Réponse à Jérôme Leroy (et à Jean-Luc Mélenchon, aussi)

 

Cher Jérôme,
Je ne te savais ni fétichiste, ni épris de numérologie. Pourtant, à la fin de ton excellent texte consacré à la popularité en berne de François Hollande, tu nous as confié qu’au lieu de te consacrer à tes activités d’écriture, tu défilerais pour donner un nouveau numéro à notre République[1. En fait, ce dimanche, les chaînes d’info continue parlaient de manifestation « contre la finance, l’austérité et pour la 6e République ». Mais toi, dans ton papier de jeudi, tu n’évoquais que la 6e République !]. Le cinq ne te plaît donc plus. Tu préfères le six. Le chômage bat des records, le destin de l’Europe se décide entre Berlin, Francfort et Bruxelles, les derniers pans de notre souveraineté sont transférés, le patronat réussit à imposer un accord défavorable aux travailleurs grâce à la complicité de la CFDT dont on raconte souvent avec raison qu’en cas de rétablissement de l’esclavage, elle négocierait le poids des chaînes. Et toi, tu as donc manifesté hier pour qu’on change de numéro à la constitution.
Tu vas me dire que j’exagère. Que cette VIe République mélenchonienne a un contenu. Qu’on ne peut pas préjuger de ce que sera ce contenu puisque c’est une Constituante élue qui en décidera. Moi je vois très bien à quoi elle pourrait ressembler si des élections chargées de désigner les membres de cette assemblée constituante donnait une majorité au Front de Gauche. On commencerait par décider que le président de la République n’est plus élu au suffrage universel direct. Comme tu as consacré un texte à Napolitano, tu pourrais en écrire un nouveau sur Giscard, que les parlementaires réunis à Versailles pourraient renvoyer à l’Elysée. Ce ne serait pas non plus la IV e République – n’exagérons rien – car vous y ajouteriez des procédures comme ce fameux référendum révocatoire qui existe en Amérique Latine ou dans certains Etats ou Cantons fédérés (tiens, tiens…) d’Amérique ou de Suisse. Vous interdiriez à juste titre qu’un haut fonctionnaire du Trésor puisse, par exemple, passer dans la Banque, puis revenir dircab du ministre des finances avant de présider aux destinées d’un gazier privatisé. Et ce serait une fort bonne idée même si on se demande très franchement en quoi il serait impossible d’exiger la même chose avec le numéro V. On aboutirait donc à une espèce de mélange entre la IIIe République française, le canton du Tessin et un conseil régional. On me dira, une France sans souveraineté peut très bien s’accommoder de telles institutions. C’est justement acter le fait que la France-puissance mondiale, c’est terminé. Dans la bouche d’Alain Minc et Pascal Lamy, je peux le concevoir. Mais dans la tienne ? La force conférée par l’élection au suffrage directe du peuple, lors de scrutins où l’abstention est la moins forte, est à peu près tout ce qui nous reste. Même avec de mauvais présidents, par la grâce de cette décision du Général De Gaulle avalisée par les Français en 1962, nous pouvons encore faire illusion. Ainsi Jacques Chirac décida de reprendre les essais nucléaires, obligea les Etats-Unis à se passer de l’accord des Nations-Unies pour envahir l’Irak, et Nicolas Sarkozy prit la meilleure décision de son quinquennat au plus fort de la crise financière en imposant le G20. Par ailleurs, puisque c’est tout de même la démocratie et son indissociable souveraineté – nationale et populaire – qui te soucie autant que moi, y a-t-il eu lors de ces cent dernières années, France plus souveraine que celle du Général de Gaulle ? La Ve République n’était pas encore défigurée par toutes les réformes qu’elle a eu à subir, du funeste quinquennat aux révisions préalables à des traités européens. En 1965, sais-tu qui fut le premier à recevoir la confidence du Général De Gaulle concernant sa candidature à un prochain mandat ? L’ambassadeur soviétique ! Peut-être que le PCF a toujours été officiellement un adversaire de cette « constitution liberticide », imprimant en 1962 des affiches du Général étranglant Marianne. Mais, officieusement ? Cette anecdote en dit long, non ? Alors, c’est vrai, la Ve République d’aujourd’hui ne ressemble plus beaucoup à celle de 1967. On pourrait même écrire que nous sommes déjà passés à une VIe République lorsque le Peuple a malheureusement accepté, le 24 septembre 2000, de raccourcir le mandat présidentiel. Plutôt que d’élire une constituante avec des partis qui reprendraient au Chef de l’Etat le peu de pouvoirs que la France conserve encore, proposons de rallonger le mandat présidentiel, quitte à le rendre non renouvelable. Demandons qu’on précise dans la constitution que seul le Peuple est habilité à autoriser la ratification de traités comprenant des transferts de souveraineté[1. Et modifions le mode de scrutin, ce qui n’est pas du domaine constitutionnel. De Gaulle n’était pas à cheval sur le scrutin majoritaire et expliquait que le mode de scrutin était affaire de circonstances.]. Revenons, en fait, à l’esprit originel de la Ve République, plutôt que vouloir l’achever.
Cher Jérôme, je ne comprends pas très bien. Il y a quelques semaines, tu te demandais pourquoi diable des citoyens allaient manifester contre une réforme sociétale alors que les urgences étaient assurément ailleurs. Il se trouve que tu prêchais un convaincu. Alors que je pense toujours beaucoup de mal de la loi Taubira, je n’ai pas défilé, sans doute parce que ma culture est moins « manif » que la tienne et que, de ce fait, je sélectionne beaucoup plus sévèrement mes marches. À moi de poser cette question : pourquoi diable as-tu marché hier pour affubler à nos institutions un numéro de milieu défensif ?

