L’ancien candidat à la présidentielle ramène l’Europe dans l’histoire

 

C’est devenu un rituel. À chaque fois que Jean-Pierre Chevènement publie un nouveau livre, je me demande s’il sera encore meilleur que le précédent. Et à chaque fois, le livre refermé, je constate que c’est le cas.

Mais lire un livre de Jean-Pierre Chevènement, c’est aussi l’occasion de se (re)poser d’autres questions. Comment un homme d’Etat de cette trempe a-t-il pu passer à côté de son destin ? Ou, pour le dire autrement, comment la France et la République ont-elles pu passer à côté de Chevènement ? On doit à l’évidence se poser les deux questions tant les responsabilités sont mêlées. Chevènement a tenté deux stratégies : jouer le jeu avec le système droite-gauche, et s’en affranchir épisodiquement, comme lors de sa candidature présidentielle en 2002 au nom du Pôle républicain. La faute aux protagonistes ? La faute aux Français qui ne savent pas vraiment ce qu’ils veulent ? La faute à un système politique bloqué ? C’est sans doute dans les années qui ont suivi l’adoption du traité de Maastricht que l’occasion essentielle a été manquée. C’est à ce moment que Chevènement quitte le Parti socialiste et crée le Mouvement des Citoyens. En 1994, il fait savoir à Philippe Séguin, le républicain de l’autre rive, consacré par François Mitterrand opposant numéro un sur la question européenne, qu’il le soutiendrait en cas de candidature à l’élection présidentielle. Séguin ne saisit pas la main tendue. La faute à Séguin, donc ? Pas sûr. Le Président de l’Assemblée nationale a renoncé à être candidat à la présidentielle en 1995 le jour où Jacques Delors a, devant Anne Sinclair, nié l’être. Séguin a alors compris que le système partisan ne serait pas bousculé, se mettant dès lors au service de Jacques Chirac, avec l’efficacité que l’on sait.

Si Delors avait été candidat, une alliance Séguin-Chevènement aurait pu se constituer et entièrement recomposer le paysage politique. La faute à Delors et sa frousse des électeurs, alors qu’il était le dépositaire légitime de la politique menée depuis une dizaine d’années et qui a été poursuivie pendant les deux décennies qui ont suivi ? Je ne suis pas loin de penser que Jean-Pierre Chevènement approuverait avec un large sourire, si je lui suggérais le nom du coupable.

Mais revenons au livre ! Car Chevènement, à l’instar d’un grand cru bourguignon ou bordelais, s’améliore en vieillissant. Son nouvel essai, 1914-2014, L’Europe sortie de l’Histoire ? est magistral. Quelle autre personnalité politique serait aujourd’hui capable d’écrire (lui-même !) un livre d’histoire, de géopolitique et d’économie réunis ? Aucune.  Il n’est donc pas mon intention de procéder ici à une recension proprement dite, ce dont l’ami Daoud se chargera en bloc et en détails dans les prochaines semaines. Qui se pique de politique ne saurait passer à côté de cet essai stimulant.

Analysant les deux mondialisations, l’anglaise d’avant 1914 et l’américaine qui débute en 1945, l’ancien ministre emploie l’expression gaullienne de « seconde guerre de trente ans » pour caractériser l’intervalle entre celles-ci. Evidemment, dans la dernière partie, l’auteur expose ses recettes, ce qui lui a valu récemment d’être proposé pour Matignon à François Hollande par l’excellent Jacques Sapir. Que les réfractaires à la pensée chevènementiste se rassurent. Sapir ne sera pas entendu. Car Hollande est un fils politique de Delors. On y revient toujours, n’est ce pas, cher Jean-Pierre ?

Jean Pierre Chevènement,1914-2014, L’Europe sortie de l’Histoire ?, Fayard, 2013.

 

 

11 commentaires

  1. Dans une conférence de presse datant de mai 1962, De Gaulle disait qu’il n’y avait pas quelqu’un d’assez fort pour être le fédérateur de l’Europe « intégrée ».
    Il ajoutait : « il y aurait peut-être un fédérateur, mais il ne serait pas européen » (sous-entendu : les États-Unis).

    Or, depuis le milieu des années 80, l’UE est de plus en plus « intégrée », supra-nationale.
    Qui a été le fédérateur ?
    Apparemment Jacques Delors, président de la commission de Bruxelles.

    Pour avoir réussi cela, Delors devait être une forte personnalité si on en croit De Gaulle.
    Pourtant, on a bien vu qu’il n’a pas osé être candidat à la présidentielle de 1995, malgré de bons sondages.
    Alors, un Jacques Delors plutôt timoré aurait réussi à être le fédérateur ?
    De Gaulle se serait donc trompé ? Certes, il n’était pas infaillible.

