Au risque d’étonner, je n’ai pas été bouleversé par l’histoire de ces lycéens du lycée Jean-Lurçat de Paris XIIIe. Au risque, même, de choquer voire scandaliser mes habituels lecteurs, je m’en suis même plutôt félicité. Afin de ne pas jeter là un voile d’incompréhension ni surtout susciter parmi certains des envies de me faire interner à Sainte-Anne, je dois entrer davantage dans les détails.

Entendons-nous bien. Je ne me félicite pas de la décrépitude de notre Ecole que symbolise à bien des égards cette affaire de bigophones. Ce dont je suis heureux, et pour tout dire assez soulagé, c’est d’observer que ces gamins ont enfin compris. Qu’ils ne sont pas plus demeurés que leurs devanciers. Qu’ils ont des yeux pour voir et un cerveau pour comprendre. Je commençais à en douter sérieusement, à vrai dire.

Certains lecteurs continuent de se demander de quel nectar j’ai pu abuser, quand d’autres, davantage psychologues, me maudissent de faire ainsi durer le plaisir de l’attente. L’effet a donc été assez ménagé. Venons y.

Ils ont donc compris qu’ils étaient Le Centre. Ce centre du système éducatif où la loi d’orientation votée il y a vingt ans les avait placés. Vingt ans pour comprendre ! C’est beaucoup et peu à la fois. Beaucoup, parce qu’il a fallu attendre une génération. Peu, parce que, depuis Jules Ferry, notre Ecole avait pris de telles habitudes, avec le Savoir au centre. Enfin, la boucle est bouclée. Ils ont compris qu’ils étaient les patrons. Que les Adultes les y avaient mis sciemment. Certes, ils avaient déjà pu déceler quelques signes qui montraient que l’Ecole avait changé et qu’ils pouvaient en tirer quelque parti. Mais, timidement et adroitement à la fois, ils passaient par les parents. Ces parents d’élèves qui, depuis des années, tyrannisent les chefs d’établissement. Ces derniers harcelaient d’ailleurs souvent par téléphone. Le téléphone, déjà, même s’il n’était pas encore portable. Dans les réunions parents-profs, la trouille avait clairement changé de côté. Ce n’était plus le travail de l’élève mais la méthode du prof qui était l’objet de la discussion, voire de la mise en accusation.

Des parents, maintenant, il n’est même plus question. Les gosses savent qu’ils sont les plus forts. Le patron, le boss, comme ils disent, c’est eux. Ils sont les patrons comme les clients d’un magasin sont celui du commerçant. S’ils ont des mauvaises notes, ce n’est pas de leur faute mais du prof qui a mal expliqué. Leurs parents le leur disent, les pseudo-scientifiques de l’éducation l’avaient décrété, beaucoup de chefs d’établissement ont fait leur cette idée. Pire même, pour la plupart, les profs s’en sont convaincus eux-mêmes. De toute façon, le problème va bientôt être résolu. De notes, bientôt, il n’y aura plus. On validera des compétences. On cochera des items sur un ordi. Les notes, cela stigmatise, cela traumatise. Traumatiser, stigmatiser le patron ! Vous n’y pensez pas !

En écrivant ces lignes, je me rends compte d’une erreur, d’une faute. Ils se prennent pour les patrons, pour le boss, parce que c’est leur vocabulaire. Mais ils ne sont pas des patrons, car un patron, cela suppose des responsabilités. Or, de responsabilités, ils n’ont plus. Ils sont davantage que cela, en réalité. Des petits rois, des petites reines. De droit divin. L’enfant-roi ! A la maison, plus de fessées et des parents qui payent ! A l’école, plus de notes et des profs aux ordres.

Mais, dans notre pays, le Roi finit par se faire guillotiner. De bourreau, il devient victime. L’enfant-roi, à la fin des fins, est une victime. Victime de la démission des adultes, de leur lâcheté, de l’exemple que nous leur donnons parfois. Ne nous étonnons pas que des lycéens finissent par inviter leur professeur, qu’ils tiennent pour une conne, à se casser, lorsqu’elle souhaite qu’ils cessent d’envoyer des textos depuis la salle de classe 313, quand d’autres font de même au Vatican pendant le discours de Benoît XVI.

On a l’époque que l’on mérite. On a le Président que l’on mérite. Et, donc, on a les enfants que l’on mérite.

