se trouve être secondaire. Ce qui importe ici, c’est la question de la loyauté des fonctionnaires de la République et la vivacité de la seule communauté qui vaille, la communauté nationale.

Qu’on s’entende bien. Je suis tout à fait favorable à la liberté pédagogique. J’aurais d’ailleurs souhaité qu’on n’obligeât pas pendant des années Rachel Boutonnet à cacher ses livres de lecture à méthode syllabique aux inspecteurs qui la visitaient. Je serais comblé si on ne fustigeait pas les profs qui refusent de se mettre à la « séquence » pédagogique. J’aurais apprécié aussi qu’on ne leur retirât pas leurs estrades. Mais un fonctionnaire de la République, et le professeur en est encore un jusqu’à preuve du contraire, applique les lois et règlements de la République et il doit les appliquer loyalement. Moi-même fonctionnaire, j’ai dû appliquer bien des normes successives et contradictoires sans rechigner. J’ai même appliqué les instructions sur la prévention de H1N1 alors que je les moquais gentiment ici. J’ajoute que lorsque les chefs d’établissements scolaires furent priés au moment de la présidence européenne de la France de pavoiser le drapeau européen, lequel n’a pourtant aucune valeur juridique, je n’ai pas entendu beaucoup de syndicats enseignants protester. Il s’agissait pourtant d’une décision très politique. A l’automne 2008, lors de cette opération où il s’agissait de vanter la construction européenne, il ne s’est pas trouvé beaucoup de monde pour refuser et mettre en avant sa liberté pédagogique. Et certains documents financés par la Commission ou le ministère des affaires européennes revêtaient un caractère bien plus idéologique que la lettre du jeune Guy Môcuet.

Ce que certains, dont Philippe Bilger si je comprends bien, refusent dans cette lecture chaque 22 octobre, c’est son caractère universel. Que l’on fasse tous la même chose en même temps dans tous les lycées de France, c’est surtout cela qui devrait être combattu. On croirait entendre BHL fustiger le jacobinisme comme la source du mal français. Et bien moi, justement, c’est cela qui me plaît. Qu’à Paris, Agen, Créteil, Bourg en Bresse, Roubaix ou Fort de France, on se remémore ensemble une page de notre Histoire. Qu’on se livre tous ensemble, que l’on soit riche, pauvre, fils de médecin, d’ouvrier, de chômeur, beurette ou blondinette, à un moment de communion nationale. Qu’on ait, au moins une fois par an, dans tous les lycées de France, le sentiment d’appartenir à la même Nation.

Alors certes, tout cela n’est pas très raccord avec les volontés présidentielles de promouvoir la discrimination positive et avec les attaques contre la Laïcité, lesquelles font le lit d’un communautarisme à l’anglo-saxonne. C’est une raison de plus pour ne pas refuser cette commémoration. Pour une fois que, sur ce sujet, Sarkozy écoute plutôt Guaino et Gallo, je ne vois pas pourquoi je bouderais mon plaisir. Et si ces cérémonies citoyennes pouvaient faire germer dans certains jeunes esprits l’idée que le Président gagnerait en cohérence de ne pas passer par dessus bord la souveraineté nationale, je ne m’en plaindrais pas non plus. Que voulez-vous, on ne se refait pas.

18 commentaires

  1. Cher David,
    Pour une fois, je ne suis pas d’accord avec vous. Les fonctionnaires doivent obéir , certes, mais à des ordres qui ne soient pas absurdes.
    Guy Mocquet, dont la démarche fut on ne peut plus ambigue – il est manifestement mort pour le PC et non pur la France – , est, avouez-le, le personnage le plus mal choisi qui soit. Il y en avait beaucoup d’autres possibles.
    Je pense aussi qu’il faut savoir respecter ses adversaires et donc ne pas chercher à les récupérer. L’acteul président, agent du capitalisme internaitonal le plus débridé, se situe aux antipodes de ce qu’était Guy Mocquet . Il doit se retourner dans sa tombe au vu de cette opération scabreuse. Quelque part, je me sens plus proche de lui que de ceux qui ordonnent avec tant d’arrière-pensées, sa commémoration.
    Amitiés.
    Roland Hureaux

