Les écologistes rhône-alpins ont choisi leur candidat. Elu à l’albanaise pour mener la liste d’Europe-Ecologie aux prochaines élections régionales, le Lyonnais Philippe Meirieu apparaît comme un jeune en politique. Pourtant, ce n’est pas lui faire injure ni offense que d’indiquer qu’il passera difficilement pour un perdreau de l’année, permettant d’amener de la fraîcheur dans le débat politique. Cette fraîcheur semble l’atout publicitaire principal d’Europe-Ecologie.
Certains commentateurs ont attribué au nouvel ensemble écologiste cette nouveauté, cet air frais revigorant. Laissez moi rire. Frais et nouveaux Cohn-Bendit et Bové ? Tranchant avec l’air du temps ? Cela fait bien longtemps que le soixanthuitardisme est aux commandes intellectuelles du Tout-Paris. Quarante ans qu’on voit l’un sur nos écrans quand on avait découvert le second il y a plus de trente ans sur le plateau du Larzac. La seule véritable nouveauté fut que les écolos réussirent pour une fois à se rassembler et à taire toutes leurs querelles. Ils profitèrent de l’abstention des classes populaires, lesquelles leur sont peu favorables. On peut également leur concéder une intelligence stratégique qui les conduisirent à ne pas, à l’instar du PS et du MoDem, tomber dans le seul anti-sarkozysme. Ces trois paramètres aboutirent au très bon score de juin dernier. C’est davantage la vieille politique à l’ancienne qui a mené Europe-Ecologie à 16 % et non les pas de danse exécutés chaque fin de réunion publique par ses chefs de file.
Mais revenons à Meirieu. Qui peut nous faire croire qu’il s’agit d’un homme nouveau en politique ? Depuis des années, il inspire ceux qui font la politique éducative française. Inspirateur des IUFM, zélateur de l’élève au centre, il est le pape du pédagogisme depuis plus de vingt ans, participant d’ailleurs de très près à la rédaction de la loi d’orientation de 1989. Il a été non seulement la référence pour les politiques d’éducation du PS mais aussi celles de la droite, laquelle n’a jamais remis en cause les dogmes pédagogistes de Bayrou à Châtel en passant par Ferry et Fillon. Seul Xavier Darcos a pu fâcher Philippe Meirieu avec sa réforme des programmes de l’enseignement primaire de 2007-2008 davantage inspirée par le rejet du pédagogisme et le retour aux apprentissages fondamentaux réclamé par Jean-Paul Brighelli et Alain Finkielkraut. Il faut tout de même préciser que, malheureusement, cette réforme fut mise en place dans un contexte de réduction des moyens ce qui ne favorisa pas son adhésion par le plus grand nombre. D’ailleurs, les pédagogistes reprirent vite du poil de la bête lors de la réforme du lycée, davantage combattue par le SNALC, classé à droite, que par le SGEN et l’UNSA, syndicats acquis aux idées du pape Meirieu.
Ce n’est pas parce qu’on n’a jamais goûté au bain électoral que l’on est un jeune en politique. L’influence en tant qu’éminence grise, les tribunes dans les journaux, les débats lors desquels on est systématiquement invité en tant que « spécialiste » ne comptent pas pour du beurre. Qui peut croire que l’influence de Philippe Meirieu sur l’évolution de l’Ecole aurait été supérieure s’il avait été élu sans discontinuer député de base depuis 1988 ? Proche du parti socialiste, il aurait tout de même apprécié qu’on ne le limitât pas à ce rôle de conseiller de luxe. Je ne sais si le PS lui a proposé dans le passé des investitures. Toujours est-il qu’il ne l’a pas fait cette fois-ci et que Philippe Meirieu en a été fort marri au point de rallier les écologistes. On savait qu’il était un socialiste de la deuxième gauche, plutôt chrétienne-sociale. Mais d’écologie, il n’avait jamais été question avec lui. Pourtant, il n’y a rien d’illogique à le voir rallier les écolos dont les positions sur l’Ecole, fortement inspirés par les frères Cohn-Bendit, épousent le pédagogisme avec d’autant plus de passion que ce dernier est un enfant légitime de Mai 68. Sous les pavés la plage, c’est le refus du passé, le refus de la Culture classique, le refus de la Transmission.
Le PS est donc aujourd’hui orphelin de plusieurs mauvais génies en matière éducative. Allègre a basculé chez Sarko. Lang n’est plus très loin de faire la même chose[1. Son opposition à Darcos constituait le dernier clivage avec l’actuel gouvernement. Châtel, davantage acquis au pédagogisme, doit rassurer l’ancien ministre de l’Education]. Et Meirieu, donc, rejoint Europe-Ecologie, organisation qui n’a d’autre but que de le remplacer en tant que première force de la gauche. Il s’agit donc d’une chance historique pour le PS qui peut enfin se remettre à réfléchir sur le devenir de l’Ecole et entamer aujourd’hui un véritable inventaire. A Martine Aubry de lancer ce débat. Elle peut d’ailleurs fort bien se tourner vers son partenaire MRC, ce qui serait davantage fructueux que de laisser le programme éducatif de son parti à Bruno Julliard, lequel, nourri au lait de l’UNEF, ne parviendra pas à se débarrasser de ses mauvais réflexes pédagogistes. Certains jeunes cadres socialistes disent vouloir s’affranchir de mai 68 et de ses dérives. Chiche ! Qu’ils s’attaquent à l’Ecole. Ce sera bien plus décisif que leurs déclarations sur la vie sexuelle de Roman Polanski ou celle de Frédéric Mitterrand.