5 commentaires

  1. Quelques réflexions sur ces affaires institutionnelles.

    RÉFÉRENDUM RÉVOCATOIRE.
    Si c’est une pratique dans certaines régions du monde, je crois que l’origine de cette idée (élus révocables) remonte à la Constitution de l’an I (1793).
    Rappelons que cette constitution montagnarde ultra-démocratique ne fut jamais appliquée.
    En raison de la guerre, certes, mais qui garantit qu’elle l’aurait été même s’il n’y avait pas eu Thermidor ?
    Signalons une autre constitution parmi les plus démocratiques du monde : la constitution de l’URSS en 1936. Au moment où Staline engageait les procès de Moscou et la Grande Terreur !!

    Concernant la pratique de cette méthode.
    Je comprends (en théorie) comment elle pourrait être appliquée pour révoquer le chef d’un exécutif (présidents de la République, de régions, de départements, maires) ou un élu au scrutin MAJORITAIRE.
    En revanche, elle est incompatible quand quelqu’un est élu à la PROPORTIONNELLE.

    Explication :
    Avec 10% pour sa liste, on a un élu s’il y a 10 sièges à pourvoir.
    Mais, cet élu peut avoir contre lui 70% ou 80%, voire (maximum) 90% des électeurs alors qu’il est régulièrement élu.

    Exemple :
    Mélenchon est député européen du grand Sud-Ouest. Marine LP l’est du grand Nord-Ouest.
    En cas de référendum révocatoire l’un(e) comme l’autre risque d’avoir une majorité contre elle ou lui.
    Or, ils ont été élus régulièrement en 2009 (à la proportionnelle) et seraient probablement réélus plus aisément maintenant.

  2. ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.
    Si on regarde l’Histoire, quand y a-t-il eu des Assemblées Constituantes ?