12 commentaires

  1. Bien vu !

    La destruction est accomplie car désormais, les jeunes professeurs issus de l’école pédagole puis formatés IUFM se soumettent sans même en être conscients à la tyrannie des élèves et de leurs parents, puisque « nourris » aux mêmes valeurs.

    Les conseils de classe n’apparaissent comme des mascarades puantes de démagogie qu’aux yeux des plus âgés, les résistants, ceux qui n’ont pas été contaminés et qu’on regarde comme des extra-terrestres, des survivants du monde d’avant dont on sera bientôt débarrassés. On ne veut pas entendre les vérités que ces « teigneux » (le cadavre de l’école bouge encore ! ) osent encore dire, malgré les efforts de l’administration pour les faire taire, non, on encense des classes pleines d’élèves médiocres, puisque la médiocrité est devenue la norme.

    L’aliénation est totale et c’est vraiment terrifiant à regarder de près, la relève de l’école par les nouveaux professeurs. Tous victimes, les parents aussi et ils ne le savent pas.

  2. Les conseils de classe n’apparaissent comme des mascarades puantes de démagogie qu’aux yeux des plus âgés, les résistants, ceux qui n’ont pas été contaminés et qu’on regarde comme des extra-terrestres »

    Tu parles Charles, y en a un paquet des gros démagos parmi les anciens, y en a des stéréotypes aussi parmi les presque retraités, souvent syndiqués au sgen. D’ailleurs si les « anciens » avaient été si sages et teigneux que cela, on n’en serait pas là j’imagine.

  3. Voici une info hors-sujet :

    Cette video dure 9 minutes.

    Neuf minutes extraordinaires.

    Neuf minutes historiques.

    Neuf minutes pendant lesquelles le leader du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) dit ce qu’il pense.

    Neuf minutes pendant lesquelles une député européenne socialiste essaie de répliquer de façon pitoyable SUR LE FOND.

    Neuf minutes pendant lesquelles le président du parlement européen ne sait pas quoi répondre SUR LE FOND.

    Neuf minutes que les historiens des prochaines décennies pourront montrer pour expliquer l’explosion de l’Union Européenne.

    http://www.marianne2.fr/Europe-ca-se-passe-comme-ca-a-Strasbourg-!_a183017.html

  4. C’est vrai, Mélanie. Je parlais de la poignée de résistants de toujours, ceux qu’on n’a jamais écoutés, les Cassandre. Ceux-là et celles-là, je vous assure qu’ aujourd’hui, on les payerait presque pour qu’ils la bouclent ou qu’ils s’en aillent.

  5. L’enfant-roi, depuis des décennies, on l’encense, on l’adule, c’est la Xème merveille du monde (huitième n’est pas assez, bien sûr).
    Alors, comme pour le carosse de Cendrillon, mais bien plus longtemps après,
    trente ans et plus, plutôt que quelques heures, le petit roi rêvé est au mieux un affreux jojo, au pire une petite frappe sans foi ni loi.
    L’Education Nationale doit être le relais des parents, soucieuse de non seulement enseigner le savoir proprement dit, mais aussi la manière de vivre en société.
    Mon propos sera traduit par certains comme celui d’un vieux « schnok ».
    Mais ceux-là doivent, s’ils leur reste quelque lucidité, considérer que l’abandon d’un minimum de rigueur et de discipline conduit inexorablement au résultat que l’on peut constater.
    Rien ne sert aux adultes de reprocher leur conduite à ces jeunes, ils ne leur en ont pas appris d’autre.

  6. Bravo à David pour tes enfants-rois (Nougaro chantait l’enfant-phare mais ce n’est pas du tout le même). On croirait du vécu professionnel dans lequel je me reconnais !
    Et un grand merci aux commentateurs pour ce morceau magnifique d’Europarlement. Je suis sidéré par la gène suscitée par le député Farrage et l’embarras du Président. L’autre Président (barosso) est quant à lui goguenard. Il a raison: traiter les propos de Farrage par le rire, ça les rend moins conséquents….à court terme.
    Bon, pour lier les 2 sujets, école et UE, la fin de l’histoire en terminale pour certaines sections arrive quand même juste à point : aller expliquer les fondements de la démocratie aux spectateurs de son enterrement !?

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