    Pourtant que constate-t-on ?
    Juillet 2013. L’avion du président bolivien Evo Morales de retour d’un voyage officiel en Russie n’a pas le droit de survoler la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal.
    Quel « crime » a-t-il commis ? Les États-Unis le soupçonnent de ramener dans son pays le dissident américain Snowden qui a dénoncé l’espionnage dont nos pays sont victimes.
    Manifestement, ces 4 pays (membres de l’UE) se sont mis au garde-à-vous devant les exigences des USA.

    La politique de défense de la plupart des pays de l’UE est « sous le parapluie » de l’OTAN. C’est aussi de plus en plus le cas de la France autrefois plus indépendante.

    On sait que les USA veulent l’entrée de la Turquie dans l’UE (et ne se gênent pas pour le dire). Pourquoi ? Parce qu’à la suite du Royaume-Uni (entré en 1972), ce pays serait un nouveau « cheval de Troie » (1) des USA dans l’UE.

    Il y a tout à craindre pour ce qui reste comme agriculture chez nous avec les négociations transatlantiques de libre-échange.

    Alors, De Gaulle avait donc raison ?
    Les États-Unis sont donc bien le fédérateur de l’UE ?
    Dans ce cas, Delors n’aurait été qu’un « homme de paille » ?

    (1) Je crois que l’expression « cheval de Troie » concernant le Royaume-Uni était de De Gaulle, puis du PCF. Remarquons que pour la Turquie « ça tombe bien » : la ville de Troie (celle d’Homère) aurait été sur le territoire de l’actuelle Turquie.

  2. Comment un homme d’Etat de cette trempe a-t-il pu passer à côté de son destin ? … mais c’est très simple, pourtant. Le système électoral français est bipartiste pour ne pas dire bipolaire. Donc il faut, d’abord, convaincre son parti ou son camp avant d’espérer arriver au second tour et éventuellement emporter la mise pour emprunter au langage sportif ( Lionel Jospin en a fait fait l’amère expérience en 2002, François Bayrou, aussi, en 2007 ). Jean Pierre Chevènement et Philippe Séguin dont tout le monde, pourtant, loue les analyses, n’ont suivi ce « chemin obligatoire ». D’autant que les élections ressemblent de plus en plus à la Star Académie : ce n’est pas souvent le (a) meilleur (e) chanteur (se) qui gagne mais celui qui a l’heurt de plaire au plus grand nombre par sa sympathie ou sa bonne « bouille », notamment. Et l’on s’étonne après qu’il ne fasse jamais carrière. Ben tiens !!!

  3. J.P Chevènement n’a pas été à la hauteur de la tâche lorsqu’il a choisi , après sa séparation du P.S , d’aller néanmoins à la gamelle électorale avec lui.
    Il a perdu sa légitimité d’homme d’espérance.
    J’ai donc quitté son mouvement, comme tant d’autres, et notamment les « gaullistes de progrès » et je cherche avec Nicolas Dupont- Aignan, depuis dix ans, une solution à la GRANDE FORFAITURE (commise par les politiciens du système en ratifiant le traité de Lisbonne rejeté par le suffrage universel en 2005).
    Chevènement et Dupont-Aignan, là est la solution.
    Cette forfaiture, ils vont la payer cher, nos euro-collabos.

  4. J’avais lu l’article de Jacques Sapir sur le site « gaullo-communiste » « Comité Valmy ».
    La fin est intéressante : « François Hollande s’est pris bien à tort pour François Mitterrand…. Espérons qu’il aura au moins le courage d’un René Coty ».

    Rappelons qu’en 1958, le Président de la république Coty avait appelé le général de Gaulle à Matignon. En fait, il lui avait remis le pouvoir.
    Donc, dans l’esprit de Sapir, Chevènement devrait aller à Matignon non pour être un simple successeur d’Ayrault, mais pour avoir le pouvoir réel. Pour appliquer la politique de Chevènement et non celle de Hollande.

    Bien sûr, il faut que Hollande soit contraint par une crise politique sévère (qui se met en place) pour faire appel à JPC.
    Car, comme l’écrit David Desgouilles, les divergences sont grandes sur l’Europe. On peut ajouter au vu des positions présidentielles sur la Syrie qu’ils divergent aussi sur la politique étrangère.

    Il semble pourtant que JPC, bien qu’il dise ne pas être au courant de l’article de Sapir, a quelques idées sur la façon de composer un éventuel gouvernement (cf son passage à « On n’est pas couché »).
    L’actuel gouvernement est trop « monocolore PS ».
    Cela signifie-t-il qu’il faut élargir à droite ? Du côté souverainiste par exemple (cf Dupont-Aignan et à des UMP souverainistes) ? Ce serait nécessaire.