    En France :
    – AC de 1789 à 1791 : établissement d’une monarchie constitutionnelle.
    – Convention de 1792 à 1795 : constitution de l’an I (non appliquée) puis de l’an III (vers le calamiteux Directoire).
    – AC de 1848 à 1849 : IIe République.
    – Assemblée Nationale de 1871 à 1876 : lois constitutionnelles de la IIIe République.
    – 1ere AC de 1945 à 1946 : projet repoussé par référendum.
    – 1e AC de 1946 : IVe République.

    En Espagne :
    – Cortes Constituyentes (1931 à 1933) : IIe République.

    En Allemagne :
    – AC (1919 à 1920) : République de Weimar.

    En Russie :
    – AC (décembre 1917 à janvier 1918) : dissoute par le nouveau pouvoir bolchevik.

    Au Portugal :
    – AC (1975 à 1976) : après la « Révolution des oeillets ».

    Les Assemblées Constituantes correspondent au renversement d’un régime (monarchie, empire, occupation étrangère, …), bref à une situation RÉVOLUTIONNAIRE. La légalité précédente N’EXISTE PLUS.

    Certes, on peut défendre une conception révolutionnaire. Ce fut parfois le cas (en paroles) pour les socialistes et souvent pour les communistes.

    Mais, franchement, dans la pratique, il y a longtemps que les communistes ne s’inscrivent plus dans la Révolution : « démocratie avancée » sous Waldeck Rochet, programme commun sous G. Marchais, campagne de Marchais en 1981 avec certes de la surenchère verbale, mais sur le fond plus « gaullienne » que bolchevique (« produire français », lutte contre l’insécurité, …).

    Rappelons qu’en mai 1968, chacun de son côté, De Gaulle et le PCF ont évité au pays l’aventure « révolutionnaire » où voulaient nous entrainer les Cohn-Bendit, Kouchner, July, Krivine et autres (1).

    Allez, depuis 1981, la Ve République a tout de même eu 8 ministres PCF (2) plus Mélenchon.

    (1) En mai 1968, mes parents, adhérents du PCF et qui avaient vécu la guerre civile espagnole étaient très inquiets de la situation « révolutionnaire ». L’attitude modérée de leur parti les avait rassurés.

    (2) Ce n’est pas ce que ce parti a mieux réussi.
    En 1981, mauvaise évaluation du rapport de forces entre PCF et PS. De plus, après le tournant libéral et européen de 1983, le PCF est encore resté 1 an au gouvernement.
    Entre 1997 et 2002, ce fut le « pompon » : application des traités européens (Acte Unique, Maastricht, Amsterdam, …).
    Pas étonnant que le PCF ait perdu la moitié de ses voix après chaque participation ministérielle.

  3. POUVOIRS DU PRÉSIDENT ET DU PARLEMENT.
    Je ne suis pas un chaud partisan de l’élection du président au suffrage universel.
    Je crois que, dans ce domaine aussi, De Gaulle s’était adapté aux circonstances (attentat du Petit-Clamart).
    La présidentielle est devenue tellement envahissante qu’elle phagocyte les autres scrutins.

    Cependant, là aussi, c’est la pratique qui a fait évoluer l’institution.
    Au Portugal aussi, on élit le président au suffrage universel.
    Le premier élu, le général Eanes (1976-1986) avait bien tenté de renforcer son pouvoir.

    Mais, il avait échoué et, depuis, ce poste est souvent « le bâton de maréchal » d’un ancien dirigeant socialiste (Soares de 1986 à 1996), ou de droite (Cavaco Silva depuis 2006).
    D’ailleurs, le titulaire est souvent réélu au bout de 5 ans sans adversaire du principal parti opposé.

    Donc, David, si la pratique française était celle du Portugal, on peut aussi imaginer Giscard élu en 2007 et réélu (sans adversaire PS) en 2012.

    En fait, on observe surtout la diminution des pouvoirs du parlement.
    Est-ce dû à l’élection du président au suffrage universel ?
    En partie, oui, mais en PETITE partie.