  2. J’ai lu dans un premier temps l’article de Philippe Bilger et j’ai vraiment du mal à comprendre sa conclusion.
    Bien sûr, ce genre de directive du ministère aux enseignants sur des points historiques peut présenter un risque « d’instrumentalisation » s’il s’agit de traiter des points très délicats (comme la colonisation par exemple). Mais dans ce cas, il semble que tout le monde soit d’accord sur la pertinence de la lecture de cette lettre (je n’ai pas dit « sur l’obligation de la lecture ») à nos jeunes générations. Ça ne leur ferait vraiment pas de mal de réentendre une fois par an (au moins) que la France n’a pas toujours été ce qu’elle est et que d’autres génération en ont bavé plus que les nôtres. L’histoire n’est-elle pas un des principaux moyens de « former » de bons citoyens ?
    Il aurait été idéal que l’idée de cette lecture soit proposée de façon facultative, et que l’ensemble des enseignants l’acceptent. C’est sans compter sans un esprit de défiance « aveugle » chez certains – beaucoup ? – d’entre eux, j’imagine, qui leur ferait rejeter systématiquement la moindre instruction estampillée rue de Grenelle, aussi pertinente soit-elle (ce qui n’arrive pas toutes les semaines, certes).

  3. Sur la principe d’une petite cérémonie collective, pourquoi pas.
    Par contre avoir choisi la lettre de Guy Mocquet ! Non. C’est une victime pas un combattant ! Il est un peu notre anne Franck à nous.
    Ah oui, parfait pour pleurnicher, se lamenter, dire que les méchants sont méchants …..

  4. « Comme Bilger, je ne m’attarderai pas sur ce point qui, finalement, se trouve être secondaire ». Je ne suis pas d’accord ! C’est essentiel. Sans aucune portée historique, la lettre du faux résistant Guy Môquet a été choisie par Nicolas Sarkozy uniquement parce qu’elle le fait chialer. Là réside le problème : vouloir transformer une émotion personnelle en une émotion collective.
    http://www.ipolitique.fr/archive/2009/10/22/lettre-guy-mocquet.html

  5. @Roland, Robespierre et Laurent

    Effectivement, le choix de Môcquet peut se discuter, pour toutes les raisons que vous avancez. Je ne le nie pas dans mon papier. Mais je souhaitais répondre aux arguments de Philippe Bilger.

    A vrai dire, je ne sais pas si cette lettre fait vraiment pleurer Nicolas Sarkozy. Je crois davantage que, perçu comme un homme de droite « décomplexée », il a souhaité dans une volonté d’union nationale, choisir un jeune se trouvant à l’autre bout de l’échiquier politique. Ce n’était pas complètement idiot.

  6. Je suis complètement d’accord avec Laurent : c’est toujours la même tendance d’amener de l’émotion. Il y a 30 ans celui qui pleurait en public ou lors d’une cérémonie était considéré comme une fiotte, aujourd’hui c’est quelqu’un de sensible et d’une intelligence émotionnelle extraordinaire, pour faire dans le genre d’expressions qui ne signifient rien. Faut pleurer quand quelqu’un de célèbre disparaît, quand on entend un hydrocéphale massacrer du Jacques Brel en direct à 21 h, ou quand un obscur athlète qui ne sera brillant que jusqu’à la prochaine pause publicitaire, remporte enfin le titre tant convoité de champion olympique de lancer de stylo dans la catégorie des 56-59,78 kgs de moins de 30 ans.

    Rappeler aux jeunes générations que d’autres en ont bavé ? Il existe certainement d’autres moyens plus adaptés, et surtout, moins généralisateurs que cette lettre, qui, aussi forte soit-elle, en revient un peu au bon vieux « t’as pas connu la guerre » qu’on ressort(ait) à l’enfant qui ne finit pas son bout de baguette industrielle.
    Moi personnellement, quand je vais chez le dentiste, je pense à Auschwitz (non mon dentiste n’est pas juif, quoique… Stockauber, quand même…), ça aide à relativiser. Ok.
    Mais lire la lettre de Guy Môcquet à un jeune guadeloupéen dont le principal souci sera de trouver tout simplement de quoi faire vivre sa future famille, voire l’actuelle, ou à un lascar de Bondy, du Neuhof, des 408 (soyons fiers de notre région) ou de Vénissieux qui subit la violence (verbale, physique, mentale, comme victime ou acteur passif ou actif) quotidienne de son environnement, et souvent sa misère, je suis pas sûr que ça aide beaucoup à les faire relativiser.