Photo en Une – Site de France 5
Excellent billet, David ! Tout est dit, et de façon remarquablement synthétique.
Encore du petit lait, David
Bien vu, bien senti et bien dit.
Je viens, ce midi, d’attaquer le « Manuel d’inculture générale » de B. de Koch: je viens d’appeler mon employeur (!) pour me faire porter pâle.
Info: ce soir, sur la 2, notre cheftaine Elisabeth L. à Mots Croisés.
Très beau papier. Vert c’est vert, il n’y a plus d’espoir…
Parfait, David. Belle analyse, même si je crois pas une seconde une Aubry, démago comme pas deux, capable de faire appel au logiciel républicain sur l’école… Mais on peut toujours rêver !
Très bien dit !
Heureux de voir Meirieu finir chez les Verts plutôt qu ‘au PS. On a déjà assez de croix à porter.
Si on rajoute à ton billet celui du camarade Leroy sur Causeur (Devoir d’antimémoire à Montreuil), la liquidation des Verts devient une priorité nationale.
Enfin, un bon papier sur l’immonde Meirieu qui a détruit mon métier ! Je n’avais déjà pas l’intention de voter pour les verdâtres, mais là, j’entre dans l’antivert militant !
Au fait, utiliser l’imparfait du subjonctif à bon escient dans un article consacré à ce décérébreur d’êtres humains est parfaitement bien venu… Mais aurait-il saisi le sens de la phrase ?
Le dernier paragraphe est une blague ? Le PS se rue dans le pédagogisme à corps perdu en ce moment même ! Demandez à Peillon !
@Stephane
Croyez bien que je ne me fais guère d’illusions. Il s’agit d’un voeu mais je sais qu’il a peu de chances d’aboutir. Peut-être le relatif isolement de Martine Aubry et son tête à tête avec Chevènement (lequel est le seul à avoir signé un accord politique avec elle ces derniers temps) apportent une lueur d’espoir. De plus JP Brighelli, lorsqu’il avait analysé les différentes motions au regard de l’Ecole, avait jugé que la motion de Martine Aubry était la plus proche de ses vues.
Mais vous avez raison il y a peu de chance. Seulement, mon ton un tantinet optimiste était destiné à les encourager.
Une petite ruse de ma part. 😉
Ce billet me donne la nausée.
Non pas que je sois un idolâtre de Meirieu, qui n’est ni plus ni moins qu’un chercheur très brillant dont on peut difficilement contester SCIENTIFIQUEMENT son travail. Mais il y a quand même de quoi vomir devant cette cabale d’une personne qui, de toute évidence, parle d’éducation sans connaître le métier. C’est d’ailleurs davantage un billet de politicien, qui ne fait que parler du jeu des partis plutôt que de parler du fond, autrement dit de politique au sens noble du terme. Parce que face à un débat de fond, justement, le brillant auteur de ce billet ne ferait pas un pli face à un Meirieu ou tout autre « pédagogiste » qu’il décrie pour se faire mousser.
Dire, par exemple, que Philippe Meirieu a toujours fait l’unanimité à droite comme à gauche est un pur mensonge. Ses préconisations de chercheur ont toujours été appliquées à demi, voire ouvertement combattues par des bureaucrates incapables de distinguer un élève d’un client. La gauche classique a toujours cherché à contenir les besoins de réforme en profondeur de l’éducation pour se préserver de méthodes « trop à gauches » pour elle (la pédagogie est avant tout une manière de penser globalement l’éducation pour provoquer des changements à l’intérieur de la société vers un meilleur vivre ensemble républicain). Quant à la droite, surtout celle qui est au pouvoir depuis peu, fanatique d’une utopie appelée « libéralisme », son but est simple: elle veut briser tout mouvement émancipateur par l’école pour trier le plus tôt possible les futurs élites et les bons employés obéissants tout en faisant de tout ce joli monde des bons consommateurs (les fondamentaux pour qu’un système libéral « fonctionne »).
Les idées de Meirieu, et par delà celle de toute une frange d’une éducation novatrice, n’ont JAMAIS GOUVERNE, en dépit de l’irréfutabilité scientifique de leurs travaux. Au mieux, les politiques socialistes ont sorti quelques mots de leur contexte en mettant « l’enfant au coeur de l’école » (loi d’orientation de 1989) sans en donner vraiment les moyens sur le terrain. D’où la réaction de certains enseignants, mal formés, incapables tout autant de faire la différence entre « enfant roi » et « enfant au coeur de l’école » et de comprendre pourquoi il est NECESSAIRE que l’enfant soit mis au coeur de l’école.