    Rappelons que le Conseil Constitutionnel présidé par Roland Dumas (je fais confiance à MF Garaud pour cette information) avait décidé que les directives européennes l’emportent sur les lois nationales.
    Or, selon MF Garaud encore, pour la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe, ces directives ne s’appliquent pas en Allemagne (pourtant signataire des mêmes traités européens) si elles sont contraires aux intérêts allemands.
    Ainsi, l’Allemagne applique le compromis de Luxembourg, arraché en 1966 par De Gaulle et que la France a bradé depuis.
    Ceci est encore aggravé par le nouveau traité Merkel/Sarkozy/Hollande qui prévoit un droit de regard de la commission européenne sur le vote du budget.
    N’y aurait-il pas là un combat plus concret que celui pour de mythiques Assemblée Constituante et VIe République ?

    Et le quinquennat voté (par 17% des inscrits) en 2000 ?
    – Concernant le Président, il est devenu un super-premier-ministre, qu’il le veuille ou non. Il NE PEUT PAS être un président « normal ».
    – Pire : avec l’inversion du calendrier (le PCF était contre mais c’était de toute façon, dans la logique du quinquennat), l’élection des députés est tellement dans l’ombre de la présidentielle qu’il y a une abstention massive : 43% en 2012) qui pèse sur la légitimité des députés.

    Rappelons que, malgré l’existence de l’élection du président au SU (depuis 1965), il y avait 16% d’abstentions aux législatives de 1978.

  4. LA GAUCHE ET LE QUINQUENNAT.
    Rappelons que le quinquennat (déjà proposé par Pompidou mais mis en sommeil, faute de majorité des 3/5 au Congrès) fut « ressuscité » par une coalition entre Giscard et le premier ministre Jospin pour des raisons uniquement politiciennes : « enquiquiner » Chirac qui n’y était pas favorable mais finit par s’y rallier.

    Le PS Mélenchon approuva le quinquennat.

    Quant au PCF de R. Hue, avec ses 4 ministres, il fut PITOYABLE.
    Le PCF était hostile au quinquennat qui, selon lui, allait réduire les pouvoirs du parlement (ça n’a pas « raté »). Il avait défendu cette position les années précédentes.
    Quelques députés PCF, cohérents (comme A. Gerin, je crois) votèrent « non ».

    Mais, la direction de R. Hue, pour ne pas gêner ses ministres « se coucha ». « Référendum sans intérêt, il y a assez de problèmes sociaux (on rigole en 2013 quand ils veulent une AC), donc ABSTENTION ».

    Souvenir montrant la veulerie du PCF en 2000.

    Printemps 1972 : entrée du Royaume-Uni (et de 3 autres pays) dans la CEE (future UE).
    Le président Pompidou appelle les Français à se prononcer par référendum.
    Très bien pourrait-on dire.
    Mais, l’astuce politicienne est « cousue de fil blanc ». Le PCF et le PS sont en train de négocier pour le programme commun. Pompidou sait que le PS est pour l’entrée du RU dans la CEE et le PCF contre. Ce référendum est donc un « coin » entre ces partis.
    Le PS appelle à l’abstention.
    Mais, le PCF choisit LE FOND et non LA TACTIQUE : il appelle à voter « non ».

    Voilà la différence entre le parti de 1972 qui avait des défauts certes, mais avait UNE COLONNE VERTÉBRALE et le même parti pitoyable de 2000.

    CONCLUSION.
    Une formule dit : « qui peut le plus peut le moins ».
    Apparemment, pas pour le Front de Gauche.
    Il veut LE PLUS : Assemblée Constituante, VIe République.
    Mais, il n’a pas (ou mal) combattu pour LE MOINS : contre le quinquennat et pour l’application du compromis de Luxembourg.

  5. Erratum.

    Dans mon commentaire intitulé « Assemblée Constituante », le dernière ligne concernant la France doit être lue ainsi :

    – 2e (et non 1e) AC de 1946.

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