    Parce que d’une part, qu’on le veuille ou non, c’est vieux. Et qu’ensuite, c’est sûrement ressenti comme un hymne à la Nation, à l’unité patriotique face au péril barbare nazi tout ce qu’on veut, et comme une ode à l’esprit de sacrifice, qu’on demande sans cesse aux masses sans se l’appliquer à soi.
    Et qu’on a un président qui donne des leçons d’histoire et de morale sur le sens du devoir de résistance face à l’envahisseur, mais qui envoie joyeusement les grands frères se faire sauter la gueule en Afghanistant ou ailleurs, et qui en fait des héros au même titre que les « terroristes » partisans français des années 40.
    Je passe sur la facilité qu’il y a à vouloir moraliser des gens dont on n’a jamais connu la plus légère des problématiques : illettrisme, chômage, violence, criminalité, pauvreté financière et environnementale, exclusion, échec scolaire / social / professionnel etc. (Et je vous parle même pas des râteaux en boite).

    Si on devait choisir des textes pour éduquer les jeunes trublions réels ou en devenir (n’oublions pas que selon ce même président, il faut les débusquer dès la pouponnière), on ferait mieux de leur faire écouter « le déserteur » version originale Boris Vian, « Mourir pour des idées » ou d’autres textes qui font appel à quelque chose de plus subtil et de plus difficile à assumer et à mettre en place : l’intelligence du refus de la violence, qu’elle soit « justifiée » ou pas, quelle que soit sa forme, et la liberté de le dire et de le faire.

    Si je suis hors-sujet, je m’en fous, j’ai des moyens de pression sur l’auteur.

  7. Moi aussi je ne suis pas d’accord avec cette lecture !
    Je trouve cette idée de lire cette lettre totalement « plaquée ». Il y a assez de journées officielles de commémoration mémorielle (au point que certains veulent les diminuer) dans le calendrier pour en rajouter une qui soit uniquement scolaire.
    Et j’ai peur que cette lettre (avec son style désuet) fasse plus ricaner que pleurer surtout si le contexte est simplifié, mal expliqué ou mal compris.
    Emmener les élèves à Verdun ou au mémorial de Caen, voire à Auschwitz, est plus efficace. Et, plus simplement (et pour moins cher), les faire assister à une cérémonie du 11 novembre ou du 8 mai, dans leur propre ville, leur permettra de comprendre avec toute la solennité nécessaire l’absurdité de la guerre et les morts qu’elle entraîne.

  8. de toute façons,avec sarko,,,
    je ne suis plus d »accord sur rien avec lui

    vous pouvez tout lire,tout faire,tout montrer,
    cela ne sert a rien

    des plus jamais cela,halte,,,a l »horreur,

    et vlan,cela continue,,,,,la bosnie

    la guerre est la guerre,et les c;;;;;seront toujours des c;;;;;;

  9. Ce que certains, dont Philippe Bilger si je comprends bien, refusent dans cette lecture chaque 22 octobre, c’est son caractère universel. Que l’on fasse tous la même chose en même temps dans tous les lycées de France, c’est surtout cela qui devrait être combattu. On croirait entendre BHL fustiger le jacobinisme comme la source du mal français.

    =>

    Ça me rappelle le passage d’/Aliocha/ lorsque Henri Troyat évoque sa sensation de communier à la messe au même moment que toute la France.

  10. Mais que voilà un article vichyste en diable !
    Qu’un texte d’une niaiserie insondable, et ne véhiculant aucune valeur même républicaine, puisse servir de prétexte à une grand’messe nationale servant à tester l’obéissance des fonctionnaires, quelle belle image de la république parlementaire !
    Tous groupés autour de Sarkoléon par la magie obligatoire de quelques phrases consensuelles : un hommage du vide au néant.

  11. Il me semble qu’existent des programmes officiels, que les enseignants sont tenus de respecter, et cela est tout à fait normal.
    Mais, dans le cadre général de ces programmes, il doit être à même de choisir en toute liberté le moment de l’année le plus opportun pour l’étude d’un élément donné de ceux-ci, et les documents sur lesquels s’appuyer pour ce faire. Cela relève de la pédagogie.
    Est-il souhaitable que le pouvoir politique fixe la date et le document à utiliser pour étudier tel moment de l’histoire ? Il ne s’agit plus alors d’enseignement, mais de commémoration.
    Cela a-t-il sa place à l’école ?

