L’UE, ce grand cadavre à la renverse

 

Coralie Delaume, qui a naguère officié sur Causeur, avait mis en sommeil son blog « L’Arène nue ». Mais elle n’avait pas perdu le goût de l’écriture. Elle s’était mis en tête d’enfanter un projet plus ambitieux encore. Le bébé est arrivé dans les librairies hier. Europe, les Etats désunis (Michalon), se révèle à la fois pédagogique, cinglant et malicieux. Une synthèse furieusement engagée dans un sens que nous approuvons.

Ce livre est une autopsie. L’autopsie de l’idée européenne telle que l’avait imaginée Jean Monnet, ce père fondateur que François Mitterrand a envoyé au Panthéon et qui ne méritait certainement pas cet honneur. Cette idée-là,  celle de « l’Europe à petits pas », est bien aujourd’hui un cadavre, chose que certains européistes fervents reconnaissent. Armée de son bistouri, Coralie en pratique donc l’autopsie, et elle la commente, avec parfois l’humour noir dont font preuve les médecins légistes des séries télévisées. Les trois organes principaux du corps sont expertisés. La Commission européenne, d’abord, « bastion du techno-atlantisme », prévue par Monnet pour se substituer aux Etats fauteurs de guerre,  a le monopole de l’initiative législative, négocie les traités de libre-échange, souvent dans le plus grand secret, comme c’est le cas de l’actuel Traité transatlantique, et met aujourd’hui sous tutelle les budgets nationaux. La seconde, c’est la Banque Centrale européenne qui gère, avec l’indépendance que lui garantissent les traités, une monnaie unique qui circule dans une zone non optimale. Coralie Delaume en explique la genèse et rejoint les économistes de plus en plus nombreux qui reconnaissent aujourd’hui qu’au lieu de faire converger les économies de la zone, l’euro a largement contribué à les faire diverger. La Cour de Justice de Luxembourg, enfin, symbole et sommet de cette « Europe des juristes », qui, « comme tout bon marabout, diseur de bonne aventure ou psychothérapeute, bluffe. C’est en tout cas ce qu’elle fit dans les années soixante pour inventer puis imposer ces deux grands principes du droit européen que sont « l’effet direct » […] d’une part et sa primauté sur le droit national d’autre part ».

Comme toute chevénementiste qui se respecte, Coralie Delaume détaille les tenants et aboutissants de la politique allemande pour comprendre l’Union européenne actuelle. Très inspirée par Jean-Michel Quatrepoint ou Patrick Artus, l’auteur décrit une Allemagne hésitante sur la conduite à tenir, dans une configuration dont elle sort gagnante mais dont elle répugne à assumer le leadership. Décidément, dans cette Europe aux « vents divergents », s’il y a un gagnant germain, il y a beaucoup de perdants. Les fameux PIIGS dont tous, à l’exception de l’Irlande, ont en commun de vivre leur misère au soleil, subissent les plans d’austérité qu’exigent les exigés par les institutions européennes, le FMI (qui se met parfois à regretter) et Berlin. Avec des conséquences incalculables sur leur équilibre politique.

Et la France dans tout ça ? Notre pays se montre de plus en plus méfiant à l’égard de l’UE, et on le comprend. Volée lors de l’adoption du traité de Lisbonne en 2008, la souveraineté du peuple français, qui avait refusé le même texte trois ans auparavant par referendum, ne se remet toujours pas de ce traumatisme.

Aussi agréable à lire sur le papier que sur l’écran, Coralie Delaume offre, à trois mois des élections européennes, un bel outil à tous ceux qui souhaitent éclairer leur lanterne avant de prendre une décision dans l’isoloir.

 

Europe, les Etats désunis, Coralie Delaume, Michalon, 2014.

2 commentaires

  1. Cette chère Coralie Delaume découvrait il y a peu le taux de refinancement (il y a quoi, 2, 3 mois ?) il était temps !). Mais la découverte du fonctionnement d’une BC ne lui a pas, semble-t-il, pas d’éclairage nouveau. Faut pas déconner, 20 ans d’études pour se forger des convictions ; on va pas tout foutre par terre parce qu’on ignorait absolument le b-a ba de l’économie monétaire !
    Saloperie de dissonance cognitive !

    La théorie des zones monétaires optimales nous incite d’ailleurs à nous séparer de Marseille et de la Corse, comme le Piémont et la Lombardie souhaitent le faire de la Calabre et de la Sicile.
    Rapportée à Paris, l’euro avantage indubitablement le XVIe au dépens de Belleville, qui sombre dans le chaos grec. Je vous fais grâce de l’analyse comparée des rues du Marais.

    Bref, c’est tout le problème des (anciens) étudiants de la science politique qui pensent que l’on peut tordre les lois « immuables et non écrites » des échanges entre les hommes. D’ailleurs, cela vaut-il seulement d’être étudié ?
    C’est plein de maths…

    M’enfin, le pire, c’est que je ne suis pas forcément en désaccord avec elle (elle a quand même des qualités, comme vous cher DD – votre dernier papier sur MLP a Besançon nous a régalé), mais que je trouve le jugement sur Monnet, comme l’ensemble des partis pris extrêmement durs – pour ne pas dire butés. Il n’est jamais mauvais de s’apporter soi-même un peu de contradiction. Sinon, on finit par écrire comme Ayn Rand.

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