Pour être allé en Finlande récemment, meilleur pays aux résultats internationaux PISA, je peux te dire que ce n’est pas les savoirs qui sont au coeur des apprentissages, contrairement à ce que demandent le petit groupe de réacs que forment Brighelli et ses adeptes, relayés par la droite actuelle. L’école est un prolongement de la famille, où l’enfant s’y sent avant tout bien (ils se baladent en chausson dans leur école!) et où il est réellement respectée par l’institution et les professeurs en tant que valeur du futur pour la société. Le rythme scolaire y est aménagé, les évaluations sont rares et n’ont pas pour vocation de classer les élèves, les relations d’autorités entre élèves et enseignants sont saines… Quelque soit la part d’enseignants qui font du bon boulot en France avec les moyens du bord (et il y en a plus que ce qu’on pense!), on est encore loin de ce rapport à l’élève.
Quant aux « apprentissages fondamentaux » auxquels on reviendrait depuis peu grâce à la droite, il faut là aussi arrêter de répéter docilement (et donc bêtement?) les effets d’annonce de De Robien, Darcos et Châtel. Non seulement ces savoirs fondamentaux n’ont jamais disparu dans la loi d’orientation de 1989 et étaient déjà définis comme tels, mais en plus les dernière réformes les rendent encore plus difficiles à atteindre avec les moyens qualitatifs et quantitatifs donnés à l’éducation et à la formation des enseignants.
D’ailleurs, c’est ce que tu admets lorsque tu dis qu’ « il faut tout de même préciser que, malheureusement, cette réforme [celle des programmes Darcos] fut mise en place dans un contexte de réduction des moyens ce qui ne favorisa pas son adhésion par le plus grand nombre ». Je suis heureux que tu dénonces, toi, cette réduction intolérable des moyens, qui ne sont absolument pas justifiables économiquement, surtout lorsqu’on offre un paquet fiscal aux plus riches de plusieurs milliards d’euros (là où la réduction des postes n’entraîne qu’une économie de 70 millions par an…). Et si tu persistes à persiffler que l’éducation coûte top cher, je te conseille l’ignorance. C’est vrai que ça coûte moins cher!
Enfin ta caricature finale de « Cohn Bendit soixante-huitard » et de ses idées sur l’éducation qui en découlent dévoile, finalement, ton vrai visage: celui de l’un de ces conservateurs traumatisés par ces gens qui, à un moment de l’Histoire, ont osé aller bousculer un pouvoir bien trop attaché à ses privilèges pour que cela puisse continuer. Tu es un nostalgique du passé, de la culture classique et des coups de bâtons de ta chère école à l’ancienne? Et tu te prends pour un antidote? Mais ta panacée a montré ses limites depuis bien longtemps, mon cher esthète! Il serait bon que tu ailles un peu te confronter au réel et que tu te documentes davantage sur ce que tu te permets de critiquer car, si tu as l’air d’avoir été un de ces brillants élèves dans la belle école de la troisième République, tu fais piètre figure en ce qui concerne la compréhension de pensées qui semblent te dépasser.
Tu parles de pédagogie sans savoir de quoi il s’agit, comme d’ailleurs Brighelli et autres obscurantistes qui passent leur temps à casser du « pédagogiste », qui les remettent bien trop en question. Va goûter un peu à Freinet. Penche toi sur la pensée de Cousinet, de Ferrière, de Decroly. Et plonge-toi allègrement dans les travaux de Rogers ou… Meirieu! Alors tu pourras peut-être tenir des propos un peu moins populistes que tu destines à ton (é)lectorat qui semble en être resté, tout comme toi, à la surface de ce dont ils parlent…
Peut-être parce que les recherches des pédagogues remettent trop violemment en question les fondements de la société ultralibérale dans laquelle nous nous enfermons?
Chiche!
@Pascal
En 1989, Meirieu expliquait qu’il fallait apprendre à lire aux gamins sur des modes d’emploi « parce que leur avenir, c’était ça ». Depuis, il paraît qu’il regrette.
En tout cas, pour quelqu’un qui lutte contre la politique éducative de droite, il y a mieux.
Je ne suis pas un politicien, et je vis en plein coeur du système éducatif, pour votre information.
Quant à vos conseils de lectures, je vous remercie. Et je me permets de vous conseiller en retour « L’enseignement de l’ignorance » de Jean-Claude Michéa. Je n’ai pas le souvenir que ce philosophe soit de droite. Plutôt qu’il soit bien plus à gauche que Cohn-Bendit ou Meirieu. Et pourtant, j’ai la faiblesse de penser qu’il m’approuverait plutôt que vous.