  12. La lettre de ce pauvre enfant, oui, un enfant de 17 ans, même militant communiste, même pris par l’occupant à commettre des choses interdites dans le contexte de l’époque, ne doit pas être cyniquement exploitée.
    Mais c’est bien dans le droit fil du comportement de sarkozy de faire tout et n’importe quoi.
    Parce que c’est n’importe quoi cette obligation de lire à des gamins, à qui par ailleurs on n’enseigne plus que des bribes d’histoire, la lettre de cet enfant.
    Croyez-vous vraiment que ça va les éveiller à une quelconque prise de conscience de ce qu’est une nation ? Que par ailleurs on ne cesse de détruire avec ce « machin » d’europe.
    Je dis non, mille fois non, c’est simplement « faire pleurer-très mal-dans les chaumières ».
    Cela ne vaut assurément pas la tempête dans un verre d’eau que cela provoque.

  13. À la lecture de votre réaction, il m’apparaît que vous commettez une confusion dès le départ. En effet, ce que Bilger conteste, ce n’est pas le fait de commémorer la lettre de Guy Môcquet, mais la réaction autoritaire d’un conseiller spécial du Président de la République qui confond enseignant et militaire dans les rangs de la Fonction publique de l’État. Un enseignant public n’est pas un fonctionnaire comme les autres. C’est un fonctionnaire intellectuel chargé de créer pour chaque heure d’enseignement une situation favorable aux apprentissages de ses élèves. Il y a dans cette entreprise à la fois de la technicité et de la création personnelle. Si les références de l’enseignement public doivent être nationales, les enseignants ne sont fort heureusement pas que de simples répétiteurs. Ils sont aussi chargés, comme le voulait déjà Jules Ferry, d’œuvrer par leur enseignement à l’éducation citoyenne des futurs citoyens de la République, avec tout ce que cette éducation implique de respect des valeurs républicaines, dont la liberté de pensée n’est pas la moindre. Enfin, l’histoire enseignée est aussi une science des faits historiques dont la méthodologie, l’épistémologie, est aussi à enseigner pour former l’esprit. C’est aussi cela, les humanités. Dès lors, le fait Guy Môcquet peut et doit être abordé dans cette perspective, qui s’affranchit de la seule perspective émotionnelle, tout aussi légitime et humaine soit-elle. Au final, Bilger se demande qu’elle est la valeur démocratique d’un ordre émanant d’un conseiller spécial près d’un Président de la République qui s’engage trop souvent dans une sorte de bonapartisme moderne.

  14. Bon.Tous ceux qui attaquent Sarkozy pratiquent ce qu’ils dénoncent,à savoir: instrumentalisation et chantage à l’émotion,simplification réductrice.
    Dans le cas d’espèce cela n’intéresse,est complètement hors-sujet,de savoir si vous avew voté pour lui ou non(moi non plus).Vous lui faîtes un procès d’intention avec des arrières-plans psycho-screugneugneu plutôt facile car le personnage y met du sien.Mais si cette lettre continue à être lue dans le futur,ne se rappellera plus de qui fut à l’origine de cette lecture.Point pour Sarkozy.
    D.Desgouilles,tout en reconnaissant que le choix de Mocquet puisse être discuté,salue ce bref moment d’union nationale autour de la lecture de la lettre,voilà le sujet de son article.Je trouve cela aussi bénéfique et il me semble que les « jeunes » (j’en suis même persuadé) sont en demande de telles « cérémonies sociales ».A défaut ils vont les chercher ailleurs,dans des concerts,des marques d’habits,etc..(l’un n’empêche pas l’autre d’ailleurs)
    Néanmoins la remarque de Gaulois sur le caractère « vieux » de la lettre et des évènements auxquels elle se réfère tombe juste,et nous revenons au premier point,hors-sujet: la pertinence de ce choix.

    P.S : DD,votre Carnet ne s’affiche plus qu’en bas de page chez Causeur,c’est regrettable et dommageable pour sa visibilité.

  15. Puisque personne ne se décide à vous le dire… Si en 1945, en phase de récupération, cet inconnu était fréquemment appelé « Mocquet », aujourd’hui, ce n’est ni « Mocquet », ni « Môcquet », mais « Môquet » !

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