    Côté PS, JPC garderait bien Valls à l’intérieur et Montebourg à l’industrie (semble-t-il).
    Mais, Natacha Polony a bien montré la difficulté. À gauche, Chevènement « tient les 2 bouts » : retour à une plus grande souveraineté nationale et sévérité contre les délinquants. Or, Montebourg est partisan du « 1er bout » mais pas du 2e et Valls, c’est le contraire.

    Côté FN, ce qu’a dit JPC semblait aller dans le sens d’une « diabolisation ». À la réflexion, je pense qu’il ne prendrait pas Marine Le Pen (1) surtout pour ne pas être gêné dans ses négociations européennes difficiles. Mais, il serait surprenant que MLP veuille participer à un gouvernement qu’elle ne conduirait pas.

    Ceci étant, j’ai été surpris par l’article de Sapir, car tout en ayant une forte sympathie pour Chevènement (j’ai voté pour lui en 2002), je crains que la tâche ne soit trop difficile dans les conditions actuelles.
    Contrairement à Hollande, « cool » jusqu’à l’excès, Chevènement aurait de véritables exigences (sinon quel intérêt ?).
    Par exemple sur l’euro, point sur lequel il rejoint maintenant NDA (sortir de la monnaie unique pour aller vers la monnaie commune).

    Mais, les obstacles sont immenses.
    Je ne suis même pas certain que les relations avec l’Allemagne seraient la pire difficulté.
    L’État est devenu faible : avec la mondialisation, l’Union Européenne supra-nationale, des pouvoirs régaliens donnés à des magistrats européens ou nationaux.
    Or, JPC ne peut admettre d’être à la tête que d’un État fort (sinon, inutile de l’appeler).
    – Il lui manquerait des « poids lourds » pour l’aider : Juppé est à l’opposé sur l’Europe et la politique extérieure, Bayrou serait proche sur l’École et la politique étrangère mais très éloigné sur l’Europe, la politique étrangère de Fabius est très décevante, peut-être Mélenchon qui ainsi « sortirait par le haut » du gauchisme où il s’enferre mais ce ne serait qu’un seul côté de l’échiquier politique.
    – Le gros des électeurs favorables à « la politique Chevènement » est du côté du FN.
    – Surtout De Gaulle avait une légitimité historique que personne n’a depuis (et pour cause) et il manque une légitimité électorale à Chevènement pour pouvoir appliquer une politique exigeante.

    (1) Certains se demandent pourquoi il a parlé de « ministère des transports » à éviter de donner à MLP. Je ne sais pas. Mais, un constat : les principaux ministres PCF du gouvernement Mauroy (Fiterman) et Jospin (Gayssot) étaient aux transports. Est-ce cela que JPC avait en tête ?

  5. Les personnes capables d’une bonne analyse théorique, assises dans un bureau confortable, sont légion. Celles qui savent monter en marche dans le train de l’histoire, beaucoup moins.

  6. Chevènement a, plusieurs fois, eu l’occasion de changer la donne. A chaque fois, il a manqué le coche.
    C’est dommage, parce qu’intellectuelement, la machine est bonne.
    De Gaulle, lui, est, non seulement monté dans le train de l’Histoire, mais il s’est encore permis de le conduire.

  7. Quand j’écris que De Gaulle avait une légitimité historique que personne ne peut avoir depuis, ça va d’une certaine façon dans le sens de ce qu’écrit Gavroche64 sur « le train de l’Histoire ».

    En effet, De Gaulle a « pris ce train » très difficile voire dangereux à prendre au moment où il l’a pris.
    (Le 18 juin 1940, même les plus hostiles à l’Occupant se sentaient submergés par le désastre. De plus, l’Angleterre risquait de « tomber » dans les mois suivants. Donc, chez De Gaulle, à la fois du génie et du courage, voire de la « témérité »).

    Mais, « un train » passait devant De Gaulle.

    Quel « train » est passé depuis devant Chevènement (ou d’autres) ?

  8. Le train de l’histoire est passé et repassé à de multiples reprises ! La gauche est morte en juin 1993, après Maastricht et, l’année suivante, la mémorable déculottée aux législatives. Il fallait prendre ce premier train et représenter l’opposition sociale au supranationalisme destructeur, ce que la gauche aurait dû faire, et au premier chef Chevènement.
    Préférant les ratiocinations solitaires en refusant toute alliance avec Seguin et les appétits ministériels sous l’ineffable Jospin, il en est mort !
    Résultat : il ne reste plus que NDA, seul contre tous, y compris l’inénarrable Marine et son ramassis de démagogues.

  9. Sur le fond, c’est le démontage de l’euro qui va s’imposer et qui commence vraiment à s’imposer comme une nécessité impérieuse dans l’esprit de toutes les personnes de bonne foi. L’erreur historique et les mensonges qui l’ont accompagnée ne pourront perdurer éternellement.

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